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[verso-hebdo]
21-11-2019
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Des provinces du rococo : la Chine rêvée de François Boucher, sous la direction de Yihan Rimbaud, Alastair Laing & Lisa Muccirelli, Editions in fine / musée d'art et d'archéologie, Besançon, 288 p., 29, 00 euro.

François Boucher (1703-1775), fils d'un peintre de l'Académie de Saint Luc, qui l'a formé. Voyant que son fils avait des dispositions exceptionnelles, il l'a envoyé étudier sous la direction de Lemoyne. Il a commencé par travailler pour des éditeurs en exécutant des gravures dans tous les genres possibles, mais le plus souvent dans le genre religieux. Son premier commanditaire lui a demandé de faire des gravures inspirées par Watteau. Après avoir étudié auprès de bons artistes, il s'est décidé à se présenter au concours de l'Académie royale de peinture et de sculpture en 1723 et est reçu premier avec son épisode de la vie de Nabuchodonosor. Mais il n'a pas été obtenu le prix de Rome. Malgré son premier succès, n'ayant de riche protecteur, il a exposé ses premières toiles en 1725 au Salon de la Jeunesse qui se tenait sur le Pont-Neuf. Ayant de la suite dans les idées, Il est allé à la Villa Médicis à Rome en 1727 comme auditeur libre dans l'atelier de Carle Van Loo. Il a été remarqué par son assiduité et la constance dans le travail. Le directeur de l'Académie de France, Vieughels est resté frappé par ses qualités. Il est resté quatre ans dans la Ville éternelle. Van Loo le plaça sur le même plan que ses célèbres parents, de Natoire et de Bouchardon.
A son retour à Paris en 1731, il est agréé à l'Académie et s'est mis à faire le portrait des dames à la mode. Sa première grande commande est une scène de La Jérusalem délivrée du Tasse. Il épouse le modèle de cette conception, Marie-Jeanne Buseau, en 1733. Elle a posé pour lui mais aussi pour d'autres artistes, comme Quentin de La Tour, qui l'a exposé au Salon de 1737. En 1734, il est nommé peintre d'histoire à l'Académie, position éminente. Carle Van Loo le fait nommer professeur adjoint ; Ce qui a assuré son succès dans le grand monde, c'est son invention du style rocaille en peinture. C'est le sujet de cette exposition et de ce catalogue tout à fait intéressant. Il fait sortir Boucher d'un certain nombre de préjugés dont on l'a affublé - les scènes galantes -, qui ont eu un tel succès de son vivant mais aussi plus tard, qu'on a oublié qu'il a été un paysagiste tout à fait étonnant.
Le goût des chinoiseries et des turqueries avait envahi l'Europe. C'est la conséquence du succès jamais démenti, surtout à l'époque de Louis XV, des produits rapportés d'Orient et des imitations faites en France et ailleurs. La décoration des palais et des demeures princières reflète cet engouement surprenant dans la culture française. Boucher sait à merveille en jouer. Ce qui rend ce volume si indispensable pour la compréhension et la manière de Boucher, c'est d'avoir su comprendre cette phénoménale mutation du l'esprit décoratif, bien loin du classicisme de Louis XIV et des architectes de son temps qui étaient hostiles au baroque. La marquise de Pompadour l'adore et la cour ne peut que se ranger à son avis. Le roi finit par le nommer premier peintre. Il a fait face à des commandes importantes qui ne cessaient de lui arriver. Il est devenu le maître à penser la peinture de cette période. Il est à noter qu'il a aimé associer galanterie et motifs rococo, Comme si l'une ne pouvait aller l'un sans l'autre. Il se fait orientaliste dans l'imaginaire, mais a néanmoins fait des études assez poussée de la culture chinoise pour rendre ses inventions crédibles. Jean-Baptiste Oudry a réalisé à la manufacture de Beauvais des tentures chinoises inspirées par Boucher.
Mais cette mode a passé aussi vite qu'elle est survenue, et Boucher n'a plus autant intéressé ses contemporains au début des années 1760. Mais il n'en a pas moins réalisé des décors de théâtre et des cartons pour la manufacture de Vincennes et pour celle de Sèvres. A la fin de sa vie, il est allé travailler aux Pays-Bas où il a exécuté des pièces merveilleuses et d'un tout autre esprit avant de s'éteindre à Paris en 1770, presque en disgrâce. Bien sûr, quand on observe de près les oeuvres reproduites dans ce copieux catalogue, on comprend avec quelle habilité il a su s'emparer de la mode et de l'exalter. C'est la limite de son savoir-faire peut-être trop prolixe et démonstratif. Une certaine mièvrerie caractérise ses scènes intimes, qui sont charmantes, mais peut-être trop. Denis Diderot l'a détesté et l'a épinglé sans ménagement dans ses Salons à plusieurs reprises. Il a percé à jour le courtisan très doué en lui même dans ses scènes religieuses. Boucher n'a pas su prendre ses distances et se réserver un jardin secret. Il n'a pu le faire qu'une fois « exilé » volontairement en Hollande, où il a donné la véritable mesure de son talent.




