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[verso-hebdo]
14-01-2021
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Les Nymphéas Monet, Cécile Debray, Editions Hazan / Musée de l'Orangerie, 188 p., 45 euro.

Le magnifique ensemble des Nymphéas qui se trouve de manière permanente dans les sous-sols du musée de l'Orangerie peut être considéré comme l'oeuvre testamentaire de Claude Monet. Mais peut-être est-ce là une interprétation un peu trop rapide car la mort l'a déjà emporté quand ce travail monumental est enfin inauguré en 1927, un an après sa mort. Il fait en tout cas parti de son ultime grand projet qui s'est formulé après qu'il eût fait l'acquisition de sa belle demeure sur les bords de la Seine à Giverny en 1890. Il se marie en secondes noces avec Alice Hoschedé deux ans plus tard et, le ménage installé, il songe à construire un « jardin d'eau » : il achète en 1893 un terrain attenant qu'il transforme en y installant un grand bassin qui est surmonté d'un pont à la japonaise. L'entreprise n'est pas indifférente : aidé par un jardinier très compétent, il commence alors à imaginer ce lieu en y plantant des arbres et des fleurs qui sont une sorte de composition qui plie la nature à sa fantaisie. Au lieu d'aller, comme autrefois, chercher dans les campagnes les sujets de ses toiles, il a conçu un lieu qui devient l'objet unique de son univers pictural. Le grand cycle des Nymphéas y a trouvé son origine et s'est développé pendant toutes les années qui suivent. La commande publique de son ami Georges Clémenceau, grand amateur d'art (il a été aussi l'ami d'Edouard Manet, entre autres), est un défi pour le vieil homme qui, de surcroît a de graves problèmes oculaires qui le forcent à se faire opérer après bien des atermoiements (Clémenceau ne cesse de le pousser à cette intervention risquée pour qu'il puisse terminer ce gigantesque ouvrage qui doit couvrir les murs d'une vaste salle de l'Orangerie de forme ovale). C'est une aventure qui est aussi connue désormais que la réalisation des fresques de la chapelle Sixtine par Michel-Ange. Dans ce superbe volume, on y découvre l'ensemble de cette peinture, avec de très nombreux détails de qui permettent de découvrir l'oeuvre non plus dans sa totalité mais, à l'inverse, dans toutes ses nuances les plus infimes. Les commentaires sont succincts mais justes et la chronologie permet de se rendre compte de ce qu'a pu représenter l'exécution de ce groupe qui, en fin de compte, ne forme qu'une seule et même invention circulaire - une sorte de panorama qui ne suit quelles règles édictées par la peinture. On découvre grâce à tous ces clichés que Minet s'est rapproché de l'abstraction d'assez près (même si ce n'a pas été son objectif premier) et qu'il a tenté en tout cas de pousser le plus loin possible sa transcription de la réalité sensible en tablant sur la fluidité de ce qu'il a choisi de représenter : les eaux calmes du petit lac artificiel et les plantes aquatiques. Cet ouvrage est en enchantement, bien sûr, mais aussi un bon instrument pour découvrir en quoi a pu consister l'art de Monet.




Méliès, la magie du cinéma, Laurent Mannoni, préface de Martin Scorsese, Flammarion / La Cinémathèque française, 344 p., 45 euro.

Ce très beau livre doit son existence à l'ouverture du musée Méliès à la Cinémathèque française. Ce n'est pas, et de loin, le premier livre sérieux qu'on a pu écrire sur ce grand pionnier de l'art cinématographique, mais c'est sans aucun doute le plus beau avec de très beaux photogrammes tirés de ses créations dans un format non négligeable. Georges Méliès (1861-1938). Qu'il fasse partie des fondateurs du cinématographe avec les frères Lumière n'est pas une petite affaire. Ses parents étaient fabricants de bottes de grande qualité boulevard Saint-Martin à Paris. IL a fait ses études au lycée Michelet et au lycée Louis-le-Grand. Une fois obtenu son baccalauréat, il a dû faire trois ans de service militaire. Il se rend ensuite à Londres et rencontre le célèbre illusionniste anglais John Nevil Maskelyne et il étudie la magie. Quand il rentre à Paris en 1885, il veut entrer à l'Ecoles des Beaux-arts, mais son père refuse. Il doit travailler dans la société de ce dernier. Mais il n'abandonne pas sa passion pour la magie et se rend au Théâtre Robert Houdin. Il s'intéresse aussi aux projections faites par Emile Voisin au musée Grévin ou passage Vivienne. Les années qui suivent, il invente une trente d'illusions nouvelles et surtout leur imprime une trame dramatique. Il dessine des caricatures pour le journal de son cousin, La Griffe, et crée le théâtre Méliès. En décembre 1895, il assiste à une projection privée des frères Lumière. Enthousiasmé par ce spectacle, il leur propose d'acheter une de leurs machines. Mais ils refusent. Alors, il se tourne vers une invention anglaise, l'animatographe, qu'il modifie et perfectionne. En 1896, il fait breveté, avec Lucien Kirsten, le kinétographie, surnommé le moulin à café à cause du bruit que faisait cette machine. Un an plus tard, il l'abandonne et achète une caméra Gaumont. Entre 1896 et 1913, il tourne plus de cinq cents films. Il a créé sa compagnie, The Star Film Company. Il ne tarde pas à introduire des effets spéciaux. Il ne cesse d'ailleurs d'élargir le champ de ses illusions. En 1996, il fait bâtir des studios à Montreuil. Un an plus tard, il transforme le théâtre Houdain en une salle de projection. Il choisit ses principaux sujets dans l'histoire (comme, par exemple, Jeanne d'Arc, dans la littérature (comme Cendrillon de Perrault), mais aussi dans les anciennes légendes. Cependant, il ne s'éloigne pas de l'actualité et réalise, entre autres, L'Affaire Dreyfus. Il fait même des films publicitaires. En 1902, il tourne Le Voyage dans la Lune, qui obtient un grand succès. On commence à faire circuler ses films à l'étranger. Mais si a réussite est au rendez-vous, elle ne durera pas longtemps : il réalisa ses derniers films en 1913. Les progrès constants de la technique et les mutations du goût du public font péricliter son affaire pourtant florissante. Il devint très tôt un ancêtre de cet art, vite oublier. Des metteurs en scène vont leur apparition, des vedettes séduisent les spectateurs, de sujets plus romanesques et surtout moins fantastiques plaisent à la fin de la Belle Epoque. Ce livre est remarquable à plusieurs points de vue. En premier lieu, il résume l'histoire de la projection des images depuis les lanternes magiques, et montre une grande partie des innovations apportées rapidement aux techniques pour en arriver enfin au film. Sans ce préambule, il est difficile de comprendre l'esthétique et les moyens employés par Méliès. De plus ses débuts sont bien expliqués car il a débuté avec la scène. Son imaginaire prolifique est issu de cet univers théâtral de l'illusion. On découvre aussi ses premiers projecteurs, et aussi ses premiers trucages, qu'il applique dès 1896 comme Salut malencontreux. Tous ces documents réunis ici permettent de se faire une idée plus profonde de son génie dans un genre qu'il invente complètement (les Lumière en restent à ce qu'on appelle aujourd'hui aux documentaires). Il convient de mettre à son compte poésie et fantaisie, onirisme et sens de la mise en scène qu'on va retrouver dans les grandes comédies musicales de l'entre-deux-guerres. Ses oeuvres étaient des machines à rêver et le livre fait renaître de bien vieux souvenirs ! Enfin, il contient des essais écrits par Jean Renoir, Marcel L'Herbier, Jean Cocteau, Man Ray, Jean Epstein, Luis Buñel, René Clair, Georges Franju, jusqu'à une génération récente de réalisateurs. Cet hommage et cette réhabilitation viennent bien tard bien qu'il ne fut jamais tout à fait oublié. Mais c'est là le vadémécum pour découvre son oeuvre dans toute splendeur. Certains de ses films ont été réédités en DVD : si vous ne les connaissez pas, regardez les quand vous lirez ce magnifique ouvrage. Ils vous surprendront et vous émerveilleront.




