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[verso-hebdo]
04-10-2018
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Les Retables de la Sainte-Chapelle, Léonard Limosin, Françoise Barbe, Béatrice Beillard, Guy-Michel leproux, «  Solo », Louvre éditions / Somogy Editions d'Art, 48 p., 9, 7o euros

Désormais conservés au musée au Louvre, ces deux retables constituent les plus beaux chefs-d'oeuvre de la Renaissance française. Ces deux retable en émail, réalisés par Léonard Limosin (circa 1516-1577), originaire de Limoges, devenu peintre du roi, à la demande d'Henri II pour la Sainte Chapelle, ont survécu aux vicissitudes de l'histoire, passant de l'abbaye de Saint-Denis en 1791 jusqu'au couvent des Petits-Augustins, d'abord un dépôt provisoire qui est devenu par la suite un temps l'éphémère musée des Monuments français sous la direction d'Alexandre Lenoir. On a appris beaucoup de choses sur ces ouvrages. On sait que c'est Niccolo dell'Abate (1512-1571). Ces dessins sont connus et représentent les scènes de la Crucifixion. Quant au second, La Résurrection, le projet a été mené bien par Francesco Salviati (151o-1563). Ces deux créations exceptionnelles ont fait l'admiration des artistes du XVIIIe siècle, comme en témoignent les deux dessins de Gabriel de Saint-Aubin, ou ce qu'en a dit Germain Brice dans sa Description de la Ville de Paris. Horace Walpole, lors de sa visite à Paris, a été émerveillé parc ce qu'il a vu à la Sainte Chapelle. Ce dossier est remarquablement réalisé et nous permet de comprendre l'histoire de ces deux pièces extraordinaires, qui ont été restaurées une nouvelle fois en 2o16.




Le Livre d'heures de François Ier, Philippe Malgouyres, Louvre Editions / Somogy éditions d'Art, 56 p., 9,70 euros

Au début d'année 1538, François Ier a passé commande au joaillier Allard Plommier une certain nombre d'objets précieux. Entre autres des pendentifs, une chaine, un miroir et deux livres d'heures, dont l'un est décrit comme étant « escript en parchemin, enrichy de rubis et de turquoises couvert de deux grandes cornalynes et garni d'un rubis servant à la fermeture d'icelluy. » Comme beaucoup d'ouvrages aussi luxueusement ouvragés, ce livre a connu un destin qui, cette fois, a pu être reconstitué dans tous ses détails par les historiens. L'auteur retrace avec soin les péripéties qui ont fait voyager cette pièce merveilleuse d'une collection à une autre, à commencer par celle de Jeanne d'Albret, dans le château de Pau. Il était alors rangé dans un grand coffre d'ébène. L'inventaire de 1561 le décrit en détail tout comme le meuble où il était renfermé. Par la suite, il demeura dans le royaume de Navarre. Henri IV fit compléter cet inventaire en 1601. L'ouvrage s'est alors retrouvé dans les collections royales et se retrouva ensuite entre les mains de son épouse, Marie de Médicis. Cinquante ans passèrent et il fit partie de la collection du cardinal Mazarin, qui avait envoyé à Anvers deux hommes de confiance pour le racheter parmi d'autres choses. La collection du ministre a été dispersée, une partie de ce trésor inestimable s'est retrouvée en possession du docteur Richard Mead, le médecin du roi Georges II. A la mort de Mead, le livre a été racheté par l'écrivain Horace Walpole en 1756. Puis le livre entra dans la collection de lord Waldergrave ; n'ayant pas d'héritier, le livre fut racheté par Alfred de Rothschild. Par la suite, après bien des vicissitudes il entra en possession du vicomte Rothermere. L'ouvrage a été vendu à Londres en 1942 par S. J. Phillips. Comme c'est souvent le cas, l'histoire de ce livre d'heures est un véritable roman. Finalement, le livre a rejoint les collections du musée du Louvre cette année, avec le pendentif (le « piliers ») : on peut désormais admirer les seize planches peintes par différents artistes. La reliure d'or émaillé de pierres précieuses est dans un état de conversation remarquable. Cette petite monographie est passionnante, et pas seulement pour les amateurs d'objets anciens.




