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ID : 49
N°Verso : 66
Les Artistes et les Expos
Titre : Banditi dell’Arte, une ontologie de l’« hors normes » ?
Auteur(s) : par Marie-Noëlle Doutreix
Date : 11/01/2013


Banditi dell’Arte, une ontologie de l’« hors normes » ?
par Marie-Noëlle Doutreix

            À partir de 1962 les œuvres de Carlo Zinelli s’emplissent d’inscriptions colorées, assorties aux couleurs des personnages peints. Les mots deviennent ainsi au sens plein des éléments graphiques, contribuant harmonieusement à la composition formelle. Certaines caractéristiques stylistiques des dessins et peintures que l’on pourrait assimiler à de l’art brut se retrouvent dans le travail de Carlo Zinelli. Ainsi, la surface du papier est remplie de petits éléments figuratifs, symboliques et graphiques, souvent répétitifs. Ceux-ci représentés parfois à l’envers, parfois sur le côté, comme en contresens du positionnement général, saturent l’espace, sans tenir compte des limites de celui-ci[11]. L’abondance et la surcharge, loin d’acquérir ici le sens péjoratif que l’on pourrait leur conférer ailleurs, amènent au contraire un sentiment de plénitude et d’intense activité créative.
            Quelque chose passe de l’artiste à ses œuvres, quelque chose de vif, quelque chose de vital. Là réside d’ailleurs une des difficultés de l’interprétation de certaines œuvres reconnues par l’art brut. En effet, si nous reprenons la thèse de Luigi Pareyson dans son ouvrage Esthétique, théorie de la formativité[12], en interprétant une œuvre nous interprétons une part de son auteur. L’artiste, en formant l’œuvre, lui a conféré du sensible et de l’intelligible. Or, toujours d’après Luigi Pareyson, le jugement esthétique est une activité formative et en activant une œuvre nous nous projetons en elle. Ainsi, dans l’art pathologique ce processus formatif d’interprétation risque d’aboutir à une mécompréhension de l’œuvre due au décalage de rapport au monde existant entre un sujet malade et un sujet qui ne l’est pas.
            Au sein de l’évaluation un problème d’un ordre similaire se pose ; celui de l’intention du créateur. Si dans l’évaluation il faut prendre en compte le rapport entre l’intention de l’auteur et le résultat, comment procéder avec les œuvres qui ne sont pas considérées comme telles par leurs auteurs ? Cette question devient pertinente pour toutes les formes de « bricolage » au sens anthropologique, faisant aujourd’hui l’objet d’une reconnaissance : créations en milieu hospitalier mais aussi art populaire, objets utilitaires décorés et constructions marginales. L’intention esthétique peut s’inscrire dans la démarche de leurs auteurs tout en se tenant éloignée d’une quelconque ambition artistique, d’où la complexité du jugement basé sur l’adéquation entre l’idée originale de l’auteur et le résultat. De plus, pour la théorie formaliste, l’idée ne préexiste pas au travail de la matière mais prend forme en elle. Ces difficultés d’interprétation et d’évaluation s’élargissent donc aux problèmes généraux et spécifiques que rencontre la critique dans les choix d’application de sa méthode.

[11] Beaucoup de dessins d’art brut débordaient du papier pour s’inscrire sur la table ou le mur contre lesquels ils étaient appuyés.
[12] Esthétique, théorie de la formativité, Luigi Pareyson, Rue d’Ulm, 2007.

 

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