Les tableaux Tounes Boules (turn cut)
par Gérard-Georges Lemaire
Sa démarche, si elle n’est pas strictement formaliste, n’est pas non plus iconoclaste. C’est une spéculation sophistiquée qui s’attache aux relations qu’entretiennent les mots et l’espace, entre les lettres et l’invention d’un univers abstrait où elle devient la clef de sa poésie.
Telle poésie est muette, comme il se doit. Elle est faite pour l’œil. Mais, pour parler des ouvrages récents, le mot « Pacifico » résonne dans notre crâne comme le mouvement lancinant et fascinant de vagues de pensées, de réminiscences, de recoupements emprisonné dans un coquillage féerique abandonné sur la plage du vieil Océan de Lautréamont. Pour lui, c’est un leitmotiv, un fil d’Ariane également. Il lui sert à exécuter des variations dont le jaune est le la du spectre des couleurs. Ce jeune et ce mot se voient attribuer une autre vie : une vie esthétique, c’est-à-dire une vie plus intense, plus profonde, plus riche et plus fantasque, tout en demeurant le nom d’une marque de bière connue ; une vie d’un autre genre pour révéler ce que les apparences nous disent à demi-mot et que nous n’entendons et voyons encore moins.
II
Des ciseaux et des lettres (sens dessus dessous)
Arthur Aeschbacher a eu recours à ce que William Seward Burroughs appelait « les techniques littéraires de Lady Sutton Smith ». L’auteur du Festin nu faisait allusions aux méthodes mises au point dans une chambre du petit hôtel, rebaptisé par la suite Beat Hôtel, situé rue Gît-le-Cœur dans le Paris de la fin des années cinquante et du début des années soixante par Brion Gysin, poète, romancier, parolier, peintre. Il s’agissait du cut-up (des pages d’un journal étaient divisées dans le sens de la longueur puis chaque moitié était associée avec une autre demie page ayant subi le même traitement), le fold-in (c’est le même principe, par pliage) et les permutations (cette fois, les mots d’une phrases sont intervertis pour donner une signification nouvelle à la phrase). Il a bien connu Gysin et ses « trouvailles » l’ont passionné. Il en soutiré un autre mode de métamorphose, non du mot, mais de la lettre, qu’il a appelé Turn Cut. Il découpait la lettre en traçant des ronds ou des bandes et la faisait pivoter selon un mouvement rotatif. La lettre déformée était souvent encore lisible. Mais son impact optique était d’une nature nouvelle. Aeschbacher a développé cette méthode depuis un certain temps, et l’a radicalisée dans des œuvres relativement récentes.
précédent 1 2 3 suite
- Entretien avec Benjamin -
le 8 novembre 2012
par Daphné Brottet - Quand Benjamin fait du Fifre d'Édouard Manet le point de fuite de sa pensée sur le sujet de la peinture.
par Gérard-Georges Lemaire - Voyage en peinture
ou
Voyage au bout de la nuit
(mais c’est déjà pris)
par Odile Dorkel - Benjamin
par Sapho - La théophanie
Un homme et une femme regardent un tableau de Benjamin
par Max Guedj - L'art de l'effeuillage
ou L'étoffe des libertins
par Jean-Claude Hauc - L'œil écrivain
par Christophe Averty - Deux clins d'œil :
Gérard de Lairesse par Jean-Michel Charbonnier
et Le costume byzantin par Eudes Panel.
- Sensus communis. À propos des photographies de Philippe Monsel
par Luc Ferry - Banditi dell’Arte, une ontologie
de l’« hors normes » ?
par Marie-Noëlle Doutreix - Les tableaux Tounes Boules (turn cut)
d'Arthur Aeschbacher
par Gérard-Georges Lemaire - Une biennale pour l'architecture
partagée : une promenade dans l'arsenal
par Giancarlo Pagliasso - Tatline / art et monde nouveau
par Giancarlo Pagliasso - L'art et le cyclisme
par Leonardo Arrighi - Éloge de Simon Hantaï
par Gérard-Georges Lemaire - Philippe Richard
par Vianney Lacombe