Mucha, sous la direction de Tomoko Sato, musée du Luxembourg / RMN - Grand Palais, 248 p., 35 euros

Cette exposition est une divine surprise. Avec Alphonse Mucha (1860-1939), on pouvait s'attendre à voir surtout des oeuvres de la période françaises avec les affiches des pièces Sarah Bernhardt, celle-ci ayant été pour le grand artiste tchèque de se faire connaître avec sa première création, l'affiche de la pièce Gismonda de Victorien Sardou, au théâtre de la Renaissance en décembre 1894. Jusque l, il n'était parvenu qu'illustrer que quelques livres dont un de Gautier On voit quelques unes de ses belles réalisations d'alors, comme la boutique Fouquet, mais aussi des dessins de ses débuts d'artiste en dehors de la sphère de la décoration. Dommage qu'on ne puisse voir les peintures qu'il a exécutées alors. Mais on ne saurait se plaindre, car on la chance ici de découvrir en détail ses projets pour la pavillon de Bosnie-Herzégovine pour l'Exposition universelle de 1900. Je regrette un peu qu'on n'ait pas beaucoup évoqué son séjour aux Etats-Unis. Les trois années qu'il a passées outre-Atlantique entre 19o6 et 19o9, allant de New York à Philadelphie, en passant par Chicago, lui valent un accueil triomphal. Mais c'est le décorateur qu'on acclame, mais pas trop le peintre. Il a en tête un très grand projet pictural, qu'il commence en 191o et qui va l'occuper une très grande partie de son existence, puisqu'il l'achève en 1928 dans un château de bohème où il avait assez d'espace pour la composer, avec seize grandes toiles. Dans une des salles du musée a été un beau panorama où l'on peut voir toutes ces toiles et aussi leurs détails. En général, je ne raffole pas de ces innovations technologiques, mais, cette fois, c'est très réussi, car elle nous permet de voir ces toiles immenses, mieux que si nous le regardions de nos propres yeux, en en découvrons tous les aspects, car l'histoire qu'il raconte fourmillent d'événements et de personnages. De saint Guy à Jan Hus, jusqu'à la guerre mondiale, il montre les grandeurs et les douleurs, les victoires et les défaites des peuples slaves. Après la Grande Guerre, il n'a plus quitté la jeune Nation. C'est lui qui en dessine les premiers timbres, décore une partie conséquente de l'Obcni Düm, et aussi le Théâtre des Beaux-arts. Panslave convaincu, franc-maçon, Il est en tête de listes des personnes à arrêter séance tenante lorsque les Allemands envahissent la Bohème et la Moravie. Il tombe malade en prison et meurt peu de temps après. Il est inconcevable de monter dans un tel espace toute l'oeuvre de ce créateur si prolifique et si doué. Ce qu'on y voit montre peu près toutes les facettes de cet homme hors du commun. Peut-être pourra-t-on commencer le juger sous un nouvel éclairage en sortant des clichés dont on l'a accablé post mortem. Le catalogue est très réussi.




Les Vies d'Alfons Mucha, Patrizia Runfola, traduit de l'italien par Jean-François Bory, avant-propos de Claudio Magris, Exils, 200 p., 20 euros

Il s'agit bien là d'une biographie et tous ceux qui sont curieux de connaître les faits et gestes du grand artiste tchèque y trouverons leur compte. Mais c'est plus que ça encore. En effet, étant allée à Prague à plusieurs reprises pour préparer son premier livre, Prague au temps de Kafka publié en Italie en 1990 (édité en français par les Editions de la Différence), elle avait fait la connaissance du fils de l'artiste, Jìrì Mucha, qui vivait dans le fastueux palais vénitien (un palais vénitien au fait d'une colline !) se trouvant juste en face de l'entrée du château. Celui-ci avait écrit de nombreux ouvrages sur son père, qui faisaient autorité dans le monde. Elle a donc entrepris de consigner ses dialogues avec l'écrivain qui au milieu des oeuvres de son illustre géniteur, des petites sculptures de Rodin avait installé fétiches et masques « nègres », qu'il collectionnait avec passion. De plus elle a parlé de périodes qui sont en général assez négligées par ceux qui ont écrit à son sujet, comme le long séjour en Amérique qui lui a apporté la gloire, mais qui lui a aussi apporté bien des déceptions car l'intelligentsia du Nouveau Monde n'a guère apprécié ses peintures. Et c'est pourtant pendant cette permanence, en dépit de toutes les critiques qui l'accablent, qu'il commence à songer à composer une grande histoire des Slaves depuis leur arrivée en Europe. Et elle raconte ce qu'a été son existence après la création de la République tchécoslovaque, couvert d'honneurs et ayant de nombreuses commandes à exécuter, mais le plus souvent reclus dans un château perdu de la Bohème où il s'est exclusivement consacré à son Epopée slave dans la plus grande solitude. C'est là un livre précieux, sortant des sentiers battus dans ce domaine, mais aussi apportant un éclairage à la fois précis et plus large sur ce grand homme que la postérité a réduit à sa fonction d'affichiste et de décorateur, qui correspond à ses débuts à Paris.