Gabrielle Haardt Sculptures et bijoux, collectif, Editions du Canoë, 180 p., 40 euro.

Voilà une artiste dont le nom ne me dit rien. Et pourtant, son oeuvre dans son ensemble mérite d'être considérée avec attention car elle est remarquable. Gabrielle Haardt a d'abord été sculpteur. Elle a utilisé aussi bien le bronze (sous toutes ses formes, patiné ou doré), le marbre (blanc ou noir), le granit noir, l'albâtre. En somme, elle ne s'est jamais arrêtée à une formule définie une fois pour toute : chacun de ses projets requérait une matière spécifique. Autre chose : si l'abstraction est dominante, elle a recours à des formes anthropomorphiques si besoin est. Là encore, elle ne s'est pas limitée à un style qu'elle aurait décliné au fil du temps. En réalité, elle a aimé conjuguer le figuratif et l'abstrait, comme le prouvent ses Corps enchevêtrés (1991). Elle a surtout manifesté une constante : le mouvement. Cela n'en fait pas une héritière de Boccioni et des futuristes, mais plus de Jean Arp (et de loin). Elle a aimé les formes courbes et surtout emportées par un élan dynamique.
Tout est mouvement dans ce qu'elle fait et tout a partie liée avec la danse. La chose n'est pas originale dans cette discipline, mais elle a su en tirer des effets nouveaux et d'une grande sensualité et une sensibilité très marquée. Elle n'est en rien dionysiaque, mais on ne peut non plus la ranger dans le registre de l'apollinien. Elle demeure mesurée dans son registre qui ne supporte pas la nature hiératique ou en tout cas statique d'une statue. Toutes ces rondeurs qui toupillent sur elles même ou s'élancent dans l'espace sont pleine de charme et ne cessent de constituer des formes nouvelles. C'est un délice pour l'oeil et qui invitent au toucher. Rien de forcée, rien de grandiloquent : une profonde capacité de séduire par les lignes souples et féminines, même si ce n'est parfois qu'une manière de découvrir un pensée intime et curieuse de la sculpture. Gabrielle Haardt a aussi ré »alise un beau jeu d'échecs et des bijoux. Ceux-ci jouent aussi sur la duplicité entre une figuration stylisée et une abstraction qui pourrait évoquer un corps. Elle a déployé dans ce domaine une richesse d'inventivité : elle puise à toutes les sortes mais n'a imité aucune période de l'art décoratif. Elle a fait preuve d'une grande liberté et aussi d'une originalité sans égale. Ce catalogue est un enchantement et permet de faire la découverte d'une artiste qui mérité d'être découverte par les uns et redécouverte par les autres.




Lucien Jacques, le sourcier de Giono, sous la direction de Jean-François Chougnet, Actes Sud / musée Regards de Provence, Marseille, 128 p., 28 euro.