Mots cueillis dans un jardin d'amitié, Zao Wou-Ki, Dominique de Villepin, Flammarion, 104 p., 35 euro.

Ce livre se présente comme un ouvrage d'artiste traditionnel avec les poèmes de Dominique de Villepin et les encore de Za Wou-Ki. La chose la plus amusante dans ce volume, c'est qu'apparaissent d'abord les textes traduits en chinois ! Il faut ouvrir le dépliant pour découvrir l'oeuvre de l'artiste et le texte en français. Mais ce n'est pas un problème : cela donne à l'ensemble un tour exotique. Ces encres polychromes ont été réalisées en 2006 quand Dominique de Villepin a proposé ses textes. Quand il est arrivé en France en 1948, le peintre chinois a découvert un univers singulier puisque l'Ecole de Paris était alors essentiellement composé de peintres ayant opté par l'abstraction - ou, pour être plus juste, de différents types d'abstraction. Paradoxalement, ces formes d'art étaient plus proches de la peinture traditionnelle de son pays d'origine car les formes étaient souvent « abstraites » : elles étaient sire résumées à des signes en suggérant la nature. Il a bientôt imaginé de rendre compatibles ces deux formes d'expression. Ses compositions s'inscrivent parfaitement dans la lignée de ce qui se produisait dans ce domaine en France, mais n'en perdait pas pour autant sa nature culturelle d'origine. Son oeuvre est donc devenue très particulière et aussi très prisée. Il n'a pas tardé à devenir l'un des artistes abstraits les plus considérés. Ce pont tracé entre l'Orient et l'Occident est devenu le symbole d'une nouvelle orientation de la peinture moderne. Je dois reconnaître que les pages écrites par Dominique de Villepin où il évoque la personnalité et l'art de Za Wou-Ki sont très pertinente et nous éclaire sur la recherche esthétique de cet artiste, mais aussi sur la manière qui a été la sienne de le percevoir. Ce n'est pas le sommet de la critique d'art nu même de la littérature, mais une excellente introduction à ce qui a fait la spécificité de ce homme partagé entre deux culture peu compatibles a priori. Cet album représente une belle introduction à cette oeuvre qui fait désormais partie de notre patrimoine.




Martin Barré, Flammarion / Centre Georges Pompidou, Paris / MAMCO, Genève, 240 p., 45 euro.

