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[verso-hebdo]
12-11-2020
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Duvelleroy, Trésors de l'éventail couture parisien, Marie-Clémence Barbé-Conti, préface de Christian Lacroix, Editions In fine, 348 p., 45 euro.

C'est tout simplement une merveille ! Ce livre magnifiquement agencé ne fait pas que de glorifier un artisan hors pair qui a conçu des éventails qui ont marqué la fin du XIXe siècle et le début du XXe, ou encore une famille qui a cultivé cet art au fil des ans, mais aussi de magnifier un objet qui a été un attribut de la haute élégance en France comme ailleurs. Ce sont les Portugais qui ont introduit l'usage de l'éventail en Europe et, en France, c'est Catherine de Médicis qui en a lancé la mode. Au XIXe siècle, c'est la duchesse de Berry, belle-fille de Charles X, qui en a fait renaître le goût à la cour et dans la haute société à l'occasion du carnaval de 1829. Jean-Pierre Duvelleroy a créé sa propre maison de production d'éventail deux ans avant cette date, car cet accessoire n'avait pas disparu encore des moeurs, même si sa vogue était déclinante depuis longtemps. La Révolution française avait porté un coup fatal à cette mode et ce sont les émigrés qui l'ont diffusée alors dans toute l'Europe liguée contre la République.
Le jeune homme est déterminé à rendre à cet objet féminin toute sa splendeur passée, ce qui est un défi. Il apporte des perfectionnements dans la fabrication des éventails en modifiant la technique du moule à plisser. Les matériaux les plus divers sont utilisés dans la conception de ces objets, certains devenant de véritables bijoux d'un luxe stupéfiant. Mais il n'y a pas que la valeur intrinsèque des matériaux qui compte : c'est aussi l'originalité et l'inventivité dont le jeune homme fait preuve qui sont les raisons de son succès auprès du gotha. Eugénie de Montijo est par la suite l'une des grandes amatrices de l'éventail, qui connaît son heure de gloire sous le Second Empire. Et elle incite à un retour au goût ancien. Quand Georges Duvelleroy succède à son père en 1889, il incite des artistes à peindre ses créations.
Et il ne faut pas oublié les éventails que Stéphane Mallarmé a illustré de ses poèmes (l'écrivain avait une passion pour la mode, on le sait). La Belle Epoque ne boude pas ce précieux compagnon de la femme du monde. De nouvelles formes sont sans cesse proposées à une clientèle toujours plus désireuse de compléter sa parure de cet attribut, qui a sa beauté intrinsèque, mais qui sert aussi à exprimer des émotions et des états d'âme. Puis le style Art Nouveau s'en empare et Alfons Mucha est si conquis qu'on finit par parler d'un éventail « à la Mucha ». A la même époque, on en fait des supports publicitaires, comme l'a fait par exemple le restaurant Maxim's. Duvelleroy imagine des sacs en forme d'éventail et conçoit des éventails zoomorphes des plus singuliers. Des musées commencent à les conserver et des collectionneurs passionnés apparaissent au XXe siècle. La mode extraordinaire de l'éventail a survécu et s'est même popularisée jusqu'à nos jours, en faisant des objets souvenirs de voyages. Des artisans et des artistes n'ont eu de laisse d'en modifier l'aspect et d'utiliser les tissus, les plumes, les joyaux leur permettant toutes les fantaisies possibles. Avec ce merveilleux volume, nous serons entrainés dans l'imaginaire d'une famille de créateurs de succès, mais aussi dans l'imaginaire de différents moments de notre histoire. C'est l'un des plus beaux livres de cette fin d'année.




La Voiture du paysage, vies de Gustave Courbet, Lin Delpierre & François Laut, L'Atelier contemporain, 140 p., 25 euro.