Cet artiste ne fait pas partie de ce Gotha des gloires du XXe siècle. Pourtant, il a joué un rôle certain dans la vie culturelle de notre pays le siècle dernier. Lucien Jacques (1891-1961) est issu d'un milieu très modeste. Il a commencé par exercé différents petits métier, comme commissionnaire ou employé chez un marchand de métaux. Mais l'art l'attire depuis longtemps et il profite de son temps libre pour fréquenter le musée du Louvre. En 1910, il rencontre Isadora Ducan dont il devient le secrétaire. Elle lui sert aussi souvent de modèle. Il suit les cours de son Akademia où il rencontre des hommes de lettres et des artistes passionnés par la Grève antique. Il fait son service militaire puis se retrouve peu après dans la tourmente de la Grande Guerre. Il sert dans la fanfare de son régiment. Il y fait la connaissance d'autres peintres. Puis il devient brancardier. Il est blessé et envoyé en convalescence en Bretagne. Il y fait ses premiers bois gravés, qui seront exposé chez Druet par la suite.
Antimilitariste dans l'âme, il va publier ses notes de guerre, Carnets de moleskine. Démobilisé, il ouvre un négoce et écrit de la poésie. Il fonde les Cahiers de l'artisan, une revue artistique où il met à l'honneur un artiste pour chaque numéro. Il va en 1922 se soigner sur la Riviera, et relance sa revue avec Charles Vildrac, qu'il a connu alors. Il fait alors la connaissance d'hommes de lettres, comme Gide, Paulhan, Guéhenno. Il collabore alors à une revue de Marseille, La Criée. C'est dans ce contexte qu'il rencontre Jean Giono, dont il publie des poèmes dans sa propre revue. Il envoie un manuscrit de son nouvel ami qui le refuse. Il lui en expédie un second, Colline, qui est publié. Il est indéniable l'homme qui a fait connaître Giono ! Par la suite, il collabore à de nombreuses revues et il voyage à l'étranger. A Rome, il découvre la fresque, technique il va dès lors utiliser. Il fait même des traductions. A partir de 1936, il est un des piliers des rencontres du Contadour à Manosque, où des pacifistes se retrouvent autour de Giono qui est devenu célèbre entre temps. Pendant la Seconde guerre mondiale il s'installe à Montjustin, près de Manosque, qu'il transforme en village d'artistes. Il relance une dernier fois Les Cahiers de l'artisan où publie ses amis écrivain et Giono aussi, avec qui il s'était brouillé. Il meurt en 1961 frappé d'un cancer. Plusieurs de ces poètes et romanciers qu'il a appréciés ont écrit sur lui et on retrouve leurs textes dans ce volume : Giono, bien étendu, Vildrac, Jacques Prévert et d'autres encore. Il avait l'âme d' « un passeur », comme on le dit dans le milieu culturel et aussi celle d'un artiste qui a été surtout un grand illustrateur, ce qui est loin d'être péjorative dans ma bouche.




Hokusai, Hiroshige, Utamaro, les grands maîtres du Japon, collection Georges Leskowicz, Editions in fine / Caumont centre d'art, Aix-en-Provence / Culturespace, 208 p., 32 euro.