Martin Barré a été un cas très singulier dans la sphère de la peinture française dès le début des années 1950. Il ne s'est pas inscrit dans l'esprit de la peinture abstraite qu'avait développé l'Ecole de Paris, bien qu'elle ait favorisé toutes sortes d'expressions plastiques. Il se révèle plus proche de la peinture américaine de l'après-guerre, sans pourtant en être un épigone. Après une période propédeutique où il a cherché sa voie (mais déjà avec des idées bien précises sur les directions à ne pas prendre), Martin Barré s'est de plus en plus orienté vers un art où la géométrie joue un rôle prépondérant. Il opte pour un jeu de formes géométriques remplies de stries parallèles. Pour en arriver là, au début des années 1960, il a voulu « désencombrer » l'espace de la surface peinte et s'est servi d'un trait ou de quelques traits La décennie suivante, il organise la toile en fonction de constructions plus complexes pour donner vie à l'espace convoité. La décennie suivante, il décide de construite la toile selon des séries de carrés placés souvent en diagonale. Ils sont inscrits par séries, mais pas de manière systématique : il se limite parfois à une seule forme, parfois à une série remplie de stries. Il y a une propension au minimalisme, mais qui n'exclue ni l'émotion, ni la diversité. Il recherche un moyen terme entre deux modalités qui, a priori, sont opposées. Il ne tarde pas à trouver un accord entre une peinture formelle et une liberté dans l'expression sensible. Les stries elles-mêmes vont désormais au noir au gris en passant par toutes sortes de nuances, mais aussi du bleu au rose ou au rouge. IL est ainsi parvenu à mettre en scène l'essence de sa pensée du tableau, qui devient un jeu entre des géométries de plus en plus ludiques, mais qui ne renoncent jamais à leur simplicité graphique. A partir de la moitié des années 1970, il est clair qu'il est en pleine possession de ses instruments pour définir des surfaces où la couleur a repris ses doits et où les lignes et les plans sont définis avec liberté. Malgré la poursuite d'une relative rigueur, il est en mesure d'imprimer une poésie intense à ses compositions. Vers 1977, il a l'idée de cerner ses traits d'une fine ligne noire. Ces lignes sont dédoublées et des pages colorées y sont insérées. Ce lointain héritier du constructivisme ne cesse d'enrichir un langage plastique abstrait et géométrique tout en trouvant des solutions nouvelles pour l'affirmer. C'est en tout cas à partir de cette date qu'il atteint son épanouissement esthétique (même si la période précédent était remarquable). Désormais, il se libère des lois qu'il s'était imposées et peut introduire une grande diversité danses propositions plastiques. Ce riche catalogue nous donne toute la mesure du talent de cet homme exigeant mais qui a su dépasser plusieurs fois des formules trop mécaniques qui auraient pu éteindre sa créativité. Il a une place importante dans notre histoire récente - place qui ne lui a pas encore été donnée (comme c'est le cas pour Jean Degottex ou Albert Bitran). Son histoire s'est arrêtée en 1993. Elle n'a jamais été oubliée, mais elle n'a pas connue les faveurs du public, n'intéressant qu'un petit cercle d'amateur. Cette exposition et ce livre devraient entrainer un changement d'optique.




Automoribundia, 1888-1948, Ramòn Gòmez de la Serna, traduit de l'espagnol par Catherine Vasseur, 1040 p., 34 euro.

Ramòn Gòmez de la Serna (1888-1963) fait partie de cette poignée de très grands écrivains du XXe siècle qui, en France, n'a pas encore été estimé à sa juste valeur. Son oeuvre est considérable, mais le plus important est qu'elle est extraordinaire dans tous les domaines qu'il a abordés, du roman à l'essai, de la biographie aux aphorismes. L'un de ses chefs-d'oeuvre (à mes yeux) est El Pombo, un ouvrage énorme où il a tenu la chronique des événements qui se sont déroulés dans ce grand café qui a été le centre culturel de Madrid sous sa houlette. Il y raconte la vie littéraire, artistique, musicale, intellectuelle, journalistique de la Madrid d'avant la guerre civile. C'est à la fois l'histoire d'un moment exceptionnel de la culture espagnole, mais aussi le tableau pittoresque mais judicieux de tout un univers qui a donné naissance à la modernité hispanique. Bien qu'il ait tenu à retracer toutes ces figures avec précision, on a l'impression de se plonger dans un immense roman. Avec lui, la vérité devient romanesque. Et c'est aussi ce qui se passe dans cette « autobiographie d'un moribond », où il dépasse de beaucoup les frontières du genre. Il n'enjolive pas sa propre existence, mais la rend palpitante et aussi riche qu'une fiction picaresque. Tout son génie littéraire réside dans cette faculté rare de transformer les faits les plus communs en une aventure qui ne connaît jamais de points morts. Ce livre a été écrit dans des circonstances particulières : il a décidé de quitter son pays natal en 1936 en donnant pour prétexte le climat ingrat de Madrid l'hiver. Il décide alors de s'installer à Buenos Aires (il a écrit sur cette ville un livre étonnant). Il le publie à l'Editoria sudamericana en 1948. A cette époque, il a perdu le contact avec son pays d'origine et vit douloureusement son exil en Argentine. Les événements tragiques qui ont entrainé la chute de la République et puis la guerre qui a frappé le reste de l'Europe n'ont fait qu'accentuer cette coupure irréparable. Alors il se penche sur son passé et en fait une épopée balzacienne, avec beaucoup d'esprit et d'humour. Mais on a vite le sentiment qu'il s'est efforcé de faire en sorte que le lecteur suivent le cours du temps comme s'il s'agissait d'un paradis perdu, et pas seulement de son enfance ou de son adolescence, mais aussi d'une vie intellectuelle et créative qui n'est plus et qui ne semble plus intéresser personne. Il a tenté de se rappeler au souvenir de ses contemporains, mais, en fin de compte c'est un message qu'il adresse à ceux qui le redécouvriront dans l'avenir. Sa description de Londres pendant les fêtes de Noël est une pure merveille. Je pourrais dire la même chose quand il dépeint de la salle de rédaction de la revue que son père a créé (et a dirigée) quand il a terminé ses études de droit à Oviedo. La richesse de son expérience dans la sphère de la culture est ici développée non pour que ce livre soit le panégyrique de son intense activité dans la presse ou dans la création livresque, mais est un tour de force absolument vertigineux. Comment évoquer à vos yeux ce livre exceptionnel ? Je ne saurais par quel bout le prendre. Ne soyez pas effrayés par son volume et le nombre imposant de ces pages : Gòmez de la Serna se lit comme on lirait un livre d'Alexandre Dumas, alors qu'il en est le seul héros aux pries avec une foule grouillante de personnages passionnants. Je le souligne encore et encore : ce livre est un pur chef-d'oeuvre et nous fait oublier les tristes mémoires des auteurs français. Ce n'est que délectation et aussi le sentiment de partager toute une vie dont chaque second mérite d'être consignée par écrit. A ne manquer sous aucun prétexte.




Le Crépuscule de Shigezo, Sawako Ariyoshu, traduit du japonais par Jean-Christian Bouvier, Folio, Gallimard, 368 p., 8, 50 euro.