C'est un hommage à Gustave Courbet que l'écrivain François Laut et le photographe Lin Delpierre ont voulu rendre par le texte et par l'image. Ils sont retournés sur les lieux que l'artiste a peints, surtout dans sa région natale, jusqu'à son exil en Suisse après la Commune, dans le Jura. Courbet avait déclaré : Moi je connais mon pays et je le peins. Allez-y voir, vous reconnaîtrez mes tableaux. » C'est ce qu'ont fait les deux auteurs de cet ouvrage. Nous découvrons alors le Puits-Noir et la grotte Sarrazine ou encore le Puits de la Brême, qui ont été quelques uns de ses lieux de prédilection pour élaborer ses paysages. Il s'y rendait dans une petite carriole tirée par brave âne Gérôme. La nature n'est pas pour lui une abstraction, ni un simple décor, mais là où il est allé pendant son enfance et où le conduisait ses promenades.
Il n'y a rien chez lui qui ne soit un moment lié à des souvenirs et à des sensations profondes. Les beaux clichés de François Laut servent bien sûr l'histoire de l'art, c'est évident. Mais ils montrent aussi que l'artiste a toujours choisi des endroits qui mettent en évidence la densité de la Nature ou son caractère intense et fascinant. Grâce à nos deux auteurs, nous savons où il aimait aller et surtout où il aimait s'arrêter pour saisir la beauté de ces endroits qui possèdent leurs secrets et qu'en dehors des habitants du cru ne sont guère connus. En sorte qu'il trace, de toile en toile, un itinéraire sentimental, allant d'Ornans au plateau de Flagery, de Maisières où il allait pécher, à Levier, où il allait chasser. Sa relation avec le monde naturel est profonde, secrète, et insiste sur le caractère sauvage des endroits qu'il a élus. C'est un peu comme une autobiographie qui se dispense et des mots et surtout des anecdotes. Cet amour sans borne pour cet univers qui est étroitement associé à ses origines, le spectateur n'en a pas la moindre idée. Pourquoi d'ailleurs le devrait-il ? C'est, cela va sans dire, violer un peu son intimité.
Toutefois, c'est une excellente façon de comprendre le cheminement de sa démarche esthétique, qui est plus complexe qu'il n'y paraît. Cette découverte change un tant soit peu e regard qu'on peut porter sur ses paysages : aucun d'entre eux est produit par simple souci d'exprimer une beauté qu'il retient pour être sa marque de fabrique. Il n'est d'ailleurs pas surprenant qu'il soit allé s'exiler dans le Jura suisse, qui n'est pas très éloigné de sa terre natale et qui présente bien des similitudes avec elle. Bien sûr Courbet a aussi peint la vie parisienne. Ce n'est pas un ermite et encore moins un disciple de Thoreau. Il n'en reste pas moins vrai qu'il a trouvé dans ces vallées, ces gorges, ces sous-bois, ces rivières une source d'inspiration inépuisable pour changer la quête picturale selon un point de vue très neuf. C'est un très beau livre, très suggestif, qui nous apporte beaucoup pour mieux apprécier l'art de Gustave Courbet.




Les Authentiques, dans les ateliers d'artistes du XXIe siècle, Yves Michaud & Catherine Panchout, Flammarion, 200 p., 39 euro.