De plus en plus, de grandes collections privées sont présentées à l'occasion d'expositions temporaires. C'est le cas de la collection familiale de Georges Lekowicz initiée au début du siècle dernier, qui est l'une des plus importantes en ce qui concerne la xylographie de l'ère d'Edo. Le titre est un peu trompeur, car les 1.800 oeuvres présentées à l'hôtel de Caumont à Aix-en-Provence ont été créées par bien d'autres grands maîtres de cet art. Les commissaires ont choisi de classer les estampes non par auteur, mais par genre. Par exemple, la section consacrée au paysage est particulièrement nourrie. On peut y contempler le remarquable pont sous la pluie d'Utagawa Hiroshige, ses Grue devant le lever du soleil, ou encore Le revers de la grande vague de Kanagawa, l'une des plus célèbres estampes de Katsushika Hokusai. Il y a beaucoup de représentations d'oiseaux et de poissons, mais aussi la majestueuse silhouette di mont Fuji, de scènes de navigation fluviale, de pont en bois, ou des parties champêtres. Rien que cette partie de l'exposition vaudrait à elle seule le déplacement.
Le Nouvel An est aussi un thème cultivé alors. Très souvent, les gravures sont accompagnées par des poèmes. Keisai Eisen a beaucoup travaillé pour ce genre d'ouvrage lié à un événement. Le plus singulier est le nombre non négligeable de représentation de tout le matériel nécessaire à l'écriture, comme cette Encre en forme de fer à cheval d'Hokusai et ces Sceaux et boîtes dessinés par Hiroshige. Il y a aussi un certain nombre de théières et de vases, comme ceux de Ryuryukiyo Shinsai, qui sont de grandes natures mortes en général sur un fond neutre avec très peu d'autres éléments figuratifs. Autre thème très apprécié : les plaisirs de la vie quotidienne : on peut découvrir des scènes de rues avec un grand nombre de passants et mille détails révélateurs de vie dans la cité. Mais ce peut être aussi des scènes de rencontres dans la campagnes ou des voyages. Les déjeuners sur l'herbe l'été sont également un sujet très fréquent. Et la vie domestique la plus commune est magnifiée par ces artistes extraordinaires comme Bunchô ou Harunobu. Sans parler des oeuvres libertines qui ici, ne tiennent pas une place considérable, mais qui ont été très nombreuses (on découvre plusieurs pièces d'Isoda Koryusai).
Il s'agit de magnifier tous les aspects de l'existence dans leur simplicité, leur attribuant de ce fait une valeur poétique nouvelle. Il est à remarquer que tous ces créateurs ont parfois travaillé sur des thèmes classiques, comme des romans anciens ou des événements historiques, souvent déclinés du théâtre kabuki. Si vous le pouvez, allez visiter l'exposition à Aix-en-Provence ou sinon procurez-vous ce catalogue qui constitue une excellente initiation à cet art si raffiné qui n'a cessé de se perfectionner au cours des deux siècles et demi de son existence.




Soulages, Jacques Bellefroid, Editions du Canoë, 48 p., 8 euro.

Pierre Soulages est le dernier représentant de l'Ecole de Paris qui soit encore parmi nous. Ces dernières années, de nombreuses lui ont été consacrées, mais ce sont surtout des « livres d'images », et les essais sont rares. Il faut d'ailleurs souligné que le peintre a plaidé sa cause dans des entretiens et des films, refaisant l'histoire de l'abstraction après la guerre, et déclarant même que l'Américain Franz Kline l'aurait imité ! Il est vrai qu'on a beaucoup affirmé le contraire avec insistance et même cruauté et que le peintre a dû en prendre ombrage.
Quoi qu'il en soit ce livre est très intéressant car l'auteur connaît Soulages et a eu depuis un certain temps un dialogue suivi avec lui. Jacques Bellefroid s'interroge d'abord sur le noir, qui semble depuis longtemps être l'apanage absolu de l'artiste. Or, si le noir a bien été présent dans son oeuvre, qui en connaît le développement peut constater que c'est un aboutissement et non pas une donnée constante. Et il associe le noir à la lumière, expliquant que c'est le paradoxe (dépassé) de sa nature. De l'aveuglement d'OEdipe au soleil noir d'Hölderlin, il tente de cerner (et non de définir) ce que ce noir qui est la seule couleur des derniers tableaux en date. Il d'ailleurs curieux qu'il ne mette pas en avant que les empâtements formés à la surface de la toile sont faits pour emprisonner la lumière en sorte que quand on la contemple, nous ne sommes pas en face d'un surface opaque mais aussi en face d'une surface où la lumière envahit toute la surface.
Ce qu'a fait Jacques Bellefroid est une tentative de relier les ouvrages de cet artiste devenu centenaire à une culture, mais qui est plus littéraire et philosophique que picturale. Mais pourquoi pas ? C'est aussi un excellent moyen pour pénétrer dans cet univers qui pourrait déconcerter encore aujourd'hui certains d'entre nous. Ce livre aune valeur propédeutique : il invite à un voyage et dans une couleur et dans une pratique de cette couleur, qui est toute particulière.




Peintures non peintes, Thieri Foulc, L'Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle Editeur, 192 p., 25 euro.