Pompon cherche sa maison, Nicolas Piroux, Hazan, M.O, 48 p., 14,9o euros

Quel le sculpteur du début du XXe siècle le plus connu ? Vous répondrez Rodin, Bourdelle, Zadkine, Brancusi, Archipenko, par exemple. Eh bien vous serez dans l'erreur. Et de loin. Le sculpteur le plus connu et adulé est François Pompon (1855-1933) dont l'ours blanc est devenue une véritable icône ; voici un nouveau livre destiné aux jeunes enfants qui a pour but de leur présenter un certain nombre d'oeuvres conservées au musée d'Orsay (tableaux ou photographies) où a été dissimulé l'animal désormais devenu une célébrité internationale. Je dois reconnaître d'une part cela est très bien fait et, de l'autre, n'est pas toujours très facile à découvrir ! Dans son principe le jeu est simple, mais dans les faits on peut passer pas mal de temps le chercher (je reconnais même avoir séché plusieurs reprises !). L'ours est partout, mais il sait bien se cacher le bougre ! Bien sûr, l'oiseau de Constantin Brancusi possède une beauté qui parle moins à nos chères têtes blondes ! En tout cas, les livres dont la création de pompon est le sujet ou le prétexte ne cessent de se multiplier. Celui-ci est particulièrement réussi ! Il faudra bien s'y faire et reconsidérer l'histoire de l'art du XXe siècle !




Meyerbeer, Jean-Philippe Thiellay, Actes Sud, 192 p., 19 euros

Je dois admettre que je ne suis pas un grand connaisseur de la musique de Meyerbeer ; je connais Les Huguenots et mes connaissances s'arrêtent là. D'où l'intérêt de ce livre qui nous fait connaître et la personne et le compositeur. Nous apprenons que le grand musicien est né à Berlin en 1791, à une époque où la capitale de la Prusse était surnommée l'Athènes sur la Spree ; il est issu d'u très riche famille juive, il s'appelle à l'origine Jakob Lieberman Meyer Beer et il parvient en 1812 changer son nom de famille en Meyerbeer. Plus tard, il change aussi son prénom, qui devient Giacomo. S'il ne renie pas la religion de ses ancêtres, il veut échapper aux préjugés judaïques alors néfastes pour une carrière. Il a étudié dans plusieurs villes d'Allemagne et se révèle un virtuose de valeur. En 1812, l'Opéra de cour de Munich crée Le Voeu de Jephté, qui est bien reçu. Mais cela ne lui assure pas la gloire, pas plus que les ouvrages présentés en Allemagne. Il est apprécié, mais la presse n'est pas tendre avec lui. Il devient l'ami du célèbre géographe Alexander von Humbolt, qui l'aide de son mieux. Mais il faut attendre 1844 pour avoir enfin les faveurs de Frédéric-Guillaume IV et de la princesse Augusta de Prusse. Mais, entretemps, il se fait connaître en Italie et en France. Il passe dix ans dans la péninsule, à l'époque où triomphe Rossini. Il compose des fragments d'opéras, une cantate pour choeur, soprano et clarinette, 37 mélodies siciliennes. Bientôt sa réputation est établie et il est admis à l'Académie de Bologne. En 1837, son grand ami Henri Heine écrit un article sur Rossini et sur lui. Il écrit pas moins de sept opéras, dont Romilda et Costanza (1817) et en février 1819, il présente au Teatro Reggio de Turin sa Semiramide riconosciuta, qui sera reprise plusieurs fois. A la Scala de Milan, un an plus tard, il donne Margherita d'Anjou. Son dernier opéra italien est Il crociato in Egitto, qui lui vaut la faveur du public lors de sa première au Teatro della Fenice à Venise... Il quitte l'Italie en 1824 et veut conquérir Paris et sa « Grande boutique « (l'Opéra de la rue Le Pelletier). La capitale est alors le haut lieu de la musique, qui y connaît diverses révolutions. Il parvient à y imposer son Robert le diable, un drame plutôt abscons, souffrant des différends entre les deux librettistes. Mais le succès est tout de même au rendez-vous. Puis on lui propose de composer Les Huguenots, oeuvre écrite par Eugène Scribe et Emile Deschamps, d'après un livre de Mérimée. Nouveau succès et seul Robert Schumann tempête contre lui. Le Prophète, en 1849 ne fait qu'asseoir sa réputation. Mais l'univers de Meyerbeer est battu en brèche par Verdi, Wagner et Berlioz. Cette fois, c'est toute l'Europe qui l'applaudit. Plus tard, L'Africaine est joué plus d'une centaine de fois. Il s'offre même le luxe d'écrire deux opéras légers pour l'Opéra Comique et a échangé quelques mots avec son compatriote Offenbach ! Meyerbeer, bien oublié depuis a été un des rois de la scène lyrique parisienne ; en Allemagne il est en butte aux terribles attaques antisémites de richard Wagner en 1850. Quand il disparaît en 1864, son oeuvre ne tarde pas à disparaître avec lui.