Je l'ai déjà déclaré dans une chronique précédente : je n'arrive pas à comprendre que se multiplient les publications par genre. Il est question ici des « pionnières »  (ce terme ne se comprend pas), c'est-à-dire de femmes artistes qui travaillent actuellement en France. Certaines d'entre elles ont déjà acquis une notoriété, comme Hélène Delprat, Gloria Friedman Monique Frydman ; d'autres sont un peu connues, telles Lydie Arickx et Claire-Jeanne Jézékel, et d'autres mériteraient une reconnaissance plus éclatante, comme Laurie Karp. La plupart des autres ne sont appréciées que dans des petits cercles d'amateurs.
Mais cela n'est pas la question. La notoriété, surtout de nos jours, n'est pas forcément le signe distinctif du talent. Après tout c'est bien que cette catégorie d'ouvrages qui nous montrent ces créatrices dans leurs ateliers nous donne l'occasion de faire des découvertes et ne se contente pas de nous présenter des figures déjà reconnues depuis longtemps. La présentation est classique : le portrait du peintre et du sculpteur, et puis des vues de l'atelier qui, d'ailleurs, sont souvent bien faites et révélatrices de leur esprit et de leur style. Je remarque en passant qu'aucun de ces lieux n'est très particulier (on ne retrouve rien de comparable à l'atelier de Francis Bacon !), mais cela est une considération secondaire, car l'atelier n'est pas nécessairement la révélation de la pensée esthétique de la créatrice mise en avant.
Je regrette aussi que la présentation de chacune d'elle apparaît un peu trop brève, sinon sommaire, et laisse vraiment sur sa faim. Malgré toutes mes réticences, qui sont portées sur le fond de l'affaire, ce livre est bien fait et permet de se faire une idée de ce que toutes ces femmes s'emploient à faire dans leurs lieux, loin des regards, dans la solitude indispensable à la formalisation d'une intuition ou d'un élan intérieur. C'est une introduction déjà assez large à ce qui se pense et se fait dans le domaine des arts plastiques au féminin. Tout en regrettant cette ségrégation, je conseille vivement ce volume qui devrait ravir les amateurs d'art contemporain même si le titre n'est pas compréhensible.




Art abstrait, Stéphanie Straine, Flammarion, 176 p., 12 euro.

Même si l'art abstrait n'a qu'à peine plus de cent ans, il a suivi des voies tellement nombreuses qu'il est assez difficile d'en dévoiler toutes les voies. La première surprise que nous offre ce petit livre d'initiation est qu'il ne commence pas par Vassili Kandinsky, mais par Hilma Al Klint (1862-1944), une artiste suédoise qui a été très tôt attiré par spiritisme. Ella a fait ses études à l'Académie des Beaux-arts de Stockholm. Puis elle se tourne vers l'occulte et elle crée un groupe avec des amies en 1892 qui baptise Les Cinq. Ses premières oeuvres abstraites inspirées directement par des esprits. L'exemple qui nous est donné est Les Dix plus grands, un tableau exécuté en 1907 faisant partie d'une série sur les origines. Mais est-ce bien là ce qu'on pourrait regarder comme une création abstraite et non un schéma occulte ? Il faudrait alors mettre en avant les quelques compositions de Claude Monet, à l'époque où il n'avait pas encore été opéré des yeux ? Il a pourtant fait plusieurs compositions abstraites, dont une en rouge, particulièrement frappante et qui n'a plus de relation avec le monde tangible.
Quoi qu'il en soit, c'est le livre de Kandinsky, Du spirituel dans l'art, rédigé en 1909 et 1910 qui marque pour la plupart des théoriciens et des peintres le début de l'abstraction. C'est depuis son voyage en Afrique du Nord en 1905 qu'il a commencé à imaginer des espaces plastiques où la réalité est en partie gommée par des formes et des couleurs sans références concrètes. Par la suite, il ne fait que suivre ce chemin qu'il avait esquissé. Stéphanie Straine nous montre ensuite un tableau de Giacomo Balla, Velocità astratta + rumore de 1914. Balla a été l'un des signataires du Manifeste technique de la peinture futuriste (1910) qui a connu une période abstraite des plus intéressantes. Puis nous découvrons Amorphe, fugue en deux couleurs de 1912 exécuté par Frantisek Kupka, qui abandonne alors la figuration et l'illustration. Il faut dire que c'est l'époque du cubisme, du futurisme (en Italie mais aussi en Russie) et du rayonnisme (surtout avec Sonia Delaunay), et donc d'une conception radicalement neuve de la création picturale. L'abstraction en né dans les marges de ces grands mouvements novateurs. C'est aussi, pendant la Grande Guerre le moment du suprématisme avec Malevitch et du constructivisme avec Rodtchenko et tous ceux qui les ont suivi en Russie, mais aussi dans certains pays de l'Europe centrale. L'auteur non fait remonter le cours du temps avec Piet Mondrian et le groupe De Stijl créé en 1917.
La difficulté de poursuivre ce récit n'est pas dans le déroulé de ses origines, mais dans l'entre-deux-guerres (mais notre auteur s'en sort de manière très honorable) et puis des années cinquante à la fin du siècle dernier car là il y a Fontana et le spatialisme, Pollock et l'Expressionnisme abstrait, et tous les grands artistes qui se rattachent à ces grands courant d'un côté et de l'autre de l'Atlantique. Il y a aussi, par exemple, le groupe Madi avec Arden Quin. Et puis l'Ecole de Paris, de Manessier à Albert Bitran, qui est totalement exclue ! De la France, on ne voit que Yves Klein et Buren ! Et puis la partie sur l'art numérique me semble un peu superfétatoire car il y aurait eu bien d'autres choses à nous faire voir. Mais un livre de ce genre ne peut pas tout dire. Ce que nous avons entre les mains permet déjà de se faire une idée de l'étendue des recherches entreprises dans cette sphère qui est encore loin d'avoir épuisé ses potentialités.