Je dois dire que j'ignore tout de cet artiste né en 1943 à Tataouine, un oasis au sud de la Tunisie. Il a été un des fondateurs de l'Oupeinpo, l'Ouvroir de Peinture, imaginé à l'image de l'Oulipo. Il a d'ailleurs collaboré au Collège Pataphysique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de poésie et d'essais. Dans ce nouveau livre, il s'est attaché non à décrire d'authentiques tableaux, mais plutôt des tableaux qui n'existent que dans son imagination. L'idée est plaisante et on se laisse volontiers emporter par ce jeu de l'esprit qui devrait aboutir à un jeu de l' « image ». L'auteur s'y prend assez bien et fait s'alterner différents types de peintures, qui peuvent être un sujet d'ensemble ou un détail. En outre, Thieri Foulc réfléchit aussi sur toutes les conséquences possibles de ce genre de comportement.
Il est d'abord persuadé que la peinture fait écrire. Ce faisant, il évoque implicitement la grande tradition critique qui s'est développée depuis Diderot et qui a atteint son sommet au XIXe siècle où les écrivains de renom rivalisaient sur les colonnes des journaux de l'époque. Il expose aussi des considérations techniques, parfois accompagnée de croquis pour rendre clair les principes de construction qu'il énonce. Il décrit aussi des manières de rendre tel ou tel sujet, qui n'est pas nécessairement rendu par son acception la plus évidente. En somme nous voilà en possession d'un manuel pour un art pictural qui s'est transformé en un art scriptural. C'est évident : la limite de cette démarche est son caractère systématique, end épit des variantes apportées. Mais l'aventure mérite néanmoins d'être observée avec soin et - pourquoi pas ? - imitée.




Talus et fossés, Camille Saint-Jacques, préface d'Yves Michaud, L'Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 240 p., 25 euro.

Dans sa présentation, Yves Michaud s'interroge sur ce singulier journal rédigé par un artiste qui est aussi un essayiste. Il ne le décrypte pas, mais s'efforce d'en deviner les ressorts et les rouages. Et s'émerveille de son fonctionnement peu commun et aussi de ses références philosophiques et poétiques. Quand on lit ces pages, ponctués de citations dans diverses langues, on s'aperçoit qu'il n'a de laisse de s'interroger sur les grandes mais aussi sur les petites questions que pose l'exercice de la peinture. Il a tendance à passer au crible chaque principe général qui gouverne la sphère de la création plastique (comme la perspective, par exemple), mais aussi des choses menues, qui pourraient passer inaperçues. Il y a une dimension obsessionnel dans cette démarche, mais aussi une volonté d'aller jusqu'au bout de ce que peut être le sens et la portée de ses menées. Il examine aussi les zones obscures de la création, se demandant comment l'oubli (ce qu'il a rêvé la nuit entre autres) peut jouer un rôle dans sa peinture.
Il s'interroge aussi sur la finalité de la peinture car cette discipline n'est plus du tout celle qu'elle a pu être dans le passé. En somme, ce semainier un peu fantasque est une sorte de remise en cause perpétuelle du moindre de ses faits et gestes dès qu'il se met à peindre ou quand il a achevé une peinture. Il ne voit d'ailleurs pas ce qu'il fait comme un travail : il développe sa pensée sur ce point. Il est entrainer par une curiosité qui est centrée sur lui-même, ou plus exactement qu'il fait apparaître aux yeux de tous. Il parle de protogénèse. D'un côté, l'enquête est fascinante car rarement un artiste va au-delà des questions techniques qu'il peut se poser, des thèmes qu'il aborde ou de son dessein, qui atteint ou non ; de l'autre, on peut être dérouté par cette manière de peser chaque élément qu'il manipule, de le mesurer, d'en examiner la réalité ou la valeur, au lieu de penser l'oeuvre dans sa totalité. Il dit que quand on écrit une phrase, ou oublie trop les mots qui la compose : ce serait la même chose dans l'oeuvre peinte. Ce qui est intéressant dans ce cas, c'est de voir comment un créateur peut disséquer sa création dans un théâtre anatomique qui est sa propre pensée. C'est peut-être excessif, mais c'est aussi une façon très curieuse de jauger cette insaisissable cosa mentale qu'est la peinture, selon l'affirmation de Cicéron.




Le Temps de peindre, Monique Frydman, préfaces d'Eric de Chassey & de Georges Roque, L'Atelier contemporain, 688 p., 30 euro.

