Les artistes et les expos
Arthur Æschbacher s’empare des mythes du Mexique
par Gérard-Georges Lemaire
La longue et passionnante aventure artistique d’Arthur Æschbacher repose sur trois piliers. Le premier est son goût prononcé pour les mots, pour la poésie qui émane de la typographie, surtout celle des affiches. Le second est une propension à détourner le langage de l’abstraction géométrique. Enfin, le dernier, est son amour immodéré pour le cirque, qui est sans nul doute le grand amour de sa vie, enraciné dans son enfance et son histoire familiale. Au fil du temps, son œuvre entière a été édifiée sur ces bases en mettant en relations ces éléments afin qu’ils interfèrent les uns sur les autres, se contrastent et finissent par s ‘épouser.

Dans ses tous derniers tableaux, Arthur Æschbacher a subtilisé un grand nombre d’affiches dans les rues de Mexico. Toutes annoncent des matches opposant des lutteurs aux noms extravagants et aux accoutrements qui le sont encore plus, en particulier leurs cagoules bariolées. Ces lutteurs populaires (le sport qu’ils pratiquent est ce qu’est le polo en Argentine et le football au Brésil) donnent le sentiment d’être travestis pour une arène de Carnaval ou un spectacle burlesque. Ils sont aussi illustres que les athlètes qui s’affrontaient à Olympie et sont aussi célèbres que les gladiateurs les plus courages et habiles à Rome. Mais il n’en reste pas moins que les enfants aiment revêtir leurs capes, leurs costumes moulants et leurs masques que leurs parents leur achètent dans les parcs où l’on propose ces déguisements à côtés des friandises. Et ils les préfèrent à ceux de Zorro et de Batman.

Ces œuvres sont en parties figuratives, c’est vrai, puisqu’on y voit apparaître les visages « grimés » de ces champions qui se donnent des allures à la fois majestueuses et comiques. Arthur Æschbacher mise sur cette contradictions dans les termes : des êtres puissants et craints changés en bêtes de foire. Il l’a ensuite inscrite dans son univers esthétique avec des lettres capitales bien encrée et toutes noires et d’autres, multicolores, le plus souvent superposées et déchirées, qui sont placées en contraposition avec des plans de couleurs (noirs, rouges, jaunes, blancs).

Le hasard provoqué et une forme originale de constructivisme, voilà ce qui constitue l’autre paradoxe de ces créations. L’art dans le sens le plus grave (le « sérieux » de la « tradition du Nouveau ») et l’art des masses sont liés dans un équilibre semblant improbable et qui est pourtant indissoluble.
Telle est la force et la singularité de la peinture d’Arthur Æschbacher, qui est aussi collage et assemblage. Si elle se veut le compendium personnel d’une vision de l’art moderne, qui va de Marcel Duchamp à Kurt Schwitters, en passant par Camille Bryen et la beauté aléatoire du quotidien hérité des surréalités, cette peinture-là est d’abord l’invention d’un pur plaisir pour l’œil tout en étant un jeu intense et subtil de l’esprit qui assiste à un superbe combat de catch sur le ring de l’imaginaire.

Gérard-Georges Lemaire

mis en ligne le 14/01/2011
Arthur Æschbacher a exposé
à la galerie Véronique Smagghe
en novembre 2010.
 
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