Ici mieux qu'en face, Laurence Aëgerter, sous la direction de Fannie Escoulen, Actes Sud, 56 p., 42 euro.

Cet ouvrage a été conçu à l'occasion de l'exposition de Laurence Aëgerter (né à Marseille en 1972) au Petit Palais à Paris. Il représente l'archétype de l'artiste contemporain, avec des installations, des confrontations entre l'image et les mots (la série des fleurs est consternante) des occultations (la pire de toute est l'effacement par un voile noir de la façade d'une cathédrale), des détournements (il y a toute une série de tableaux anciens refaits à sa façon, dont le Gilles de Watteau, mais aussi Le Caravage et quelques autres monstres sacrés), mais aussi des pastiches de tableaux abstraits américains et sans parler d'Andy Warhol. Il se s'agit pas pour lui de rivaliser avec ses illustres aînés, mais de contaminer leurs compositions par l'introduction de figures saugrenues, soit de banales clichés de personnages en couleurs, soit des figures aux formes abominables, comme s'il avait voulu engendrer en contrastes violent entre ces oeuvres considérées comme mémorables et des éléments pouvant les dénaturer.
On reconnaît toujours l'original, mais on doit être choqué ou surpris ou encore rempli d'admiration par l'intervention de l'artiste. Mais celle-ci ne choque pas et ne parle pas vraiment: elle afflige plutôt car cela a été vu et revu ces dernières décennies. On pourrait faire une histoire de l'art farceur et iconoclaste de ces cinquante dernières années. Mais le plus décevant est sans aucun doute ces redites que légitiment huit auteurs qui tente de légitimer les grands thèmes de cet artiste. Si au moins il avait eu l'humour d'Alphonse Allais et des excentriques de la fin du XIXe siècle. Mais non, car à la fin du compte, il est sérieux comme un pape et ne réalise ces actions que pour être dans l'air du temps. Car il s'agit bien d'effet de mode et non de pensée sur l'art - Dada a déjà soufflé ses cent bougies. Je suis toujours surpris que des directeurs de musée se joignent à cette petite bande de critiques sans envergure et sans écriture (je parle ici de Susana Gàllego-Cuesta, qui dirige le musée des Beaux-arts de Nancy à l'heure qu'il est). Ce soit être une curieuse perversion masochiste.
Tout ce que peux dire, c'est que livre est remarquablement réalisé et on n'aurait pas pu mieux faire pour un grand maître de la Renaissance. C'est d'ailleurs curieux : plus la création est d'un niveau assez médiocre, plus les ouvrages sont somptuaires... Sans doute parce qu'il est admis qu'il ne reste d'une exposition que le catalogue - la trace pour l'éternité. Il sort des milliers de volumes de cette espèce par les temps qui courent, mais combien demeureront dans les bibliothèques d'histoire de l'art ? En tout cas la couverture pourrait figurer parmi les réussites du graphisme éditorial.