Monique Frydman est un cas dans l'histoire de l'art contemporain en France. Elle est passée du dessin à la peinture, et de la peinture à une autre forme d'expression. Mais ce que j'ignorais, c'est qu'elle avait tant écrit. C'est là une somme. La première partie, la plus longue en fait, du volume est constituée par la reproduction en facsimilé de ses carnets de notes de 1973 à 1990. Ce qui est intéressant dans ces carnets, c'est la richesse de ces notes et l'inventivité des esquisses qui les accompagnent et les illustrent. On peut vraiment assister à un processus créatif qui semble se dérouler avec intensité et une certaine nervosité. Mais le plus intriguant dans ce gros volume, c'est la quantité d'entretiens qu'elle a pu donner au fil des ans sur différentes questions concernant la peinture. Avec ces deux parties conjointes, le lecteur peut comprendre comment elle a pu élaborer ses oeuvres pendant près de deux décennies et ensuite, suivre le cheminement de ses pensées à travers ses extrapolations figuratives, ses compositions abstraites avec des signes, la quasi monochromie, comme le très grand tableau intitulé L'Age d'or (1989) puis le passage à des formes géométriques.
Ce qui est déconcertant dans sa démarche, c'est qu'elle passe le plus clair de son temps, en matière de peinture, à revisiter des formules déjà explorées pour les reformuler à sa guise. Les reproductions en couleurs de ses toiles insérées dans ce livre sont plus qu'une documentation. Elles montrent en premier lieu qu'elle ne pouvait pas s'arrêter à une formule dans son art, et que ses interrogations constantes l'ont entrainée à modifier inlassablement son angle de vue. Ces observations, ces visions, ces intuitions réunies dans ses carnets en sont la preuve flagrante. Elle est aussi bien de l'Ecole de Paris de l'après-guerre que du renouveau figuratif de la transavangardia italienne, de la grande peinture géométrique américaines qui est celle du Hard Edge, en somme elle a butiné de droite et de gauche, en n'hésitant jamais à revenir en arrière dans l'histoire d'après-guerre, mais sans jamais s'inscrire dans la perspective d'un mouvement. Elle passe par des phases où elle se met volontairement à l'épreuve et faire sans relâche l'expérience de solutions formelles inédites pour elles, comme si l'histoire de la peinture moderne devait être remodelée sous son pinceau.
D'une certaine façon, ce qu'elle a consigné dans toutes ces pages excède même ce qu'elle a pu en traduire concrètement. C'est l'émanation d'une intelligence indéniable, qui conçoit son art comme une interrogation sur ses sources et sur ce qui la motive. Les quelques textes qu'elle a écrits sont pleins d'esprit et d'originalité. Ce qu'elle dit à propos de Cézanne va à contre-courant de ce qu'on a pu en dire et sa petite page sur le tondo est charmante. Sa Conférence apocryphe sur sa pratique de l'abstraction est également remarquable. Tout en découvrant le revers du décor d'une femme peintre qui a su imposer sa méthode de travail et sa subjectivité, le lecteur est invité à rêver et à méditer avec elle sur le cours de la peinture de ces derniers temps.




Obsession d'automne, Luca Ricci, traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli, Actes Sud, 224 p., 21,80 euro.