Martha Le Parc, préface de Domithile d'Orgeval-Azzi, le Canoé & Exils, 160 p., 25 euros

Je pense nécessaire que le lecteur commence par l'itinéraire de cette femme à la fin de l'ouvrage, car beaucoup l'ignorent, tout comme moi d'ailleurs, je l'avoue. En effet, elle a pris soin de narrer son existence elle-même et c'est très bien ainsi. Elle fait ses études aux beaux-Arts de Buenos Aires. Là, elle rencontre Julio Le Par cet s'éprend de lui. Mais ce dernier décide de partir en Europe. Leur séparation est longue. Un beau jour, il lui dit dans une lettre qu'il voudrait l'épouser. Etant mineure, elle ne peut le rejoindre tout de suite. Elle finit par le rejoindre en 1959 et ne tarde pas à devenir sa collaboratrice. Mais elle ne se limite pas à ce rôle : elle commence à réaliser une oeuvre personnelle qui, si elle est assez proche des grandes figures de l'art cinétique, n'en est pas moins très personnelle. Dans cet ouvrage, on ne découvre pas ses premières oeuvres, mais un ensemble de créations qui vont des années 1990 à nos jours. On est d'abord frappé par la diversité des formes abstraites auxquelles elle a recours, ensuite par la variété des matériaux employés. Au fond, elle joue une carte très personnelle, où elle tire tout le parti possible des supports qu'elle privilégie ; tout y est très colorés (hormis quelques ouvrages en noir, blanc et gris) et combinent avec bonheurs plusieurs influences formelles, qui passent par Josef Albers comme par des motifs tirés des arts anciens ou de cultures lointaines. Rigueur et liberté exubérante font chez elle très bon ménage. C'est donc l une oeuvre d'une grande richesse et aussi d'une incroyable autonomie par rapport à l'Op Art, beaucoup plus rigide dans ses principes. Ses Inspirations russes (199o) et ses Carrés fleuris (2oo1) sont de merveilleuses compositions où elle lie les arts populaires et certains principes de l'abstraction géométrique. En somme, voilà une recherche à découvrir et apprécier sa juste mesure ; a la fin du livre, on peut voir les robes qu'elle a crées , qui sont souvent baroques. Martha Le Part est un artiste de grande valeur - un peu la Sonia Delaunay de l'ère cinétique.