Décrypter les symboles dans l'art, Matthew Wilson, Flammarion, 176 p., 12 euro.

Il n'est pas nécessaire de connaître toutes les clefs d'un tableau des maîtres anciens pour l'aimer. Mais avoir la faculté d'en comprendre les codes, dont la plupart ne sont plus de mise de nos jours, apporterait à chacun d'entre nous de savoir de quelle manière ce tableau était perçu par ses contemporains. Cela peut aller de la pure curiosité à un sens caché. L'auteur a choisi un certain nombre de plantes, qui ont toutes une valeur symbolique et montre le rôle qu'elle joue dans une oeuvre. Par exemple, le laurier dans L'Art de la peinture. On voir le peintre de dos, assis devant son chevalet en train de peindre une jeune fille qui pose vêtue pour figurer la Clio, muse de l'Histoire. Elle porte une couronne de laurier, qui signifie la grandeur poétique ou la gloire. Léonard de Vinci a utilisé le laurier dans le portrait de Ginevra de Banci. Il en est de même pour les animaux, comme la chouette présente dans la Pallas Athena de Rembrandt. Ici, l'oiseau incarne la sagesse, mais il peut aussi représenter le sommeil comme on le voit dans La Nuit de Michel-Ange. Matthew Wilson examine aussi les parties du corps, le ciel et la terre et les attributs. Sans doute, avec ses explications, nous ne serons pas en mure de déchiffrer tous les symboles présentes dans la peinture ou la sculpture des siècles révolus, mais déjà nous saurons ce que nous devrons chercher. C'est un bon discours de la méthode pour aborder des créations qui peuvent parfois sembler bien énigmatiques ou présentant des caractéristiques qui ne nous sont plus accessibles.




Eva Gonzalès, rencontre avec une femme moderne, Elisabeth Jacquet, « biographies », L'Atelier contemporain, 168 p., 25 euro.

Connaissons-nous Eva Gonzalès (1849-1883) ? Oui et non. Non savons qu'elle a été l'élève et puis le disciple, comme Berthe Morisot ou Mary Cassatt, d'Edouard Manet, qui n'a jamais voulu prendre que des femmes comme élèves. Nous savons aussi qu'elle a été un bon peintre et qu'elle s'est attachée à peindre surtout des sujets féminins ou leurs attributs. L'auteur détaille avec minutie tous ces détails qui caractérisent son art, et il a construit son livre comme une enquête, ce qui est précieux car nous ne savons au fond pas grand chose d'elle et de son destin comme artiste peintre. Peut-être avons-nous vu son Autoportrait ce 1870 que est reproduit en couverture, mais nous serons bien en peine d'aller beaucoup plus loin ! L'ouvrage est écrit de manière curieuse, entre le romanesque et l'étude historique avec plus ou moins de succès.
Mais, en dépit de l'étrangeté de la rédaction de cet ouvrage, ce dernier a le grand mérite de nous enseigner pas à pas qui a été cette femme hors du commun, qui a participé à une grande révolution picturale, mais dans ses propres termes. Elle a participé au Salon des refusés en 1873, comme son maître. Mais sa carrière n'en a pas été affectée et elle s'est plu à peindre des sujets féminins, surtout après sa maternité. Elle ne recherche rien en dehors de la nature et de la féminité, sans cependant l'exalter ou la magnifier, simplement en la rendant belle selon les codes d'une nouvelle écriture picturale qu'elle n'entend pas pousser plus loin. Au fond, elle préserve en son coeur un sentiment classique, mais, en même temps, n'a jamais eu l'intention de rejoindre le clan académique, loin s'en faut. Les autres femmes des premiers temps de l'impressionnisme ont agi de même, chacune à sa façon. Aucune n'a été plus audacieuse que les principaux représentants de cet art indépendant. Ne boudez pas votre plaisir et ne bridez votre curiosité : Eva Gonzalès mérite d'être bien mieux connue. Cette étude, malgré toute sa bizarrerie, est un excellent moyen de la découvrir telle qu'en elle-même et de voir combien sa peinture mérité d'être louée.




