avec le soutien éclat ou éclat
hotel de beaute
ID : 73
N°Verso : 67
Le Cinéma
Titre : Amour
Auteur(s) : par Julian Starke
Date : 30/03/2013


Amour
par Julian Starke

Pour ne pas atténuer la souffrance ressentie par le spectateur, le film adopte un point de vue très réaliste en se composant essentiellement de scènes du quotidien du couple. Il y a un côté très méthodique, quasi rituel dans le choix des scènes qui peuvent paraître des plus banales : manger, dormir, lire, écouter de la musique et occasionnellement recevoir. Mais il faut le reconnaître, on retrouve ici la puissance du cinéaste à travers la finesse de choix des scènes et de son écriture. Le quotidien se répète, mais sans être ennuyeux car constamment renouvelé de détails, il nous permet d'observer la dégradation subie par Anne. Un monde sépare la Anne que l'on découvre fraîche et attendrissante au matin du premier petit déjeuner, de celle à laquelle on se heurtera plus tard, paralysée et quasi muette, refusant d'ouvrir la bouche pour y accueillir la compote gentiment proposée par son mari soucieux de son alimentation.
Mais le réalisme, ne s'arrête pas là. La mise en scène pure et sobre offre une répétition de longs plans fixes et larges qui permettent de filmer toute la scène. La caméra tourne et l'action se déroule devant nos yeux comme si nous étions invités à regarder leur quotidien. En cela, mais aussi grâce à la direction d'acteur et au choix des comédiens, le film se rapproche du documentaire. En effet, Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant jouent tous deux de manière retenue. Leurs personnages sont très proches d'eux même et de leur milieu. Une certaine magie naît de cette rencontre entre la maitrise de la mise en scène du réalisateur et de ses deux comédiens qui ne jouent pas mais se projettent dans une situation des plus probables tout en gardant leurs personnalités respectives. A cause de cette justesse de ton, l'histoire impose une certaine perversité, un aspect « télé réalité » (dans le sens originel du terme) ou expérience socio/scientifique à la Stanley Milgramme, comme s'il disait : « enfermons un couple de personnes âgées en passe de mourir dans un appartement et filmons les ».

Malgré cela, il ne s'agit pas seulement d'un sadisme effréné mais c'est bien une leçon de vie par l'amour que nous livre Haneke.
Ses précédents films sont marqués d'une violence inouïe, qui semble souvent gratuite. Effectivement, Caché ou La Pianiste portent des histoires aussi dures qui sont, malgré leur incroyable justesse, inscrites hors du réel. Que le sujet soit la névrose sexuelle, ou les problèmes d'intégration, Haneke ne s'intéresse qu'au côté extrême, peu probable, des histoires. Le résultat en est un mal-être intense, si grand que la réflexion à postériori n'est pas désirée, et les évènements relatés sont tellement loin de tout ce que l'on peut voir, qu'on en tire peu de choses. On pense donc que le réalisateur est aussi torturé que ses personnages, on ne cherche pas plus loin, on veut s'en éloigner le plus possible. Dans Amour en revanche, le sujet en lui même touche tout le monde. Chaque génération est aujourd'hui préoccupée par la vieillesse, que se soit en tant que petits enfants, enfants ou parents. La question se pose de plus en plus, « que faire de nos vieux ? », si de toutes façons les maisons de retraites sont sordides et coûteuses, que la vie ne permette pas de telles cohabitations, ou bien même que l'on décide de ne pas passer sa vie à voir mourir ceux que l'on aiment. C'est une question que soulève le film avec la plus grande froideur, bien que le thème principal, comme son titre l'indique, soit l'Amour. En effet, Eva, la fille du couple (Isabelle Huppert), est peu présente car elle même musicienne, voyage énormément et parce que sa vie privée l'a menée à vivre à Londres avec son mari. Pourtant il y a bien de l'amour filial de la part d'Eva, mais dans les faits, elle ne sert à rien, elle n'est capable que de souffrir et de s'éloigner. Contrairement à ses autres films, c'est l'intime qui lie les spectateurs aux personnages, l'identification est possible pour tous. C'est vers une prise de conscience que veut nous amener Haneke qui tente de nous ouvrir les yeux sur la condition de ces individus usées et fatiguées, en nous imposant une parcelle de leur vie, pendant que nous, actifs, vivons.

 

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