Les Larmes, Pascal Quignard, Folio, 224 p., 7,25 euros

Boutès, Pascal Quignard, Galilée, 1o4 p., 15 euros


Pascal Quignard est sans conteste possible l'un des meilleurs écrivains contemporains français. Et cela même s'il éprouve la plus grande difficulté à écrire un roman : c'est un genre qui ne lui convient pas. Mais le reste de son oeuvre est merveilleuse. Les Larmes, qui viennent d'être réédités est un exemple parfait pour comprendre la singularité et l'originalité foncière de son oeuvre. Il a abandonné le monde latin, dont il est non seulement un grand connaisseur, mais aussi un amoureux éperdu. Cette fois, il s'intéresse au monde des Francs, avant et après le règne de Charlemagne. Il imagine l'histoire de deux jumeaux, Nithard et Harnid, enfants du comte Angilbert et de Berehta (Berthe). Il raconte les faits et gestes de ces deux figures et d'autres qui les entourent comme s'il écrivait une chronique de l'époque, avec les incohérences et toutes les lacunes de ce genre de texte. C'est un esprit qu'il entend nous faire éprouver, une relation au monde complètement différente de la nôtre et aussi tracer la trame mystérieuse de la naissance de notre langue. Cette épopée étrange où l'on demeure en suspens entre l'ancien monde païen et le nouveau monde chrétien. Elle est dépeinte comme un récit mythologique, plus encore que les chroniques qui ont commencé à être soigneusement calligraphiées et recopiées dans les scriptorium. La chronologie est ici un leurre. C'est un indice, un curseur pour situer plus ou moins les menées de ses héros. Malgré l'absence de vraie logique (dans nos termes), on se passionne pour cette époque si lointaine et qui a pourtant profondément marqué notre culture. La fin de l'immense empire construit par Charles le Magne de part et d'autre du Rhin a entrainé un clivage dans la langue, dont on sait les conséquences. Il y a quelque chose d'échevelé et de romantique dans ces récits, mais aussi une plongée dans la civilisation qui est la nôtre, plus barbare et plus sophistiquée qu'on ne saurait le croire. Plus on avance, plus on perd le fil. Mais on se rapproche d'une culture qui a façonnée la nôtre, même si elle est si lointaine. Quignard a donné ici le meilleur de lui-même : un ouvrage qui lie l'imaginaire et l'histoire de manière inséparable, tout en révélant les fondements de ce que nous sommes.
Cet ouvrage m'a remis en mémoire un autre livre que l'auteur a publié en 2oo8 : Boutès. Là, il nous entretient des grands mythes, en particulier celui d'Orphée puisqu'il allie poésie et musique. L'analogie est probante : ces deux livres ont des points en commun, sauf que le second ne concerne que le mythes gréco-romains. Il s'intéresse de grandes figures plus ou moins légendaires, mais il porte surtout notre attention sur la figure de Boutès, ce qui lui permet de mieux parler et de la musique et de la danse de ce l'antiquité. Il s'appuie sur les textes de plus grands penseurs et des auteurs les plus qualifiés pour expliquer ce que ces arts ont alors représenté et comment ils étaient pratiqués. Mais il n'a pas souhaité faire oeuvre d'érudition pure. Il y a insinué son intuition et sa sagacité, en somme la mesure de poésie qui réside dans on écriture. Boutès semble bien loin des Larmes. En réalité, ce sont des créations qui sont issues d'une vision assez comparable et d'une méthode d'écriture qui a ses points communs. Boutès est un prétexte, sans doute, mais il a permis à l'écrivain cette pérégrination dans une extrapolation mythique qui est aussi ce qui est écrit en palimpseste dans nos arts (il fait par exemple allusion aux Oiseaux d'Olivier Messiaen).




Le Compagnon de voyage, Gyula Krùdy, traduit du hongrois par François Gachot, avant-propos de Sàndor Màrai, postface de François Gachot, Ibolya Virag / la Baconnière, 152 p., 10 euros

