Les artistes et les expos

Valérie Pavia :
fantômes que fantômes ou les miroirs secrets

par Jean-Paul Gavard-Perret

Que faire avec le bleu ? Car voici le bleu. Mais ce bleu, que peut-il faire ? Que peut-il donner ? Les vidéos de Valérie Pavia lui donnent mieux qu'un nom de Prusse : son identité. Celle-ci engendre celle de la vidéo. Grâce à lui quelque chose y cède. D'où vient que ce bleu est venu ? Des voyages  peut-être ou de l'accident de parcours. Mais surtout de sa force aquatique. Son apparition est un bien-être. Il éloigne les précisions de temps et porte à la nostalgie. On peut presque parler de "bleu sépia". L'image n'est pourtant ni mystérieuse, ni secrète : elle montre. Elle montre qu'un bleu est venu, qu'il va. Le voici dans sa lumière. Changeant, découvert. Est-ce le début du jour ou de la nuit ? La lumière n'a-t-elle pas sommeil ? Le bleu est la mesure de l'image. L'image est sa mesure. Est sa démesure. Face à lui l'homme comme l'artiste elle-même redeviennent enfants. Mais ils trouvent en lui l'espace pour mûrir. Le bleu déplace le passé comme le futur. Il crée le murmure de par ses valeurs changeantes, les techniques mixtes et les bruits off. Il ne craint plus rien il avance. Il vit, craquant de peur à la lumière. Valérie Pavia (se) parle à travers lui. Elle l’outrepasse, elle va vers l’outrebleu passant du cinématographe lorsqu'elle est à l'étranger (cf. son "Sofia") à l'art-vidéo lorsqu'elle revient en France. Son bleu redevient cristallin. Il fait dériver de l'obscur à la lumière. Il courbe l'articulé. Il fait accepter à l'artiste l’inconnu(e) au fond d'elle-même et tant pis pour le temps à gagner ou à perdre. Il faut risquer le montage, empoigner cette poignée de bleu et le jeter plus haut.

mis en ligne le 26/01/2010
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Passage, trace, cheminement des pigments, des liants et de l'eau. Les vidéos de Valérie Pavie parlent de l’air et de l’eau, de la réalité et du rêve. C’est de ce dernier que l’artiste veut se rapprocher afin de métamorphoser le premier. Elle se dresse contre l’angoisse du temps en le transformant non sans tiraillements en espace de sérénité et de lumière. Elle plonge avec délices, avec effroi, dans la couleur de l'eau qui l'accompagne, la déborde ou la disperse. Ses émotions et son attirance sensuelle vont vers ce bleu qui la guide. Cette couleur reste majeure autant dans ses nuances que dans ses glissements, ses mouvements de corps, de visages et d’eau. Il permet de suggérer la violence et la douceur et pousse insensiblement vers un sentiment océanique de la vie par l’autoportrait en creux qu’il dessine. Il devient aussi une couleur « abstraite » qui par delà son rappel aquatique ou céleste évoque une manière particulière d’exprimer les abysses de l’être aussi profonds, angoissants que source de sérénité.

Mais l’œuvre de Valérie Pavia joue non seulement sur les tons mais sur les sons. Elle génère par ce qu’elle exprime le tumulte et le silence. Elle va de l’une à l’autre. Parfois et dans ce but, les mots en insert remplacent l’image. Mais le bleu les saisit. Ils deviennent source de rêveries que l’artiste dirige sans qu’on le comprenne vraiment. Ces rêveries ne sont pas vagues. Elles invitent à l’interrogation. S’y devine (mais ce n’est là qu’une supposition) un goût particulier de l’artiste pour la littérature de Le Clézio. Elle partage avec lui le même amour du bleu et des ses mystères, des êtres et de leurs inconséquences comme de leurs espoirs. Mais la vidéo permet à sa créatrice moins d’exprimer des idées que d’exprimer qui elle est et ce qu'elle ressent au plus profond de son être et dans sa relation au monde. En une époque troublée, envahie par un chaos d’idées et d’images l’oeuvre croît au devenir du monde. Elle refuse le désespoir. Elle reste sans doute pour cette raison inclassable. Son bleu participe d’un certain "métissage" mais il n’a rien d’exotique. Sa fascination  vient d’un rejet de la représentation. L’abstraction est à la recherche d’une harmonie plus que d’un chaos. Pour Valérie Pavie la vidéo est forte uniquement lorsqu'elle parvient à exprimer les premières sensations, les premières expériences, les premiers désappointements. Son travail plastique est une question de vie, conditionnée par un besoin intérieur. A ce titre elle pourrait faire sienne la phrase de Le Clézio : "De deux choses l'une: on risque de se faire avaler par le bleu ou par la mer. Si on se fait avaler la mer, on meurt. Si on se fait avaler par sa couleur, on devient artiste". Et pas n’importe laquelle. Celle qui à travers le bleu offre une traversée de la vie.
I
II
III
 
action d'éclat