Les artistes et les expos
« L’Opéra rock » de Jean-Luc Blanc
par Agnès Vannouvong

CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux 5 mars-14 juin 2009

« Ce que vous voyez dépend de ce que vous cherchez » J.G Ballard

Jean-Luc Blanc, Sans titre, 2005. Huile sur toile, 80 x 65 cm. Coll. particulière Paris, Courtesy.

C’est sous le signe du flottement barthésien que s’inscrit l’exposition de J-L Blanc « Opéra rock ». De la suspension du sens naît en effet une forme curieuse, étrange, hybride qui perd le spectateur dans un abyme de perceptions l’exhortant à un travail de correspondances imaginaires. Le commissaire d’exposition Alexis Vaillant nous invite à un travelling dans les zones troubles du formel, dans un ensemble expérimental inédit, projetant le spectateur comme au coeur d’un film. Abritée dans les anciens entrepôts de denrées coloniales aux allures de cathédrale, l’exposition repose sur un parti pris singulier qui réunit l’oeuvre de J-L Blanc autour d’une quarantaine d’artistes tels que Diane Arbus, Michel Blazy, William Burroughs, Ellen Gronemeyer, Pierre Klossowski, Simon Ling, Pierre Molinier, Odilon Redon ou encore Camille Vivier. J-L Blanc poursuit l’idée d’un parcours ludique, un jeu d’imbrications et d’amalgames autour d’une « rétrospective collective » qui fait interagir ces artistes avec sa propre oeuvre, dans une sorte de pluri-montage où s’originent le son et l’image. Il souhaite présenter ce qui se passe sur une scène imaginaire et dans les coulisses de son esprit, de manière non chronologique et non thématique. Son oeuvre réactive des images existantes, chinées dans la culture populaire : journaux, photographies reçues dans son courrier, images issues de films, cartes postales. Il donne à ces objets une nouvelle existence, jusqu’à produire des instants fictionnels. Le résultat produit un objet curieux et troublant. Cette exposition s’inscrit hors des sentiers battus et présuppose un regard oblique qui perce le monde, à travers des oeuvres qui se répondent dans une scénographie dramatisée.

Aussi le spectateur a-t-il la liberté de lire entre les lignes et voir de côté, entre les frontières, pour mieux comprendre un ensemble qui le perd dans des interzones polymorphes, dans des interstices spéculaires où les oeuvres d’art dialoguent de manière invisible entre elles. Ce dialogue quasi théâtral instauré par J-L Blanc avec les oeuvres présentes se fonde sur un principe référentiel et citationnel comparable à l’intertextualité en littérature. Ce n’est pas l’originalité ni la portée des choix des oeuvres qui l’emportent dans cette déambulation poétique. C’est sa charge citationnelle. J-L Blanc n’imite pas et ne se contente pas de citer les autres oeuvres d’art qui entourent son propre travail. L’accrochage de ses tableaux éclectiques (qui va du portrait d’Alain Delon dans Le Guépard, de Romy Schneider à celui d’Amanda Lear, en passant par un crâne nu) s’étend comme une longue phrase, un énoncé sans mots qui présente une version kaléidoscopique du monde. Les accessoires qu’il emprunte à des artistes admirés préfigurent une zone indéterminée composée de rites occultes, de mystères et de transes joyeuses, comme son hommage au Cri d’Edvard Munch que l’artiste représente à travers un adolescent écoutant de la musique avec un walkman, la bouche ouverte, les dents offertes comme dans un sourire flottant. Le fil imaginaire de l’hétéroclite et de l’hybridité se parachève avec l’usage de l’espace sonore qui est porté par l’obscurité. Bercé par une atmosphère rock et gothique, on entre dans un lieu qui redouble et trouble nos incertitudes face aux oeuvres. Le souvenir sonore demeure bien après la visite et ne disparaît pas de notre conscience. Il reste un espace mystérieux. Il force en nous une écoute qui nous fait percevoir la voix fantomale de Marguerite Duras extraite du film Le camion et répétant un étrange : « Non, je ne comprends pas… ».

Du dispositif mis en place émerge une réflexion esthétique sur les formes traditionnelles qui permet de redynamiser le discours sur les oeuvres d’art pensées de manière formelle. Guidées par Alexis Vaillant, les directions se multiplient et dessinent une filiation imaginaire entre les artistes. Le regard circule d’un objet à un autre (d’un vase en céramique signé Anna Léa Hucht à une main arrachée) et suit une démarche qui commente les chemins de l’histoire de l’art. J-L Blanc se joue des codes de représentation et laisse une trace, dans les revers de ce qu’il nomme « l’interzone », ce lieu de la « territorialisation régissant des lois secrètes ». Les oeuvres renferment précisément des secrets qui convoquent l’étrange et l’ambiguïté. Il est possible de les entrapercevoir, dans les coulisses d’une pensée ludique mais aussi grave, à l’heure des « myopies crépusculaires » de l’artiste, dans la pénombre des paravents noirs qui montent jusqu’au plafond et dramatisent l’espace, ou dans les reflets du miroir en plexiglas. Cocteau et son Orphée ne sont pas bien loin. C’est la mécanique du rêve, de l’illusion et des reflets qui est ici déroulée. Prenons donc le chemin de ces zones troubles qui nous incorporent à un principe d’irréalité.


Agnès Vannouvong


mis en ligne le 23/05/2009
 
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