avec le soutien éclat ou éclat
hotel de beaute
ID : 86
N°Verso : 68
Dossier Tyszblat
Titre : Tyszblat ou l'équilibre instable
Auteur(s) : par Jean-Luc Chalumeau
Date : 24/07/2013



Bibliographie :
Francis de Miomandre, Dancings, Flammarion,
Paris 1932.
Klee et la musique, Centre Georges Pompidou,
Paris, 1985.
Tyszblat, Villa Tamaris centre d'art,
La Seyne-sur-Mer, 2005.
Paul Klee (7879-7940), Polyphonies, Actes Sud,
Cité de la musique, 2011
L'art du jazz, Éditions du Félin, Paris 2011

Tyszblat ou l'équilibre instable
par Jean-Luc Chalumeau

En regardant attentivement l’essentiel de l’œuvre de Michel Tyszblat qui se déploie sur un demi siècle, on mesure à quel point ce peintre de haute exigence s’est trouvé impliqué – parfois douloureusement – dans une réflexion sur l’essence de son art qui rejoint me semble-t-il, par-delà l’espace et le temps, celle d’un Kie Tseu Yuan Houa Tchouan : «  La difficulté est mauvaise, la facilité est mauvaise. Les uns considèrent comme noble d’avoir de la méthode, les autres comme noble de ne pas avoir de méthode. Ne pas avoir de méthode est mauvais. Rester entièrement dans la méthode est encore plus mauvais ». L’histoire de la peinture de Tyszblat est en effet celle de la recherche constante d’un juste équilibre entre le « trop » et le « pas assez » dans tous les domaines, avec par-dessus le marché l’intuition que cet équilibre lui-même, dont il a tôt compris qu’il ne saurait être une fin en soi, doit à son tour être combattu.

Chaque tableau de Tyszblat pose la question du sens de la peinture en tant qu’elle n’est nullement une « interprétation du monde » par le peintre (lieu commun inusable de la culture bourgeoise) mais au contraire une contradiction du monde ordinaire et la suggestion d’un monde autre. Constatons tout d’abord que l’univers formel de Tyszblat vient de la ville et des objets de la civilisation industrielle, non de la « nature ». L’art de Michel Tyszblat est bien un art des villes, et l’homme qui les traverse de temps à autre est sans nul doute un citadin, si bien que l’on pense irrésistiblement à ce que Mondrian disait de son art : nieuwe beelding di neue Gestaltung, que l’on a trop vite et trop schématiquement traduit en français par « néo plasticisme ».

La peinture de Tyszblat, comme celle de Mondrian, apparaît comme une synthèse plastique d’éléments inspirés par l’univers urbain et l’industrie. Comme Mondrian, Tyszblat ne procède pas par abstraction à partir du réel, mais il inscrit sur sa toile des utopies formelles dont l’observation de son environnement lui a seulement donné de fragiles points de départ. Ainsi des postes de télévision des années soixante qui ne sont en rien des descriptions des appareils visibles à ce moment, mais bien plutôt des anticipations fulgurantes des formes des ordinateurs des années 2000. Tyszblat, qui n’a eu qu’une brève période expressionniste abstraite au début de sa carrière, est rapidement devenu un peintre figuratif ne procédant pas principalement par simplification des éléments du visible, mais plutôt par invention de formes nouvelles à partir de ce qu’il peut observer autour de lui.

Sans le vouloir expressément sans doute, il a construit une œuvre que l’on peut qualifier de néo-plasticienne, s’il est vrai que le peintre de cette obédience est essentiellement celui qui est davantage concerné par les moyens de l’art et moins par ses ressources expressives. Néo-plasticien en ce sens précis, Tyszblat n’est certes pas allé jusqu’à renoncer à la forme et à limiter ses tableaux à des rapports de positions ou de situations réciproques, c’est-à-dire à la seule composition. Des formes demeurent et s’affirment, qui s’organisent à partir d’un centre de manière centripète : il ne s’agit jamais d’un essai d’organisation, centrifuge celui-là, de l’espace environnant (on se souvient que Mondrian fixait sur le mur de son atelier new-yorkais des petits panneaux de couleur qu’il déplaçait en cherchant à révéler le vide qui leur servait de fond).

Mais autour de ce centre, les formes sont soumises à des sollicitations contradictoires car le peintre, comme disait André Lhote (qui fut pendant quelques mois décisifs le maître de Tyszblat) est « cet animal complexe qui, d’une façon peut-être plus étroite qu’aucun autre artiste, doit obéir dans la même mesure aux sollicitations successives de la matière et de l’esprit ». Lhote n’était sans doute pas lui-même un très grand artiste mais, bon pédagogue, il se gardait d’enseigner des théories intangibles à ses élèves ; il savait bien que la loi doit être méconnue à un certain moment « afin d’être avec émerveillement retrouvée un jour ».

 

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