Ce roman est assez caractéristique de cette nouvelle génération d 'écrivains italiens qui s'affirment en ce moment dans la péninsule. Assez réaliste, attaché à la vie quotidienne, avec une pointe d'imaginaire qui vient contrebalancé ce penchant pour les choses vernaculaires. Ce livre nous raconte l'histoire d'un homme entre deux âges, qui vit à Rome. Il est marié déjà depuis quelque temps et n'a plus avec son épouse qu'une relation affectueuse, qui semble destinée à décliner peu à peu. La force de l'habitude et un certain confort paraissent être les liens qui les maintiennent ensemble. Un beau jour, il tombe sur une biographie illustrée de seconde main d'Amedeo Modigliani. Il connaît déjà la peinture de ce peintre, mais il est frappé cette fois par les portraits qu'il a brossé de son épouse, Jeanne Hébuterne.
Il tombe amoureux e cette dernière et son esprit se met à vagabonder en songeant à cette jolie jeune femme qui a connu une fin si tragique. Il se met à avoir des élans sensuels inattendus pour Sandra, se douce moitié, qu'il comble soudain avec emportement. Celle-ci ne comprend pas qu'il s'agit pour lui de la réalisation par procuration d'un fantasme qui se cristallise de plus en plus. Mais ce semblant de retour de flamme ne satisfait pas le narrateur, qui est conscient du déclin de son couple (il en parle comme d'un guignol domestique). Il fait alors la connaissance de Gemma, qui lui rappelle un peu le modèle féminin de ses rêves. Il veut résister à cette attirance, mais il finit par succomber à cette attirance. Il sort avec sa femme, rencontre quelques amis et découvre quelles sont leurs aspirations. Mais son désenchantement est immense : l'écriture ne le sauve pas de cette sorte de plongée dans la mélancolie. Il se lie avec un peintre, Clemente (qui est en outre l'ami de Gemma) et son art le fascine au point de vouloir l'imiter. Bien qu'enceinte, Gemma finit par rompre avec Clemente. Le narrateur sait que c'est le moment de la conquérir. Mais elle le repousse car elle craint pour sa grossesse. Tout en continuant à vivre dans son foyer, le romancier romain courtise sans frein la belle imprenable et a aussi des fréquentations plus troubles. L'histoire se termine par des drames, le sien, celui de son ami qui a à peine perdu son amie Carla qui se retrouve en prison et puis l'ombre de Modigliani qui plane sans cesse... Ce roman n'est pas si mal tourné que cela, mais il manque quelque chose qui puisse en faire un ouvrage mémorable. Luca Ricci a ces limites qu'ont les auteurs dont je parlais au début : une professionnalité indubitable, mais qui ne parvient pas à dissimuler une absence de vision globale et novatrice de l'art romanesque.




La Voix et l'absence, Giovanni Fontana, Dernier Télégraphe, s. p., 12 euro.

Je ne savais rien, mais braiment rien de ce Giovanni Fontana et, je dois le reconnaître, j'ignorais jusqu'à l'existence dette maison d'édition, dont je trouve le nom délicieux : Dernier Télégramme. Qu'il y ait une postface de Julien Blaine m'a mis aussitôt sur la voie : c'est sans doute lui qui a mis cette officine en contact avec moi. Mais commençons par le commencement : c'est Pierre Garnier (1928-2014) qui a écrit une préface élogieuse en 1996 où il évoque le fantôme de Stéphane Mallarmé et surtout les mots et leur atelier. Le champion de la poésie spatialiste (qui n'a rien à voir avec le spatialisme de Lucio Fontana) est une forme de poésie visuelle qui tire l'enseignement des grandes avant-gardes du début du XXe siècle (futurisme, dadaïsme, etc.). Il a d'ailleurs formalisé sa pensée sur cette recherche dans un recueil paru chez Gallimard en 1968 : Spatialisme et poésie concrète. Giovanni Fontana n'est pas un disciple de Garnier, mais lui doit beaucoup manifestement.
Julien Blaine, avec sa verve habituelle, raconte sa rencontre avec cet auteur et joue avec son titre, avec un humour gargantuesque et néanmoins subtile. Il faut dire que ce Fontana est autant peintre qu'écrivain : les mots, les lettres, les signes typographiques, des partitions, lui servent à faire des compositions plastiques qui ne cherchent pas à faire sens dans le langage mais sur la rétine de l'oeil. Je ne saurais dire qu'il a voulu arracher au vocabulaire et à l'alphabet leurs fonctions, mais il est certains que ce qui est absent dans sa poésie, c'est justement la fonction des tous ces éléments langagiers pour en adopter une autre fonction, strictement visuel. C'est un paradoxe (mais il n'est pas le premier à le faire) d'utiliser ces signes et ces mots comme matériaux picturaux (c'est ce qu'a fait Arthur Aeschbacher, pour ne citer que lui). Les amateurs pourrait avoir plaisir à prendre connaissance de ces planches en couleurs et y trouver que l'absence peut se révéler un plus. A noter toutefois que l'auteur a glisser quelques fragments de poèmes dans certaines oeuvres, comme un clin d'oeil. Désormais cette pratique est entrée dans les moeurs artistiques. Reste à savoir quelle est son poids esthétique.
Gérard-Georges Lemaire
21-11-2019
 
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Verso n°136

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