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[verso-hebdo]
21-04-2021
La chronique
de Pierre Corcos
Une parabole mélancolique
Il avait été fait mention, dans la chronique de fin janvier dernier consacrée au cinéma, de l'application « TV5 Monde plus » qui avait alors permis de voir, ou revoir, Dans la ville blanche d'Alain Tanner. Par cette même application, nous avons la chance de découvrir - ou de retrouver soixante ans après - Une aussi longue absence, autre oeuvre remarquable. Ce premier film d'Henri Colpi, sur un scénario et des dialogues de Marguerite Duras, a obtenu le Prix Louis Delluc en 1960, la Palme d'or au Festival de Cannes en 1961, et le Prix japonais Kinema Junpo en 1965 (meilleur film et réalisateur de langue étrangère). L'interprétation bouleversante d'Alida Valli (Thérèse Langlois) et de Georges Wilson (le clochard), la bande originale de Georges Delerue et une célèbre chanson de Cora Vaucaire, ces belles images de banlieue (Puteaux) humble, paisible et désaffectée par les départs en vacances d'été, pénètrent subrepticement en nous, alors même que nous sommes captivés par cette pathétique histoire d'absence, d'amnésie et de retrouvailles impossibles. En même temps, comme bien des chefs-d'oeuvre, Une aussi longue absence dépasse son thème particulier et prend valeur de parabole. Une parabole sur l'abîme entre les êtres, que même l'amour ne peut combler.

Albert, mari de Thérèse Langlois (née Campini et d'origine italienne), un résistant, a été emprisonné et torturé par les nazis en 1944, puis porté disparu à la Libération. Plus de nouvelles depuis... Thérèse qui l'aimait profondément ne l'a jamais oublié. Elle tient seule son café à Puteaux, acceptant sans enthousiasme une relation avec Pierre (Jacques Harden) un camionneur, qui lui est très attaché. Mais voilà qu'un clochard à l'air absent passe régulièrement devant le café, en fredonnant des airs d'opéra italien. Thérèse croit alors reconnaître son mari disparu depuis quinze ans. Bouleversée, elle le guette, le suit, l'observe et finit par lui parler. Mais cet étrange clochard est totalement amnésique, il ne la reconnaît pas plus que des membres de sa famille (sa mère, son fils) que Thérèse a fait venir exprès à Puteaux. Le malheureux a oublié tout ce qui précède son réveil dans un champ, après sa probable évasion d'un stalag. Il garde cependant la mémoire des musiques d'opéras italiens (et à cette écoute ses yeux éteints s'allument), mais ne sait pas d'où cette mémoire lui vient. Avec tendresse, patience, délicatesse, Thérèse fait tout ce qui lui est possible pour guérir ce clochard, selon elle son mari enfin réapparu, de son amnésie. En vain... L'homme se contente de découper des figures dans des journaux illustrés et ne répond aux phrases de Thérèse qu'en répétant leurs dernières paroles. Même un contact physique (elle danse avec lui), loin de réchauffer sa mémoire gelée, ne parvient qu'à lui faire peur. Et quand Thérèse touche le crâne de ce malheureux, elle découvre une longue cicatrice, trace de l'affreux traumatisme. Et symbole de cette séparation, de cette « Spaltung » marquant le clivage d'Albert avec son passé, Thérèse, les autres... « Abandonne ! », adjure, implore Pierre, d'autant plus que le clochard s'est enfui. Mais Thérèse ne peut pas renoncer, espérant encore que l'hiver fasse revenir l'amnésique qu'elle est incapable d'oublier, ironiquement. Les derniers mots du film sont « Il faut attendre l'hiver »... On reconnaît facilement le style durassien à tous ces mots simples, émaillant le film, lourds d'émotion et répétés comme venant d'ailleurs.

Le talent reconnu d'Henri Colpi (1921-2006) en tant que monteur (il a pratiqué et enseigné cet art, et beaucoup écrit sur le sujet) s'apprécie notamment à cette alternance mesurée de plans larges et mélancoliques au bord de la Seine où lentement glissent chalands et péniches, et de séquences intimistes dans le « Café de la vieille église » à Puteaux, où la fervente Thérèse se désole de l'inaccessibilité d'Albert. Si le beau noir et blanc d'Une aussi longue absence privilégie valeurs intermédiaires et nuances, le réalisateur installe d'emblée la Perte, sombre comme la nuit, au coeur même d'apparentes retrouvailles. Et, aussi bien Thérèse, prisonnière de son fol espoir, qu'Albert, reclus dans son amnésie, ou encore Pierre, que ses désillusions vont isoler, restent profondément seuls... Le spectateur peut bien sûr apprécier le film comme une variation fine sur la mémoire : mémoire et identité, amour et mémoire, pouvoirs de la musique sur le souvenir, mémoire et souffrance (on pense, à propos du film, à cette phrase de Nietzsche : « Seul ce qui ne cesse de nous faire souffrir reste dans la mémoire »). Après tout, l'amnésie est un thème cinématographique souvent exploité à cause de ses dimensions dramatiques. Mais ici l'on pressent, derrière le récit, derrière le thème, une parabole chargée de mélancolie. Et que nous enseigne cette parabole filmique ? Si fort que soit un amour, il est impuissant à nous faire entrer dans l'intériorité d'un autre, à éclaircir son mystère, à surmonter sa foncière étrangeté... Une partie de l'entourage de Thérèse pense qu'elle se trompe, que ce clochard n'est pas son mari disparu, et qu'elle s'est perdue dans son rêve. Mais Thérèse préfèrera encore la mélodieuse tristesse de sa mélancolie aux sons prosaïques du quotidien, espérant même confusément rejoindre Albert dans sa folie.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
21-04-2021
 
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Verso n°136

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