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[verso-hebdo]
27-09-2018
La chronique
de Pierre Corcos
Le démon de la guerre
Les savants traités de polémologie nous proposent maintes hypothèses sur les origines, le déclenchement des guerres, les facteurs économiques, culturels, démographiques y contribuant ; et les psychanalystes vont jusqu'à supposer l'existence d'une pulsion de mort pour rendre compte, au niveau collectif comme individuel, de ces déchaînements brusques de violence destructrice qui piétinent furieusement tout ce qui était digne d'être aimé, respecté, anéantissent les humains, le vivant, comme la pire des catastrophes... Mais, assister aux deux spectacles qui suivent inciterait plutôt à se tourner vers la démonologie, retourner aux mythes, et imaginer qu'il y a, tapi au fond des hommes, un démon de la guerre qui, une fois réveillé, jouit pleinement de l'hybris de sa puissance ravageuse, dévastatrice. Jusqu'à ce qu'enfin, comme un ouragan, il s'exténue, et laisse les hommes accablés devant tout ce désastre.

L'Envol des cigognes de et mis en scène par Simon Abkarian (jusqu'au 14 octobre au Théâtre du Soleil) ne ménage pas les spectateurs en termes d'horreurs de guerre. Le récit épouvantable de ce qu'a enduré Orna, frêle jeune fille, des soudards tortionnaires qui se sont emparé d'elle, la surenchère agressive des deux camps, la haine des uns, la fureur de vengeance des autres, le crépitement lugubre des mitraillettes, enfin les dernières scènes de mobilisation, tout montre des hommes possédés par ce démon de la guerre... Les femmes quant à elles, à quelques exceptions près, protègent de leur mieux ce qui reste du vivant, et Simon Abkarian avoue clairement vouloir leur rendre hommage (« elles tiennent un rôle majeur dans ma vie et donc dans mon écriture »), leur dédier son travail. La figure maternelle de Nouritsa (interprétation chaleureuse d'Ariane Ascaride) semble incarner à elle seule toute la pulsion de vie. Ces femmes désirent peu ou prou s'émanciper d'un ordre patriarcal et machiste qui, à coups d'« honneur », de « religion », sans cesse ranime les braises du conflit. Simon Abkarian désigne son espace : la Méditerranée. Mais il a beau vouloir éviter des références plus directes à un conflit en particulier, quelques signes patents suggèrent l'affreuse guerre du Liban (années 70), ses affrontements de quartiers, de milices, de religions, ses massacres et sa terreur. Et, pour évoquer cette guerre et la Guerre, Abkarian compose des scènes courtes, une mise en scène vivace, dynamique, où les comédiens, les éléments-cubes du décor bougent sans cesse (on ne peut s'empêcher de penser ici à l'influence d'Ariane Mnouchkine : il fut membre de sa troupe) dans un beau désordre créateur. Mais il a aussi recours à un « style fleuri », usant, abusant de métaphores, et cette emphase plombe parfois la dynamique d'ensemble. Car L'Envol des cigognes a beaucoup de souffle, de générosité. L'effrayant démon de la guerre vole au-dessus de la scène. Et, s'il n'y avait les femmes, il pourrait tout détruire... On peut bien entendu voir aussi l'autre panneau (Le dernier jour du jeûne), bien moins guerrier, de ce diptyque intitulé Au-delà des ténèbres.

« Edward Albee avait envisagé d'intituler la pièce « exorcisme », c'est le titre du troisième et dernier acte de ce combat mythique, de la traversée ultime de ce couple aux tréfonds de ses enfers », écrit Panchika Velez, ayant mis en scène Qui a peur de Virginia Woolf ? (jusqu'au 27 octobre au Théâtre 14), une autre histoire, mais intime celle-là, de démon qui se déchaîne, dans un milieu à la bienséance compassée pourtant : celui de la bourgeoisie universitaire américaine des années soixante... Est-ce l'alcool bu tristement, goulûment qui a réveillé le démon ? Est-ce l'agacement premier de George (excellent Stéphane Fiévet) qui, dès le début n'avait pas envie de recevoir si tard ce jeune couple de collègues, lequel va peu à peu jouer à son insu un rôle de catalyseur ? Est-ce un détail, un mot ou un geste déplacé qui a libéré l'incube et le succube (car il y a une dimension érotique dans ces terribles scènes de ménage) tapis dans ce microcosme livresque, érudit, feutré ? Le fait est que, de pointes perfides en scélératesses, la violence ne fait que monter dans la pièce d'Edward Albee, ce pathétique chef d'oeuvre d'amour/haine, que Richard Burton et Elizabeth Taylor avait immortalisé pour le cinéma dans le film éponyme de Mike Nichols. La bienséance est bousculée, les garde-fous verbaux renversés, les pactes les plus intimes déchiquetés, et la rage meurtrière entraîne George à se jeter sur Martha (Frédérique Lazarini, à la fois poignante et provocatrice) pour tenter de l'étrangler ! Le dramaturge américain nous livre, pour ceux qui souhaitent les prendre en compte, des éléments explicatifs d'ordre sociologique et psychologique, conditions préalables à cette explosion de violence. Mais ces conditions, peut-être nécessaires, ne sont en rien suffisantes pour déclencher la crise. Il y a un mystère de possession, de vertige, de folie dans cette tempête émotionnelle. Edward Albee, par son théâtre, est allé très loin dans sa plongée au coeur de nos enfers. Et Panchika Velez a su extirper le démon de la discorde, et lui faire cracher toute sa fureur sur la scène.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
27-09-2018
 
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Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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