Nous sommes ici bien loin de la grande et superbe tradition littéraire japonaise, et aussi on ne peut plus y voir un prolongement de ce que la XXe siècle a pu produire de mémorable, de Kawabata à Mishima. L'histoire qui nous est racontée est une chronique familiale dont on ne nous épargne aucun détail. Il n'y a pas de trame au sens propre du terme, mais les faits et gestes des membres d'une famille de petites gens vivant à Tokyo. Ce qui ressort, c'est le destin malheureux d'une jeune femme, Akiko, qui doit régenter la maisonnée car son beau-père, autrefois omnipuissant, qui peu à peu devient sénile et donc incapable d'exercer son autorité. Akiko est prise au piège et doit assumer toutes les responsabilités et aussi toutes les tâches, tout cela pour montrer que de ce point de vue la société japonaise n'a pas énormément évolué alors que, depuis la guerre, elle est entrée dans une phase complètement nouvelle. Ce n'est pas le sujet traité qui pose problème, mais plutôt la suprématie du constat sociologique qui l'emporte sur la fiction. Il s'agit dans ce cas d'un essai narré de manière romanesque ! C'est plutôt ennuyeux et cela est bien loin du modèle fourni par Gustave Flaubert avec sa Madame Bovary. Ce grand livre est aussi une dénonciation, mais Flaubert a su en faire une histoire dramatique au-delà d'un propos qui dénonce la société de son temps. Mais, hélas, Le Crépuscule de Shigezo ressemble à beaucoup de ces livres construits avec soin, un peu mécanique dans leur développement et surtout sans âme, qui envahissent nos librairies. La littérature est détournée au profit d'un « roman expérimental » poussé jusqu'à ses ultimes conséquences  sans le talent de Zola !




Photographies, François Rouan, Galilée, 420 p., 40 euro.

François Rouan (né à Montpellier en 1943) a été depuis longtemps reconnu comme un des meilleurs artistes abstraits français de sa génération. S'il a été assez proche des idées du groupe Supports/Surfaces dans sa jeunesse, il n'en a pas mois écrits des souvenirs sur Balthus, qu'il a connu lors de son séjour à la Villa Médicis a fait l'éloge d'André Derain en 1985. Il change d'orientation pat la suite pour en venir à des compositions faites de tressages ou alors de papiers collés. Il privilégie l'abstraction, mais ses géométries sont sans cesse détournées et déformées pour donner naissance à des espaces qui reposent sur des distorsions et des dérèglements linéaires. A la fois apollinien et un peu dionysiaque, il recherche des surfaces qui se proposent comme autant d'énigmes spéculaires. Et il n'abolit pas systématiquement la figure, comme le prouve, par exemple, Figure de Venise (1999). Beaucoup ignore (comme moi d'ailleurs) qu'il s'est beaucoup consacré à la photographie ces dernières décennies. Ce qui frappe quand on découvre ces clichés, c'est que l'artiste a recours à toutes sortes de techniques qui ont été inventées lors de la création de cet art et qu'il n'hésite pas à emprunter des subterfuges employés par les avant-gardes. Il n'a pas une méthode définie. Il aime jouer avec ces moyens qui lui sont offerts et les emploie selon l'idée que tel ou tel sujet lui suggère. On remarque ensuite qu'il a recours souvent à la figure humaine, en particulier à des nus féminins. Là encore, pas de règles : il joue avec des vues de la nature comme avec les corps. On a le sentiment que la photographie est pour lui un médium lui permettant de combiner des éléments disparates et de les fondre dans un espace qui ne cherche pas sa cohérence mais, au contraire, des contrastes et des rapprochements insolites ou inattendus. C'est en somme un journal de sa pensée qui, grâce à cette échappée loin de la peinture ou de ce qui peut lui être assimilé, lui permet de ne pas se laisser prendre au piège de la répétition d'une formule qui ne ferait que consolider. Il est aussi à souligner qu'il peut très bien retenir des vues qui sont quasiment ou totalement réaliste sans passer par le filtre des superpositions et d'autres combinaisons permettant de métamorphiser le sujet. En définitive, François Rouan travaille avec son appareil et puis avec ses montages plus ou moins élaborés avec beaucoup plus de liberté qu'avec ses toiles : il n'a pas une écriture à défendre. Il est d'ailleurs remarquable qu'il ne tienne pas à ce que ses créations soient immédiatement reconnaissables comme étant siennes, comme on reconnaît au premier coup d'oeil une oeuvre de Man Ray ou de Josef Sudek. Il s'explique d'ailleurs, avec brièveté, de sa manière de procéder en dialoguant avec des écrivains (Bernard Noël ou Marguerite Duras par exemple) ou des historiens d'art (comme Hubert Damisch). Ce fort volume nous révèle un aspect vraiment inconnu de sa démarche (il a pourtant fait aussi des films). Sa recherche se révèle beaucoup plus vaste et riche qu'elle ne l'est déjà dans sa « peinture ». Son Journal d'atelier est la démonstration qu'en dépit de sa rigueur dans la confection de ses toiles, il passe par toutes sortes de phases qui vont d'un surréalisme très marqué à un réalisme tempéré, en passant par toutes sortes d'étapes expérimentales. Si l'on veut comprendre qui est François Rouan, ce livre se révèle indispensable, car on trouve des écrits de sa main, qui sont très précieux et des commentaires de contemporains qui peuvent nous éclairer. Tout créateur a son jardin secret. Cela l'est pour nous par manque de curiosité ou par superficialité. Nous savons pourtant qu'il a toujours aimé utiliser divers procédés, comme la lithographie, la gouache, le vitrail, la tapisserie, entre autres. Ce qui sort de son atelier est le fruit de ces spéculations offertes par l'exploration de ces modalités différentes. Ainsi ces Photographies nous feront encore apparaître un axe de sa réflexion.




