Dossier Bruno Macé Original ? par Bruno Macé

Dossier Véronique Bigo
Bigo, brève histoire d’un parcours
par Jean-Luc Chalumeau

 

Au moment des « Mythologies quotidiennes 2 », Véronique Bigo investira le thème de Constantin, l’empereur fondateur de Constantinople. Elle a profité d’un long séjour à Rome pour rassembler les traces de son personnage au Palais des Conservateurs et dans les livres des historiens d’art italiens de manière à comprendre comment un homme est devenu un mythe. Elle s’est ensuite tournée vers ce qui reste de la statue monumentale de la basilique de Maxence : un buste de deux mètres soixante de hauteur, en travertin poreux, ravagé par les coulées grises déposées par le temps, si lourd et fragile à la fois. Véronique Bigo sait que la peinture a depuis longtemps cessé d’être chargée d’illustrer ou d’idéaliser le réel : elle doit contribuer à le changer. Or cette tête n’est pas « réelle » : le bloc de marbre pesant est également à la frontière de l’irréel et offre au peintre un maximum de liberté. La peinture va donc agir à partir du mythe pour nous parler de notre réalité. Car le Pouvoir est toujours là et investit sans cesse la conscience des hommes dociles. Il appartient au peintre de faire voir que nous continuons à obéir à un cadavre (comme les sujets de Constantin obéirent pendant quatre mois à sa dépouille embaumée que son fils Maxence présentait au conseil des ministres…). Le pouvoir, les signes de l’autorité ne sont que des ombres. Mais des ombres terriblement présentes sur lesquelles le peintre projette une lumière crue pour les disperser. Crue comme le grain de la toile sur laquelle travaille Bigo avec économie : dire le plus de choses possibles avec le minimum de moyens, sans s’épargner le plaisir de peindre, mais sans jamais oublier non plus que l’imaginaire pictural n’a de sens que par la modification qu’il opère dans les consciences.

L’analyse de Bigo voyage donc, vers 1975-1977, autour de l’icône constantinienne. D’une toile à l’autre, ce regard nous fixe à partir d’un point différent : Constantin est saisi en des instants divers de sa vie, mais, dans certains tableaux, les objets ou les signes qui l’ont toujours suivi apportent des principes de permanence. Ses sandales, la main de l’imperator au doigt pointé vers le ciel, les lèvres closes – il suffit au pouvoir d’être, la parole est inutile -, le trône, le sceptre et surtout le sexe qui, lorsqu’il est associé à l’Ordre, ne saurait être que masculin. Mais tout cela, formidablement lourd dans la vie quotidienne des humains de tous les temps, flotte dans l’espace pictural de Bigo. Ce buste ne repose sur rien et cela nous paraît aller de soi. Le combat du peintre s’affirme par la destruction du mythe, pour la liberté. Si la peinture de Véronique Bigo nous aide à voir nos modernes Constantins pour ce qu’ils sont : de la pierre déjà noircie, c’est qu’elle pratique un art très politique, mais sans la moindre amertume. Le message englouti retrouvé par Bigo oppose la réalité du temps qui passe et les méandres de l’imaginaire à une mythologie du pouvoir qui n’en sort pas indemne. A lui seul, le Constantin envoyé à « Mythologies quotidiennes 2 » va imposer Véronique Bigo comme un des peintres les plus doués de la deuxième génération de la Figuration narrative. Elle évoluera ensuite en prenant notamment appui sur le design appliqué au mobilier puis, en 2003, elle estimera que « plus que jamais, quand l’objet fonctionne, il signale. À sa fonction utilitaire s’ajoute avec une force de plus en plus prégnante, sa fonction signalétique. » Elle sera fascinée par la force de ces signes, elle les exhibera par une « mise en deux dimensions » (peinture ou vidéo) qui les sortira de leur banalité jamais innocente, observant par exemple le destin des accessoires vestimentaires (couvre-chefs, chaussures) souvent expressions de la condition féminine.

Jean-Luc Chalumeau

mis en ligne le 21/04/2011
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