Picasso, le Minotaure, Sophie Chauveau, Folio, 620 p., 9, 70 euro.

Cette nouvelle (et énième) biographie de Pablo Picasso peut dérouter. En effet, elle est écrite comme un roman, mais n'en reste pas moins une étude relativement sérieuse. Sophie Chauveau est passé maître dans ce genre et a déjà produit un nombre conséquent de ce genre de biographie avec Lippi, Botticelli, Léonard de Vinci, Manet, et j'en passe. Elle fabrique à la chaîne des ouvrages qui sont d'esprit romanesque et elle ne manque pas de le refaire ici dans son dernier livre en date. Qu'elle ait voulu mettre l'accent sur le double visage (pas celui du Minotaure en fait, mais celui de Janus) de l'artiste, cela n'est pas d'une folle originalité. Il existe sur Picasso une littérature exorbitante. Mais ce qui m'a le plus gêné dans ces pages, ce n'est pas tant la forme narrative (un peu agaçante, car elle nous fait passer des vessies pour les lanternes), c'est que souvent de détails bien secondaires sont développés au détriment de considérations plus conséquentes.
Il n'y a rien à faire, il faut qu'elle métamorphose le peintre espagnol en un monstre effrayant et que son existence soit présentée comme une sorte de saga mythologique. Comme Sophie Chauveau est un écrivain assez médiocre, son entreprise prend un tour assez navrant. Elle enfile les anecdotes les unes après les autres plutôt que de nous faire suivre le parcours frénétique de la complexe et renversante pensée artistique de cet homme à nul autre pareil. Bien entendu, qui voudra découvrir qui a été Picasso pourra se plonger dans ces pages car l'auteur n'y relate pas non plus que des avanies. Mais cela reste de la vulgarisation, dans le sens le plus cru du terme. Mais qui résistera à cette reconstruction où l'imaginaire de l'écrivain se conjugue avec des faits avérés ? Moi, j'ai été exaspéré par les lieux communs, par ce rabâchage d'idées reçues qui rend Picasso aussi ridicule que le Modigliani de la légende de Montmartre et de Montparnasse. Mais pour faire une découverte, pourquoi pas ?




En chemin avec... Arcimboldo, Christian Demilly & Didier Barraud, « Jeunesse », Editions Hazan, 32 p., 14, 95 euro.

Il faut admettre que les éditeurs ont souvent plus d'audace quand il s'agit de faire des livres pour les enfants. Cette nouvelle collection qui s'intitule « En chemin avec... » (suit alors le nom de l'artiste) est remarquable car elle donne de chacun des peintres choisis une idée assez précise et explique sa démarche de manière concise mais jamais réductrice. Il est vrai que la peinture de Giuseppe Arcimboldo, qui a travaillé pour trois empereurs du Saint Empire Romain Germanique, dont Rodolphe II (après Ferdinand Ier et Maximilien II) qui s'était installé à Prague est assez facile à découvrir car elle consiste en de plaisant assemblages de fruits, de fleurs, de poissons, d'oiseaux d'arbres, en somme de tout ce qui dans la nature peut contribuer à symboliser une saison ou à caractériser un visage. La méthode est simple, mais la réalisation exige de grandes prouesses technique et une indéniable poésie car la composition pourrait rapidement versé dans la simple virtuosité manuelle. Ce volume cartonné et bien présenté me semble une introduction tout à fait digne pour qu'un petit garçon ou une petite fille puisse faire connaissance avec ce peintre extravagant avec plaisir et curiosité.




En chemin avec... Matisse, Dider Baraud & Christian Demilly, « Jeunesse », Editions Hazan, 32 p., 14, 95 euro.