Les Trente-six vues du mont Fuji, Hiroshige, Jocelyn Bouquillard, Hazan, 144 p., 29, 95 euro.

Cent vues d'Edo, Hiroshige, Anne Sefrioui, Hazan, 240 p., 35 euro.


Chaque année, pour la période des fêtes, les éditions Hazan nous régalent de très beaux coffrets contenant des recueils de xylographies de grands artistes de la période d'Edo. Cette fois, nous avons droits à deux magnifiques livres d'Utagawa Hiroshige (1797-1858). Issu d'une grande famille de samouraïs, il n'a pas choisi le métier des armes, mais celui de la xylographie. Il est l'élève du grand maître Utagawa Toyokuni et d'un de ses disciples, qui le prend en charge quand il a quatorze ans. Il étudie aussi les techniques du style Kano, celle de l'école Shijo et puis étudie l'art chinois. Il s'initie aussi à la perspective occidentale. Il a pu signer une de ses oeuvres à partir de 1812. Avant cela, il a collaboré à de nombreux volumes d'Utagawa, dont des portraits. d'acteurs du kabuki ou de beautés féminines. Il ne commence à réaliser ses paysages qu'à la fin des années 1820. Vers 1831, il publie les Dix vues célèbres de la capitale orientale où l'influence d'Hokusai est notable. L'année suivante, il a l'occasion de prendre la route de la route de Tôkaïdô lors d'une procession se rendant à Kyoto, voyage qui lui inspire les Cinquante-trois étapes du Tôkaïdô. Il exécute des paysages de la région d'Ômi en 1834, puis de Kyoto en 1835. Quand il ne connaît pas un lieu, il n'hésite à l'imiter de gravures déjà existantes. Il achève les Quatre-vingts vues des environs d'Edo vers 1838 et travaille sur les Quarante-six étapes du kiso-Kaïdô entre 1835 et 1842 en collaboration avec Keisai Eisen. C'est aux alentours de 1848 qu'il termine les cent dix-huit gravures des Cent vues les plus célèbres d'Edo. Il a gagné une grande réputation et a plusieurs élèves. En 1856, il devient un moine bouddhiste et meurt à l'âge de soixante-deux ans. Parvenu à sa maturité, son art manifeste ses innombrables influences. Mais cela ne l'a pas empêché d'affirmer un style inimitable, où il met l'accent à la fois sur une conception de l'espace, du monde végétal et animal, du paysage dans son ensemble et des figures humaines qui est encore liée à la tradition japonaise tout en montrant une disposition plus grande pour le réalisme et sur le modelé de ses sujets. L'ancien et le moderne se conjuguent dans ses oeuvres et lui permettent aussi d'imaginer des scénographies spectaculaires et magnifiques. La série du mont Fuji traite d'un sujet devenu un classique de l'art nippon. Cette éminence volcanique a une valeur religieuse, symbolique et aussi esthétique qu'aucun artiste ne peut négliger : c'est un peu l'essence du pays que cette montagne impressionnante matérialise. Hiroshige n'a d'ailleurs pas introduit des principes formels très novateur dans cette représentation. Mais il a su en rendre la beauté et la grande majestueuse dans une suite de paysages plus ou moins rapprochés où tous les éléments sont présents. La présence humaine est réduite à quelques barques de pêcheurs, ou à quelques rares voyageurs sur une route qui serpente à flanc de colline. Les architectures aussi sont peu nombreuses et toujours modestes par rapports aux reliefs, aux champs, aux lacs, aux plaines. Il a même voulu, comme Hokusaï, introduire une grande vague au premier plan d'une de ses gravures. Parfois la scène est assez détaillée, d'autres fois, elle est plus abstraite. Mais il n'y a rien de systématique dans sa manière d'aborder sa création : il peut y avoir une embarcation ou une porte monumentale au premier plan, avec des figures plus grande. Le tout est un émerveillement avec une pointe de nostalgie. Dans ces Cent vues d'Edo, l'artiste n'a pas désiré sacrifier au pittoresque ni jouer sur le registre du superlatif. Tout au contraire : il a misé sur l'économie des moyens, sur une certaine retenue dans l'élaboration plastique et les couleurs. Sa « palette » est minimale et ne cherche pas de grands effets, mais des harmonies douces. Dans les Cent vues d'Edo, il évoque sa ville natale (qui deviendra ensuite Tokyo), en faisant voir ce qu'elle possède de plus charmant et aussi de plus charmant dans son urbanité. C'est d'une grande subtilité, mais aussi la volonté de voir les choses telles qu'elles ont été à son époque. Ces deux albums sont des bijoux, il n'y a rien de plus à dire. En espérant qu'ils feront mieux connaître ce graveur hors du commun.




Dürer par le détail, Till-Holger Borchert, Hazan, 320 p., 29, 95 euro.

