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          | « Avant la peinture, il y avait les
              ténèbres, après la peinture, il y aura les
              ténèbres ; par nos couleurs, notre talent, par
              notre passion nous commémorons ce que Dieu nous a enjoint
              de voir. Connaître, c’est se souvenir de ce que l’on
              a vu. Voir, c’est reconnaître ce qu’on a oublié.
              Peindre, c’est donc se souvenir de ce qu’« Avant
              la peinture, il y avait les ténèbres, et après
              les ténèbres. Les grands maîtres que fédère
              leur passion pour la peinture, ont compris que la vue, la couleur
              sont fondées sur les ténèbres, et leur aspiration
              fut de revenir aux ténèbres, par les couleurs :
              aux ténèbres de Dieu. Les artistes sans mémoire
              ne se souviennent ni de Dieu ni de ses ténèbres.
              Tous les grands maîtres, en revanche, recherchent dans leur œuvre,
              derrière les couleurs, l’obscurité profonde
              qui reste hors du temps. » |  |  
          | Orhan Pamuk, Mon nom est Rouge. |   Si le blanc et le noir ont joué un rôle déterminant
          dans l’histoire de l’art moderne (il n’est que de songer
          au Carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevitch et au Cercle
          noir sur fond noir d’Alexandre Rodtchenko et à la polémique
          entre ces deux grands artistes russes), et si ce rôle ne s’est
          jamais démenti jusqu’à maintenant (que l’on
          pense à Ad Reinhardt, Lucio Fontana, Alberto Burri, Robert Ryman,
          Piero Manzoni, Jannis Kounelis, Beatriz Zamora, Jean Degottex, Pierre
          Soulages, Robert Groborne, Gianni Burattoni, etc. », le gris
          a tenu une place mineure, sinon inexistante. Tout se passe comme
          si cette couleur qui a tenu son rang dans la peinture ancienne – mais
          ne tenant qu’un rôle technique essentiel et pas du tout symbolique – n’avait
          quasiment plus de réalité. Bien sûr, Fernand Léger
          a utilisé un gris sombre ou brillant pour les canons et Picasso
          l’a utilisé dans les toiles cubistes du début des
          années dix. Mais sa présence demeure marginale et en tout
          cas en dehors des grands débats théoriques sur les couleurs.
          Il n’a pas eu non plus de place réelle dans les âpres
          discussions sur la monochromie au sein des avant-gardes historiques.
          Il a fallu attendre les œuvres d’Agnes Martin (comme Greystone,
          1963), de Françoise Janicot, de Pino Pinelli et de Bernard Ollier
          dans le champ de l’abstraction et celles de Gerhard Richter pour
          que le gris trouve enfin une résonance profonde et un statut philosophique
          dans l’art depuis la Seconde guerre mondiale et, surtout, soit
          l’élément principal d’une spéculation
          esthétique. 
 Quand des artistes misent tout sur le gris, comme l’a fait Ollier
          avec la mine de plomb, ils placent leur démarche à l’enseigne
          d’une teinte qui n’engendre pas a priori des sentiments puissants.
          Mais ils forcent le spectateur à la considérer non plus
          pour son pouvoir de séduction, mais pour sa valeur intérieure.
 Mariantonietta Sulcanese n’a sans doute pas placé le gris
          au centre de sa méditation et de sa pratique picturale. Mais elle
          en a fait l’un de ses pivots majeurs. La grande toile horizontale
          intitulée Nel segno del grigio (2002) le prouve de manière
          spectaculaire et elle peut être regardée comme une œuvre
          manifeste. Sans doute est-ce parce que le peintre a beaucoup employé l’alternance – et
          la confrontation – entre le noir et le blanc, comme on le constate
          dans Tre piccoli versi di luce en 2008 (je parle du panneau central),
          ou encore La melodia del tempo nuova nota de la même année
          car le gris, qui est le fruit de leur union, prend une place de plus
          en plus envahissante dans sa recherche plastique.
 
  En réalité, dans son cas, le gris est omniprésent
          dans un grand nombre de ses compositions. Et de façon presque
          opposée selon le genre de peinture qu’elle nous propose,
          puisqu’elle travaille sur plusieurs registres. Qu’on s’arrête
          un instant devant Angelo metropolitano – evoluzione (2007) :
          là, plus de monochromie ni d’effet de matière :
          c’est un jaillissement lyrique, une explosion sidérale,
          un big bang esthétique, sur un fond bleuté et légèrement
          violet où se déploient des nuances de gris de toutes sortes
          formant un nuage en expansion, un nuage pigmentaire chargé d’une électricité bleue
          et blanche qui semblerait devoir recouvrir toute la surface de la toile.
          C’est une vision cosmique en mouvement. On retrouve ce même
          gris dans une autre configuration qui est celle du triptyque, Tre
          appunti di luce (2008). Ici, une pluie de couleurs, lente et solennelle,
          pleure en traversant une vaste zone grisâtre dans les panneaux de gauche
          et de droite. Au contraire, le panneau central est d’un brun mêlé de
          gris. Le gris que traversent ces longues estafilades de jaune, de blanc,
          de rouge et de bleu influe sur le caractère du panneau principal
          qui est plutôt ocre. Et ce qui est vrai pour cette œuvre
          particulière l’est pour d’autres ayant une autre configuration,
          et aussi d’une sensibilité légèrement différente.
          Il suffit d’observer Comme una preghiera (2008) ou Ottava
          memoria di luce (2008).
 
 
 
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