Henri Matisse est peut-être un créateur qui pose un peu plus de problèmes à commenter à de jeunes enfants. Mais les auteurs ont choisi des oeuvres qui pourraient très bien accomplir cette tâche pédagogique (mais aussi ludique). A la fin de son existence, Matisse a fait des papiers découpés, en particulier la suit intitulée Jazz, qui sont particulièrement aptes a conquérir ces esprits qui en font la découverte. Mais l'inclination qu'il avait pour la décoration fait que quelques unes des compositions de l'époque fauve ou des oeuvres postérieures sont également accessibles sans entrer dans une grande discussion sur les caractéristiques de l'art moderne et de l'esprit des fauves. Matisse est un artiste assez difficile à déchiffrer, mais il est évident que pas mal de ses tableaux sont faits pour capter le regard et provoquer une sensation d'émerveillement. Les commentaires sont intelligents et les oeuvres sont bien choisies. Que désirez de mieux ?




Arts premiers, Pierre Bergounioux, Galilée, 62 p., 12 euro.

Comment pourrions-nous définir ce petit livre, qui est une nouvelle, mais pas vraiment une nouvelle ordinaire ? C'est d'abord un voyage dans une bibliothèque où sur les livres est apposé un timbre dont une partie (un cartouche) semble être un masque africain. Il est question ici de la collection de masques réunis par le sociologue Norbert Elias, quand il a quitté l'université de Leicester pour se rendre à celle de Legon,  au Ghana. C'est là qu'il a commencé à se passionner pour cet art qu'on a longtemps qualifié de « primitif ». Cette découverte se mêle aux lectures boulimiques du très jeune narrateur, qui n'a jamais en mal de lire les grandes histoires de la France en de nombreux volumes.C'est une sorte d'obsession pour lui.
En recherchant de nouveaux ouvrages à consulter, il est tombé sur un catalogue du Museum Art Gallery de Leicester publié en 1970 qui révèle l'ampleur et l'intérêt de la collection amassée par le sociologue. Quant à ses observations sur l'impact de la conscience, elles ne seront rendues publiques qu'au tout début du XXIe siècle. Mais le héros de ces aventures livresques rencontre les oeuvres austères de David Ricardo et de Karl Marx (Das Kapital, ni plus, ni moins). Il n'a de laisse de comparer ses agissements intellectuels à ceux des adultes. De fil en aiguille, par le jeu subtil des associations nées de ses trouvailles, il en revient à ses origines provinciales. Cette terre a toujours été pauvre et l'est demeurée. En revanche, nombre de colonels y ont terminé leur existence. Il se plonge alors dans les faits et gestes de ces militaires, dont certains ont eu un destin assez fantastique. D'aucuns se sont illustrés en Afrique. Il s'intéresse plus particulièrement à un certain Germain qui a échappé au feu nourri des mousquets des derviches (j'ignorais jusque là que les derviches utilisaient des armes à feu -, mais tout est possible dans cet Orient mystérieux). Un monument en bronze avait été édifié pour lui rendre hommage, mais l'occupant allemand l'a fondu en 1942 pour ses canons. Cette bibliothèque municipale où se réfugie notre narrateur est le lieu où il apprend à distinguer les différents visages de l'Histoire.
Et puis il y a toujours Ricardo et Marx et puis, tout d'un coup, Lénine et Freud. Pour faire bonne mesure. Et, sans prévenir, il revient sur la question de l'art nègre, avec le grand livre de Carl Einstein et les artistes parisiens qui se sont inspirés de ses formes étranges. Là encore, les rencontres et les analogies le mènent à évoquer la figure de Peggy Guggenheim et sa galerie newyorkaise, Art of this Century. Toujours par ces concours de circonstances mentales, nous voici à la galerie Berthe Weill en 1917, avec la seule exposition personnelle qu'a eue Amedeo Modigliani de son vivant et qui a été fermée par la police ! Comme toute histoire a une fable, je choisirai un propos de Sigmund Freud qui nous indique que l'âge adulte ne sert qu'à réaliser ses rêves d'enfant !
Gérard-Georges Lemaire
12-11-2020
 
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Verso n°136

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