Sans nul risque de me tromper, je peux avancer qu'Albrecht Dürer (1471-1528) a été l'un des plus grands artistes de la Renaissance. Bien sûr, l'Allemagne et les Pays-Bas de cette période ne sont en reste au regard de l'Italie qui, le plus souvent, est idéalisée pour avoir laissé autant d'oeuvres prestigieuses et mémorables que l'Italie. Mais il ne faut pas les négliger pour autant. Formé à l'orfèvrerie dans l'atelier de son père à Nuremberg. Il apprend aussi la gravure. Il étudie chez son parrain Anton Koberger, qui est imprimeur qui a sorti de presse La Chronique de Nuremberg. Son apprentissage terminé, il se serait rendu à Colmar dans l'atelier de Martin Schongauer. IL aurait voyagé en Hollande et aurait suivi le cours du Rhin. Quand l est arrivé à Colmar, son maître serait déjà mort. Il s'est alors rendu à Bâle chez un de ses frères, Georg. Il y a fait la connaissance de plusieurs éditeurs et a réalisé une page-titre des Lettres de saint Jérôme. Il est parti ensuite à Strasbourg, C'est là qu'il aurait fait ses premiers portraits. Il est rentré à Nuremberg l'année suivant et y a épousé Agnes Frey. A l'automne, il a effectué un voyage en Italie du Nord (Pavie, Padoue, Florence, Venise). A Venise, il a exécuté La Vierge de la fête du rosaire. Ce livre est divisé par grands thèmes. Il y a par exemple celui des visages, c'est-à-dire des portraits où l'artiste montre sa capacité d'égaler ses pairs italiens, mais aussi d'y imprimer l'esprit nordique. Au fond, pas grand chose ne sépare dans ce cas les plus grands peintres de la péninsules et Dürer. Cependant, c'est cette capacité rare et brillante de fusionner deux façons assez différentes d'envisager la traduction du monde tangible qui fait sa force et même son génie si le mot n'était pas si galvaudé. Une plus grande différence est sensible dans ses paysages. Il faut se souvenir que le paysage alors n'est que rarement un sujet en soi, sauf aux Pays-Bas. C'est ce qui relie le sujet traité (il n'est que de voir la Mona Lisa de Leonardo da Vinci). Chez Dürer, on sent son souci de restituer les caractéristiques du monde germanique et d'exalter sa beauté comparable à aucun autre lieu dans l'Europe qu'il a connue. Et cela est aussi notable quand il décrit des villes, bien loin des villes idéales ou imaginaires de la Renaissance italienne. Et il y a autre chose de frappant : la tension dramatique dans les représentations religieuses / il est évident qu'il est plus proche de ses prédécesseurs germaniques que de l'école néoplatonicienne de Florence. C'est une forme culturelle qui a marqué ici un écart important. Ce que cette étude nous apporte, ce n'est pas de renouer avec des oeuvres qui nous sont bien connues pour la plupart, mais plutôt d'apprendre à regarder de plus près qui en fait l'essence. L'auteur a voulu mettre en exergue ce que Daniel Arase avait étudié dans son livrée Le Détail, mais par pour faire la démonstration que les détails pouvaient révéler des incongruités ou des énigmes symboliques : c'est le style, la manière de peindre, le penchant prononcé pour la gouache et l'aquarelle, peu commun à l'époque, le traitement de la nature, le goût du détail réaliste quand il recompose une plante ou un animal, la façon de composer la scénographie d'une scène de la vie du Christ ou de celle de Marie et enfin de comprendre cette incroyable symbiose entre deux théories de l'art pictural. Ce livre est une initiation solide à ce qui a fait de Dürer l'exception de génie qui le place à égalité avec les plus illustre de son temps - Raphaël, Léonard, Michel-Ange, Titien, Tintoret. Il n'annonce pas une nouvelle métamorphose de l'art, qui se présentera au cours du Cinquecento. Il est de ceux qui ont conclu avec éclat une saison magnifique de l'art occidental avec une pénétration peu commune. Personne ne lui a demandé d'être prophète, mais il est parvenu à atteindre les confins non seulement d'un raffinement pictural extrême, mais aussi d'une connaissance prodigieuse de tout ce qu'il a pu abordé, de la nature à l'homme, avec une subtilité inégalable dans le portrait.




Un cheval, des silex, Benoît Maire, introduction par Sally Bonn, Editions Macula, 128 p., 15 euro.

Les Editions Macula nous ont habitué à des ouvrages de grandes valeurs ou alors d'une certaine originalité. C'est la première fois que je me suis retrouvé avec un livre publié par leurs soins d'un intérêt assez médiocre. Je ne sais pas qui est Benoît Maire (ce qui est une faute sans doute, mais que j'assume très bien), et je suis assez déconcerté par les propos dont il nous accable. Il y a des banalités ou alors des truismes, des idées toutes faites et enfin une écriture assez médiocre. L'auteur abuse du jargon dérivé de la philosophie moderne et semble faire reposer sa cause sur celle des auteurs qui se proposent comme des philosophes. Et puis il décrète des choses qui sont assénées comme des vérités : « Le poids d'un mot est esthétique ». Je m'interroge. Pas vous ? Je ne tiens pas à dépiauter ce charabia qui mélange des arguties philosophiques et des descriptions de travaux dont on ne comprend ni les tenants ni les aboutissants. Il suffit de lire la préface de Sally Bonn qu'on est désormais dans un univers artistique qui cherche ses fondements dans ce qui passe pour être la pensée moderne, avec son langage abscons et ses interrogations qui singent les motus de la philosophie de ces dernières années. On a pu parler d'Héraclite l'obscur. Ici on parlera de deux complices obscurs et pourtant transparents ! Ils font feu de tout bois pour justifier l'injustifiable.




Le Jardin des supplices et autres romans, Octave Mirbeau, édition établie et présentée par Pierre Glaudes, « Bouquins », Robert Laffont, 1440 p., 32 euro.

