Guyomard, le peintre de notre société
par Pierre Brana
En 2004, une nouveauté dans son travail : l’Afrique. L’année précédente, il a fait un séjour dans le subsahel qui le fascinait par ses objets d’art : masques, statuettes, reliquaires qu’il collectionnait. D’où la série De la rue Montorgueil à Ouaga via Lomé, où apparaissent, notamment, des femmes africaines aux coiffures et vêtements traditionnels en opposition flagrante avec les Européennes en déshabillés. Tradition et modernisme, carcan et liberté ? Bernard Rancillac (6) a également traité politiquement ce thème. Rappelons-nous, Les Ombres I et II (2002).
A partir de 2005, Gérard Guyomard se lance dans une série audacieuse que la Villa Tamaris Centre d’Art à la Seyne-sur-Mer a présentée en 2010 sous le titre Cinoche (7). Il s’agit d’une succession de tableaux reprenant, pour chacun, un film célèbre. On retrouve ainsi sur la toile des acteurs et des scènes vus à l’écran, mais retravaillés par Guyomard dans son style de flashes épars. Certains films l’ont inspiré plus que d’autres car il en tire plusieurs tableaux. Une série que j’ai longuement visitée – tous les cinéphiles font de même – car, à partir d’indices posés par l’artiste sur la toile, la machine à souvenirs se met en branle et l’on reconstitue des plans, travellings et autres séquences… Les dernières années, Gérard Guyomard s’en est pris à l’information. Partant du principe que nous sommes submergés de messages et saturés d’images, de la télévision à internet en passant par les ordinateurs, tablettes, ardoises multimédia, smartphones et autres téléphones portables, sans oublier les radios et la presse écrite, gavés de signaux qui se superposent, s’accumulent, se contredisent parfois jusqu’à devenir incompréhensibles, il traduit cette avalanche par des tableaux dont le titre est significatif, Trodinfotulinfo, et où les entrelacs en tous sens finissent par masquer les figures initiales qui deviennent ainsi difficilement visibles, entrelacs parfois si serrés que le tableau tangente l’informel sans toutefois, comme pour les superpositions de 1973, jamais y succomber. Une manière simple mais didactique de montrer le brouillage des messages par le trop plein. Une série éclairante sur notre époque envahie par les technologies de communication.
Ses tableaux les plus récents sont tout à fait différents et s’intitulent Les 3 J et Michel Angelo. Il s’agit d’un hommage aux artistes du rock et du blues morts à 27 ans, le célèbre club des 27, les 3 J étant Jim Morrison, Jimi Hendrix et Janis Joplin… Aujourd’hui, Gérard Guyomard prend pour sujet la rue des Petits Carreaux – où il vit et travaille – rue commerçante qui était connue jadis pour ses pittoresques successions d’étals de poissons (et ses maisons closes !) dans ce populaire quartier des Halles qui a toujours été cher à l’artiste. Et une très belle toile sur ce thème, en cours de finition dans l’atelier, laisse bien augurer de cette nouvelle série.
Comme on vient de le voir, Gérard Guyomard est le peintre de notre société, de ses lumières et de ses ombres, avec une tendance, la figuration narrative, et une constante, l’humour. Un artiste à découvrir ou à redécouvrir. Un parcours qui, j’en suis sûr, parlera à beaucoup des regardeurs.
précédent 1 2 3 4 5