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[verso-hebdo]
17-11-2016
La chronique
de Pierre Corcos
Le soleil entre dans la nuit.
La mort de Louis XIV... Quel thème magnifique pour des cinéastes ! L'un s'emparerait de ce motif pour évoquer historiquement la Cour, en ses costumes et coutumes, figée dans la stupeur, l'attente. L'autre réalisateur s'efforcerait de mettre en valeur la saisissante opposition entre l'absolutisme de droit divin, sa superbe, son arrogance, et la mort, cette égalisatrice absolue, la misérable déchéance qui la précède... Un troisième filerait quelques métaphores visuellement, appuierait symboles et archétypes : la gangrène comme putréfaction des tissus, nécrose en profondeur d'un côté, et de l'autre tout le système d'apparat et de cérémonie devant à tout prix persister. Le Roi-Soleil entrant dans la nuit... Parti de ce motif, le réalisateur catalan Albert Serra a créé une grande oeuvre de cinéma (Prix Jean Vigo 2016), qui non seulement prend en compte tous les possibles précédemment cités, mais encore nous invite à l'un de ces grands moments esthétiques (le texte sur la mort de Bergotte dans À la recherche du temps perdu en est un autre) où l'art accompagne les humains dans le ravissement jusqu'au seuil de leur mort. Bien mieux que les médecins (ou charlatans) de l'époque, impuissants devant une gangrène, que la Cour, dont le faste symbolique n'est qu'un déni de la misère biologique, l'oeuvre d'art (musique, littérature, cinéma, etc.) peut synthétiser une radieuse méditation sur la vie, et préparer sereinement à mourir. Le silence, la contemplation, le recueillement participent à cette préparation.

Le silence enrobe, ensache La mort de Louis XIV à un point tel que l'acteur principal, Jean-Pierre Léaud, dans une lettre adressée au journal « Libération », en a fait la substance même dont son interprétation s'est nourrie : « J'ai aimé interpréter ce silence », écrit-il en effet. Quelques rares passages musicaux, dans un registre attendu, des dialogues épars, mais surtout un long silence, touffu et sombre. Bien sûr, ce silence est associé au pouvoir absolu qui bâillonne la critique, le dialogue, la remarque même... Mais il prend ici, encore plus, une valeur de méditation, englobant les vains bavardages sociaux et ouvrant à la paix, voire à la béatitude. Ce silence n'exclut pas le tic-tac d'une horloge, à qui sait tendre l'oreille, ou de discrets chants d'oiseaux à l'aube, ou encore ce léger bourdonnement d'une mouche. Vie puissante, persistante des choses, de la nature, par-delà les morts humaines... Ce silence est tel qu'il étouffe les rares paroles de Louis XIV/Léaud, souvent inaudibles. Il agit sur le spectateur comme une invitation au recueillement. Mais aussi à la contemplation devant une suite de peintures (les peintures sont muettes) générée par une abondance de plans fixes. Ces cercles ocrés par la lueur d'une flamme qu'enserrent des masses de brun sombre : on peut songer à des peintures de Georges de La Tour (La Madeleine à la veilleuse). Ou encore : confronté dans le silence épais à ce visage ridé, grave, mais comme sauvé de la vieillesse par une teinte mordorée, le spectateur peut aussi se rappeler certains autoportraits de Rembrandt... Il y a tous ces gros plans de visages dont les mimiques se sont figées, masques de cire, profils de médaille comme la mort aux aguets les transfigure pour celui qui va disparaître. Mme de Maintenon, comme un oiseau sévère (Irène Silvagni), Blouin, le valet de chambre effacé (Marc Susini), l'austère Le Tellier (que l'on retrouve sous les traits de... Jacques Henric !), etc. autour d'un roi à la peau fripée dont les joues tremblent nerveusement.

Certes, Albert Serra (Honor de Cavalleria, Le Chant des Oiseaux, Histoire de ma mort) a tenu à rester proche de la « vérité historique », celle en tous cas que les mémorialistes, dont Saint-Simon, et les médecins en avaient consigné le déroulement. Et c'est une chronique, s'étendant du 9 août au 1er septembre 1715, confinée dans l'espace clos et oppressant d'une chambre à coucher et concentrée en 1h55 de film, la chronique d'une agonie royale, qui nous est contée. Mais en même temps, en sous-texte cinématographique, cette confrontation à la mort d'un roi nous parle... de notre propre disparition. Chacun n'est-il pas en effet, par son égocentrisme, par l'identification, d'abord, du monde à son monde, un roi pour qui la mort est inconcevable ? Cette histoire (universelle ?) du dépouillement progressif de l'Ego roi par la mort est exactement celle que dramatisait Ionesco dans Le roi se meurt (1962). Ce roi magnifique qui va s'éteindre représenterait donc - et l'identification en est facilitée par le choix de Jean-Pierre Léaud - chacun de nous. Et ce n'est pas pour rien que le cinéaste choisit les seules scènes où le sourire, la tendresse viennent crever le mutisme funèbre où s'enferme le mourant : quand il cajole ses chiens, et quand il embrasse son arrière-petit-fils, le futur Louis XV alors âgé de cinq ans. Des animaux, un enfant : symboles d'une vie innocente qui continue et, mieux que les prêtres, console le mourant de toutes ses fautes.

Alors, plus qu'une évocation historique somptueuse, baroque de La mort de Louis XIV, plus qu'une réflexion éthique ou religieuse sur la vanité de tout pouvoir et notre condition mortelle (le memento quia pulvis es et in pulverem reverteris chrétien), le film d'Albert Serra esthétise un certain nombre d'éléments avec subtilité (la pénombre, le silence, les dernières visions), faisant en sorte que ces leçons de Ténèbres (ailleurs genre musical liturgique, mais ici genre cinématographique) apprennent à maîtriser un peu, et par de belles représentations méditatives, la terreur devant l'irreprésentable du néant.
Pierre Corcos
17-11-2016
 
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Verso n°136

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