Octave Mirbeau (1848-1917) n'a jamais eu la consécration de figurer dans la prestigieuse collection La Bibliothèque de la Pléiade, alors que George Sand, romancière d'un moindre calibre y figure. Je m'étonne et cette anthologie d'oeuvres de cet immense écrivain dans l'excellente collection « Bouquins » de Robert Laffont est une première réparation qui vient à point nommé (il faut savoir que cette oeuvre romanesque complète a paru chez Buchet/Chastel dans une bonne édition, mais peu accessible à un large public à cause de son prix) . Pamphlétaire de haute volée, dreyfusard militant, il a mené un combat acharné contre les injustices sociales, le colonialisme, le nationalisme béat, anticlérical, il avait une forme de pensée anarchiste, mais sans aller jusqu'aux extrêmes de l'attentat aveugle. Sa vision du monde se reflète dans ses romans, même s'il n'a pas versé dans la littérature sociale comme Emile Zola. Il a aussi été un critique d'art hors pair (et prolifique) capable de comprendre les différentes orientations de l'art le plus avancé de son temps. Il est aussi l'auteur de nombreuses nouvelles et de pièces de théâtre. Jean-Paul Sartre l'avait qualifié d'« irrécupérable ». Et c'est bien le cas : Mirbeau a cassé le fil de la tradition romanesque qui s'est installé en France depuis Balzac. Quelques soient les différences, cet art avait conservé des règles de base, en particulier la linéarité narrative. Il retrouve l'esprit d'un roman construit avec plus de liberté et retrouve l'esprit de Jacques le fataliste de Diderot sous une forme très diverse bien sûr. Il se moque vertement des milieux politiques de notre pays à toute fin du XIXe siècle dans des termes caricaturaux violents. Les rebondissements de l'action entrainent le narrateur à Ceylan puis dans le bagne de Canton. Mirbeau a un goût prononcé pour le récit de voyages lointains pour parler sans détour de grands problèmes et des iniquités de la société. Enfin, il faut prendre en compte ce qu'il entend par « supplices », qui peuvent être ceux que l'histoire a véhiculés mais aussi d'autres formes de supplices qui sont plutôt des obsessions, qui rend sa littérature très différente de celle de ses prédécesseurs. Il décèle, dans ce monde de la Troisième République imbue de progrès en tous genres, une région obscure et menaçante où la rationalité dissimule des crimes abominables. Il le fait avec virulence mais aussi avec une bonne dose d'humour noir. Un an plus tard, en 1900, il fait paraître Le Journal d'une femme de chambre, une fiction plus réaliste, dans la lignée de Flaubert et de Maupassant. Même s'il ne cesse de sauter du présent au passé, il n'a pas l'apparence presque picaresque de son précédent livre. Il a choisi de narrer le destin d'une toute jeune femme, Célestine, qui devient domestique, qui nous fait toucher du doigt les ignobles inégalités sociales qui fait d'elle une chose entre les mains de son patron. Il dénonce dans ces pages la violence sous-jacente à la bonne société qui abuse de ceux qui les servent. Mais Célestine n'est pas la victime par excellence comme chez Sade : elle finit par devenir elle aussi une maîtresse aux pensées troubles quand elle va vivre avec le cocher Joseph, une brute sadique et antisémite. Ce n'est pas comme chez Zola un monde en noir et blanc. Sept ans plus tard, il achève La 628-E8, qui est illustré par 127 dessins de Pierre Bonnard. Il renoue avec l'esprit du Jardin des supplices : les règles du roman sont sans cesse bafouées et il refuse de se ranger dans un genre précis. Cette révolte lui permet, toujours sur le thème du voyage, d'aborder toutes sortes de sujets dans des histoires qui ne s'enchaînent pas. Le narrateur fait un voyage en France puis à l'étranger à bord de son automobile Charron, revenant une nouvelle fois sur les abus de la colonisation et il parle de l'Allemagne de Bismarck, des Pays-Bas de Van Gogh et fait l'apologie de cette merveilleuse invention qu'est l'automobile, sans cependant se faire trop d'illusion sur l'évolution de l'industrie. Dans ce gros volume, il avait introduit un récit assez sordide sur la mort de Balzac, qu'il a retiré du corps de l'ouvrage et publié plus tard. Pour finir, Dingo, paru en 1913, où il fustige les habitants de sa Normandie natale (ici, l'action se déroule dans le Val d'Oise). Dingo est son chien, et le narrateur n'est autre que lui-même. Il fait une sorte de confession bien peu digne de Rousseau, et, devenu vieux, il est toujours très critique, mais plus porté vers une forme de cynisme hérité des Grecs anciens. Le ton est goguenard, agressif, mais divertissant, et rappelle un peu Rabelais. Ces quatre romans donne une idée assez précise de qui a été Octave Mirbeau et devrait nous inciter à le découvrir ou à le revisiter car il peut être mus sur le même plan que ses grands contemporains, tel Jules Barbey d'Aurevilly. Impossible de résister à l'attrait de ces romans si singuliers et prenants.




Les Cabanes du narrateur, OEuvres choisies, Peter Handke, « Quarto », Gallimard, 1152 p., 26 euro.

