Guyomard, le peintre de notre société
par Pierre Brana
L’ironie est souvent sensible dans l’œuvre de Guyomard y compris dans les scènes où le sexe est présent. Comme Antonio Segui, il utilise la cravate comme signe de virilité. Dans un tableau de 1967 intitulé justement Cravate, celle (rose !) du marchand de chaussures montre l’intérêt que celui-ci porte aux cuisses découvertes de sa cliente. Sans que cela se traduise toujours par des toiles aussi explicites, le corps féminin revient sans cesse tout au long du parcours de l’artiste. On perçoit qu’il le traite toujours avec grand plaisir sans pour autant qu’on puisse vraiment parler d’érotisme.
En 1968, je m’attendais à le voir participer à l’Atelier populaire des Beaux Arts, comme nombre des peintres de la Figuration narrative qui nous ont régalés de tant d’affiches inoubliables. Il n’en fut rien – raisons familiales et alimentaires, paraît-il – et je l’ai regretté. Sa soif de liberté, son humour ravageur, son non-conformisme viscéral de joyeux anarchiste, auraient fait des merveilles…
Au lendemain du grand défouloir soixante-huitard, Guyomard montre qu’il est resté le même avec des séries aux titres amusants qui deviendront sa marque de fabrique : Yfolefer et Yapuka. Ses reprises jubilatoires de stéréotypes populaires font penser, bien entendu, aux « Junomme, cécédille, karamagnole » (3) et autres de son copain, l’extraordinaire jongleur de lettres et de mots, Georges Perec, trop tôt disparu.
Au début des années 1970 il réalise les Appartements, intérieurs douillets où le prolétaire s’embourgeoise avec sa voiture qui, comme un toutou fidèle, entre même dans l’appartement et, bien sûr, la télévision (présente dans l’œuvre de Guyomard dès 1964 et surprésente à la fin des années 70). Voiture et télévision qui, en isolant et en rompant les liens sociaux, développent l’individualisme. Thème qu’à la même époque – ce n’est, bien sûr, pas par hasard – Babou (4) traite également avec les Résidences de prestige. Similitude dans le reflet d’une époque, seul le niveau économique et social diffère.
En 1973, Gérard Guyomard, assis à la terrasse d’un café, observe la foule à la sortie d’une bouche de métro puis le vide qui suit avant l’arrivée d’une autre rame. Il photographie alors ces successions d’ensembles humains, isole quelques silhouettes et les superpose sur une même toile, faisant ainsi entrer la notion du temps dans le tableau. Cette peinture par superpositions – qui donne des résultats esthétiques étonnants – il va parfois la pousser à l’extrême, presque jusqu’à l’abstraction.
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