Gyula Krùdy (1878-1933) a commencé sa carrière à vingt ans en tant que journaliste. Il publie alors son premier recueil de nouvelles. Il a écrit au cours de son existence pas moins de 86 romans et des centaines de nouvelles. Après sa mort, on l'a oublié longtemps. Depuis la fin du siècle dernier, son oeuvre a connu un regain de popularité et a incarné la littérature moderne. Il est surtout reconnu pour ses aventures de Sindbad, considérées comme ses chefs-d'oeuvre. Sàndor Màraia fait son éloge dans sa belle préface : « Krùdy fut un écrivain étonnamment conscient de son art ; Il savait que la littérature est avant tout un message céleste. La réalité peut être aussi l'affaire des statisticiens. Et c'et écrivain qui, mieux que ses contemporains, connaissait fidèlement, cruellement, la réalité de la vie humaine, les idées fixes et erronées qui la rongent plus vite que les fièvres mortelles, l'amour, l'argent, la nourriture, les secrets des maisons et des paysages hongrois. . . » L'histoire de cette nouvelle parue en 1918 est simple : deux hommes se rencontrent dans le compartiment d'un train. L'un va raconter ses péripéties amoureuses et l'autre l'écoute sans broncher. Toute l'histoire se déroule dans une petite ville tranquille de la Haute-Hongrie. S'étant installé dans une petite auberge, il séduit la propriétaire en l'absence de son mari. Le voyageur, qui ne s'est jamais marié et s'en vante, développe sa philosophie des relations amoureuses. La fidélité n'est pas son fort. C'est une sorte de Don juan rustique et au petit pied. Un beau jour, il rencontre une toute jeune femme d'une grande beauté, Esztena, pieuse et vierge. Il entreprend donc de la séduire. Puis la jeune fille a disparu par un jour neigeux. Cette fuit provoque alors une sorte bouleversement dans cette bourgade qui n'avait jamais été touchée par des événements étranges ; l'homme repartit alors pour ne plus jamais revenir. Tout comme l'auteur tchèque Karel Polacek, Gyula Krùdy avait cette faculté si rare de métamorphoser un fait assez banal en une affaire extraordinaire, quasi métaphysique, avec cette jubilation de raconter les faits et gestes des petites gens pour lui donner une dimension profonde. C'est vraiment un petit merveilleux. Nous devons être reconnaissant à Ibolya Virag de poursuive avec courage la redécouverte en France de ce grand auteur.




XYZ, Clemente Palma, traduit de l'espagnol (Pérou) par Samuel Monsalve, Allia, 288 p., 14 euros

Quel étrange roman ! Mais quelle belle découverte ! Clemente Palma (1872-1946), fils du célèbre auteur Ricardo Palma, après avoir terminé des études littéraires, a été consul du Pérou à Barcelone entre 19o2 et 19o4 ; il devient ensuite directeur de la Bibliothèque Nationale de Lima. Cela ne l'a pas empêché de collaborer de nombreux périodiques littéraires et, ensuite, de faire de la politique. Il est d'ailleurs élu au parlement entre 1919 et 193o. Il est emprisonné la suite d'un coup d'état et est exilé au Chili en 1932. Il retourne dans son pays un an plus tard et fait paraître, ce roman, XYZ en 1934. Quand on le lit, on a l'impression de retrouver l'esprit de L'Eve future de Villiers de l'Isle Adam transposé dans un autre siècle ! Un savant particulièrement doué et inventif, Rolland Poe l'auteur a toujours admiré le grand écrivain qu'a été Edgar Allan Poe). Celui-ci affirme avoir découvert (en particulier grâce l'usage du radium) le moyen de créer des sosies des personnes ; c'est ainsi qu'il a pu donner corps et vie Joan Crawford, l'actrice la plus célèbre d'Hollywood. Mais la durée de vie de sa créature est de courte durée. Alors il décide de créer des doubles encore plus résistants et il forge un sosie parfait de l'acteur Rudolph Valentino, puis de trois très belles stars de l'époque. Il vit dans une île de la Polynésie avec ses merveilleuses jeunes femmes et son serviteur Valentino et se fait appeler le docteur Xyz. Mais bien sûr, comme tous les savants fous, il a voulu allez encore plus loin et tout s'achève de manière désastreuse. Je ne veux pas déflorer l'histoire pour ne pas gâter le plaisir du lecteur, mais c'est absolument une jubilation de lire ces aventures abracadabrantes. Je n 'ai pas boudé mon plaisir ! Clémente palma est assurément un écrivain de science fiction qui demeure encore dans le champs de la littérature digne de ce nom. C'est un écrivain qui est vraiment découvrir.