Le prix Nobel est une drôle d'affaire ! Le premier d'entre eux a été attribué en 1901 à Sully Prudhomme, dont on a bien oublié la poésie ! En ce qui concerne l'Autriche, qui a été l'un des plus passionnants centre littéraire d'Europe (mais pas de Nobel pour Stefan Zweig, Arthur Schnitzler, Josef Roth, pour ne citer qu'eux), ce prix a été attribué à Elfriede Jelinek en 1981 et, cette année à Peter Handke. Pendant cette après-guerre beaucoup moins riche, il y a un auteur qui a dominé la situation culturelle de ce pays par son originalité et ses inventions : je veux parler de Thomas Bernhard, sans doute l'un des plus grands écrivains autrichiens de la seconde moitié du siècle dernier. On ne l'a pas honoré de cette distinction, alors que Jelinek, écrivain à la mode et expression de l'esprit de 1968, mais auteur de second rang a été très tôt distinguée. Quant à Peter Handke, certes qui a une plume un peu meilleure, il nous pose quelques problèmes. En effet, bien qu'étant d'une famille originaire de la Carinthie, région slovène du sud du pays, il a pris fait et cause pour les Serbes quand a éclaté la guerre dans l'ancienne Yougoslavie. En 1995, alors que les combats se poursuivent en même temps que la purification ethnique, il se rend à Belgrade avec ses traducteurs serbes. Si le voyage est bien présent dans la biographie très précise qu'on trouve dans ce recueil, ce pont n'est pas indiqué. De surcroît, il assiste en 2006 aux funérailles de Slobodan Milosevic, alors que se poursuivait son procès pour crimes contre l'humanité. Cette incroyable présence aux obsèques d'un monstre lui a fallu des représentations annulées et des publications renvoyées à plus tard. Mais le petit monde frileux des gens de lettres a considéré que ce n'était pas grave et qu'il ne méritait pas une telle censure. Je suis d'accord sur la censure, qui est absurde, mais cela n'efface pas ses conceptions politiques. Si l'on jugeait de ce point de vue, on ne lirait ni Céline, ni Rebatet, ni Morand, et encore moins Knut Hamsun. Je laisserai donc cette question de côté, même si les opinions professées par Peter Handke ne le rendent pas dignes de recevoir un tel prix. Quant à son oeuvre, elle est assez prolifique et compte un grand nombre de pièces de théâtre. Du côté romanesque, on remarquera que ses ouvrages sont assez courts. Disons qu'un livre comme Les Frelons peut être regardé comme l'un de ses ouvrages les plus conséquents de ce point de vue. En revanche, il a accumulé un grand nombre d'ouvrages courts. Je prendrais un seul exemple : L'Heure de la sensation vraie, publié en 1975. Je l'ai choisi parce que Paris y tient une grande place. Ce qui me frappe ici (comme dans bien d'autres de ses écrits), c'est qu'il a du mal à imaginer un univers de fiction : il coud des promenades dans la ville, et son personnage principal ; Keuschnig, ne paraît devoir exister que par ses déplacements et quelques relations familiale. Au fond, on a l'impression que c'est l'écrivain qui déambule à peine masqué. Cela manque de substance et de profondeur. On se demande à la fin quel a été vraiment été le sujet de ce livre sinon de montrer qu'il aune bonne connaissance du guide Tauride. D'ailleurs, il y a souvent des annotations d'ordre autobiographiques dan ses proses, par exemple dans Le Recommencement 1986). A mes yeux, c'est l'archétype de l'écrivain d'une certaine période de la fin du siècle dernier, qui a réduit la littérature à un microcosme avec un évident égocentrisme. Les lecteurs peuvent s'y retrouver au sens plein du terme. L'Angoisse du gardien de but au moment du penalty (1970) est un titre malin et qui laisse présager une interrogation métaphysique. Même si l'ouvrage se termine sur le vide de la représentation, nous avons entre les mains qu'un roman assez banal. Vous allez me dire que j'ai une aversion marquée pour cet auteur. C'est vrai. Alors je dirai au lecteur de se procurer cette vaste anthologie et de se faire son opinion.




Alphabet triestin, Samuel Brussell, Editions de la Baconnière, 136 p., 19 euro.

Samuel Brussell est un écrivain qui échappe à toute définition. Sa démarche est toujours originale et un peu déconcertante. Mais c'est ce qui fait son charme. La manière dont il aborde Trieste est aux antipodes de celle de Claudio Magris (ce qui n'est pas un antagonisme, mais une autre façon de prendre les choses). Elle n'est pas savante, mais elle ne mise pas sur la fausse naïveté comme l'aurait fait Karel Capek. Elle est d'abord une découverte, qui se fait au gré de ses séjours successifs. Sa quête l'amène en différents points de l'Italie, en particulier à Rome, où il va rencontrer un bibliophile d'une grande érudition. Il s'est aussi choisi des guides, Roberto Bazlen et Anita Pittoni, qu'il s'ingénie à faire connaître aux lecteurs de langue française. Il rappelle qu'elle a fondé dans l'immédiat après-guerre une maison d'édition appelée le Zibaldone. Et très vite le nombre de ses cicérone se multiplie : Umberto Saba, retranché dans sa libraire, et Virgilio Giotti, qui écrit ses poèmes en dialecte. Il y a aussi le peintre Ugo Pierri. Et il s'efforce de nous faire comprendre qu'une ville telle que Trieste est franchement inclassable. Avec ses rencontres avec Anita Pittoni et d'autres protagonistes de la vie culturelle triestine, il s'enfonce dans un labyrinthe - et nous, avec ! Peu à peu on se rend compte que cette ville si étrange et atypique a été le creuset d'une littérature immense au cours du XXe siècle et l'est encore. C'est même une sorte de miracle en ce lieu si excentré. Il évoque le Caffè San Marco, qui est l'un des lieux de rencontre de l'intelligentsia du lieu, juste derrière la monumentale synagogue. Des poèmes inédits d'Anita Pittoni nous montre cet endroit si paradoxal, si difficile à cerner (plus on le connaître, moins on s'y retrouve) et aussi le caractère des rues et des lieux de cette frontière de l'esprit partagée entre plusieurs cultures. De rencontre en rencontre, Samuel Brussell fait de nouvelles découvertes et s'enfonce dans ce dédale de ce monde toujours plus énigmatique. On comprend, surtout à travers le recueil de Pittoni, L'anima di Trieste, combien cette cité hante les pensées de ceux qui y demeurent. De manière non équivoque dans son cas, ou, au contraire, par une espèce d'effacement comme dans les romans d'Italo Svevo où presque aucun paysage urbains n'apparat. Qu'on n'aille pas chercher dans ces pages un sentier de connaissance, un rite initiatique ou même une « peinture ». L'auteur poursuit sa quête toute personnelle On entre dans la célèbre librairie de via San Nicolò, presque un monument historique (il parle même de « chapelle ») et on croise Giani Stuparich, Et voici Giorgio Voghera avec Gli anni della psicanalisi. De librairie en librairie, d'anecdote en anecdote, d'un fragment de lettre à un autre, d'un livre à une coupure de presse, le périple se poursuit comme dans un rêve. Et tout cela se termine sans vraiment se terminer par une vision plus large de Trieste dans la géographie et la politique de cette région si complexe depuis si longtemps. Ce livre où règne l'intelligence et la poésie est passionnant et intriguant à la fois et il nous offre ce voyage dans ce microcosme qui est un des lieux de cristallisation les plus étranges de la culture européenne.
Gérard-Georges Lemaire
14-01-2021
 
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