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ID : 145
N°Verso : 99
L'artiste du mois : Esther Ségal
Titre : LE PARADOXE DE LA PASSION
ou « je te suis, tu me fuis, je te fuis, tu me suis »
Auteur(s) : par Esther Ségal
Date : 08/01/2017



LE PARADOXE DE LA PASSION
ou « je te suis, tu me fuis, je te fuis, tu me suis »
par Esther Ségal

Faut-il moins voir pour mieux voir ? Voir « flou » pour voir « net » ? S’abstraire lentement des formes extérieures pour espérer révéler cet invisible au travers d’une vision voilée ? De multiples artistes ont vu dans la diminution de notre perception visuelle, non une myopie invalidante mais une manière d’ouvrir notre regard à l’interprétation, l’imagination, la rêverie et l’art, tels Léonard de Vinci, David Caspar Friedrich, William Turner, les pictorialistes. Nombre de peintres abstraits ont cherché ce chemin susceptible d’aller au-delà du visible immédiat, libérant, simplifiant toute forme possible jusqu’à n’en garder que cette impression lumineuse restante, lorsque nos yeux se ferment. D’autres, épris d’essentialité géométrique, firent du monde extérieur une vaste et immense architecture de formes pures et élémentaires.

Tous avaient ce désir de rendre sensible cette vie invisible, intimement spirituelle, voire divine, essentielle et pourtant si lointaine, dont le visage ne semblait se découvrir que dans la « prise du voile de l’abstraction ». À mon tour, je souhaiterai « couvrir » notre vision pour tendre vers l’essentiel, sortir de la « caverne obscure », laisser monter, remonter à la surface, l’autre face jusqu’à une presque sensation tactile. Le flou peut-il avoir ce pouvoir auratique ? Voir extatique ? Otez L à voile et vous lirez voie[13] écrivait Edmond Jabès, « voie » du flou, « voie » vers un autre état des choses, vers une mutation du visible, serait donc l’espoir de cette recherche plastique et photographique. Ainsi, en partant du principe que ce qui nous est donné à voir n’est que l’extérieur des choses, la qualité analogique, voire mimétique de la photographie, ne serait par déduction que la fixation de cette extériorité apparente, d’un vu-suel[14] trop évident. L’intérieur ne se montrerait jamais, l’essentiel tant recherché par ces nombreux peintres abstraits demeurerait enfoui, dissimulé profondément derrière l’opacité de toutes formes, ne faisant par conséquent, de la mise au point nette que l’instrument visuel de cette perception illusoire. Alors, voilons le référent dans un flou visuel pour qu’il se dévoile... Coïncidence, étymologiquement révéler signifie aussi revoiler.

[13] JABÈS E., « El, ou le dernier livre » Paris (1973), éd. Gallimard, Paris 1990, p. 89.

[14] Ce concept emprunté à TISSERON S., « Le mystère de la chambre claire, photographie et inconscient » Paris (1996), éd. Les Belles Lettres / Archimbaud, p. 120, signifie, ce qui correspond à la forme nette des objets dont l’opacité de l’enveloppe nous cache la profondeur.

 

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