Correspondance, Marcel Proust / Robert de Montesquiou, préface de Nathalie Bertrand, Rivages Poche, « petite bibliothèque », 256 p., 9,oo euros

Quelle belle idée d'avoir songer à publier la correspondance de Proust avec Robert de Montesquiou, (1855-1921) ce baron dandy et décadent, qui a écrit de nombreux recueils de poésie ! De nos jours, il peut prêter à sourire ; mais ses Chauve-souris et ses Hortensias bleus et ses Paons ont été salués par Verlaine, Rodenbach, Jules de Goncourt et bien d'autres. Proust lui envoie sa première lettre en 1893 et leur correspondance ne va pas cesser qu'avec la disparition du poète à Menton au printemps de 1921. Le jeune auteur se montre dithyrambique à son égard, éperdu d'admiration. Est-il sincère ou est-ce pour lui un jeu ? Il est vrai qu'il avait déjà servi de modèle pour le premier roman de J. K. Huysmans, A rebours. Très tôt, Proust éprouve l'envie de faire un pastiche de ses oeuvres. Mais le plus important est qu'il en a fait l'un des personnages les plus curieux de sa Recherche, le baron Charlus. Les extraits les plus importants le concernant sont cités dans ce recueil ; dans la Prisonnière, il en fait un artiste, le narrateur regrettant qu'il ne fut pas un écrivain. Plus tard, dans le Temps retrouvé, il le présente toujours comme peintre, mais, dans une contradiction flagrante, il finit par le faire devenir poète. Au fil du temps, il se présente toujours comme son humble disciple du comte, qui le considère toujours comme un jeune débutant ; quand Proust lui annonce la parution de son livre, il lui demande de ne pas lui envoyer ! étrange relation, qui éclaire un pan de l'existence de celui qui deviendra post mortem l'un des auteurs les plus adulés en France et bien au-delà. Ces relations épistolaires sont savoureuses, mais demeurent une sortent d'énigme car à qui écrivait-il ? A Montesquiou ou à Charlus, son double dans sa littérature ?




La Légende des Soleils, mythes aztèques des origines, traduit du nahuatl par Jean Rose, suivi de L'Histoire du Mexique d'André Thevet, Griffe famagouste, Editions Ananchrasis, 128 p., 9 euros

La majeure part des codex des grandes civilisations précolombiennes a été hélas détruite. Celui-ci date delà fin de la civilisation aztèque, après la destruction de Tenochtitlan en 1521 (non par Cortès, comme nous le dit le préfacier, mais par les tribus indiennes asservies par les Aztèques qui lui ont prêté main forte pour prendre cette ville énorme, Cortès l'a trouvée belle et tenait la conserver). Le manuscrit traduit ici a été écrit après la conquête espagnole. Malgré son caractère fragmentaire, il nous apprend beaucoup sur la complexe cosmologie des anciens Aztèques, mais aussi sur leur représentation du temps ; mais plus encore, il nous fait comprendre qu'ils avaient aussi une représentation de l'histoire. Sans doute la fascination exercée par ce système de mesure si élaborée pour les caractères si réfractaires à leur interprétation, a laissé de côté cette relation à l'histoire pourtant fondamentale, même si elle se mêlait à la mythologie. Sans doute ne savons nous rien de l'origine de ce peuple, car Aztlan, dans sa forme principalle, est la manifestation de la pureté absolue avant l'histoire. Ces pages nous révèlent dans l'histoire de cette civilisation depuis ses débuts, en suivant les principes de son calendrier si compliqué, mais aussi si précis ; le livre débute en 1558. Il relate toutes les grandes étapes du cheminement de l'humanité en même temps que l'histoire de leurs dieux. Puis sont rappelées les règnes des différents souverains jusqu'en 14 81 ; malheureux, le manuscrits se termine à cette date. L'histoire du Mexique, écrite par le géographe André Thevet (1516-1590), qui a effectué de grands voyages, dans le Levant, au Brésil, protégé par François Ier et trois de ses successeurs, a constitué une encyclopédie géographique universelle, qui est publiée en 1575 sous le titre de Cosmologie universelle. Il a eu aussi l'idée de faire le portrait des conquérants de l'Amérique, mais aussi de grands souverains précolombiens, dont un Aztèque, dans ses Vrais portrait et vies des hommes illustres (huit volumes, 1584). Son Histoire du Mechique {sic} est longtemps restée inédite. Il contient une description des divinités aztèques qui se révèle des plus précieuses.
Gérard-Georges Lemaire
04-10-2018
 
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Verso n°136

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