L'œil écrivain
par Christophe Averty
« Entrer dans une œuvre, c’est un peu comme se glisser dans un lit et s’y couvrir de draps qui ne seraient pas les siens ». D’images en extrapolations, d’analogies en métaphores, Benjamin Lévesque parle comme il peint. Dans ses mots, comme dans ses œuvres, se poursuit une longue et ininterrompue conversation avec l’histoire, les peintres et la mémoire de leurs yeux. Immiscé dans l’atelier intime d’un maître du passé, Benjamin Lévesque explore l’alchimie des matières, l’alliance d’un reflet et de son écho. Son regard et son geste amorcent alors un récit qui laisse au rebondissement son pouvoir discrétionnaire d’apparition, sensuelle, exacte et saisissante.
Des peintres, des temps, des lieux
En narrateur sincère et exigeant, Benjamin Lévesque s’est nourri à l’école de la mémoire. « Par le dessin, j’ai approché, les univers de la danse, de la musique et de la nuit. J’ai attentivement fouillé certaines œuvres comme le Gilles de Watteau, les Caprices de Goya, le joueur de fifre de Manet… autant d’explorations, de fictions ou romances, entre un thème, un peintre, son œuvre, mon regard et mon travail. Entre eux et moi, je tisse une histoire. », explique-t-il. Dans un jeu de va et vient du temps, au fil d’approches minutieuses se bâtit une narration, respectueuse des formes découvertes, propice aux fulgurances, éclairées ou obscures, que suscite le jeu affirmé d’espaces mesurés, d’atmosphères capiteuses, de sentiments et de désirs non-feints.
Chez lui, c’est à dire sur le châssis de sa toile, des siècles de peinture se donnent rendez-vous dans l’intensité de leur pouvoir évocateur, sans concept, sans synthèse, ni analyse savante. Ils s’y adonnent aux jeux de glacis sensuels exaltés dans l’âpreté du bronze, la lumière de l’or, l’harmonie soyeuse d’huiles épaisses. Se hissent alors des noirs charbonneux, des lapis-lazuli brumeux ouverts à l’infini, des ombres dessinées avec la patience déterminée de l’enfance. Le détail repris, déplacé, transformé, muté poursuit sa route allusive. Cet âne anodin emprunté à Goya, ce mouvement puisé chez Géricault ne sont ni citation ni référence, mais des mots, des instants de peinture, dont Benjamin Lévesque sonde et mesure, de son regard contemporain, l’intention, la force et la portée. Sa relation au temps de la peinture semble tenir de l’instinct, comme peut-être celle du romancier à celui de l’écriture.
Lui faut-il tout montrer et tout dire ? Lui faut-il achever sa phrase tant l’image qu’elle transporte a déjà atteint son but ? Ou doit-il au contraire laisser l’œil de l’autre emboîter une à une les pièces du puzzle qu’offrent et composent ses œuvres sérielles ? Les fibres serrées d’un drapé fougueux et flamboyant suffiront à rappeler la force tellurique des roches, la puissance d’un orage qui claque dans le ciel, dans une rupture absolue et radicale, généreuse, lissée et policée.
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- Entretien avec Benjamin -
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