Le face à face avec une toile constitue assurément une part importante de l'expérience esthétique et la réception d'une oeuvre se joue certes dans le processus de contemplation. Le hasard m'a pourtant donné l'occasion de vivre une autre forme d'expérience esthétique.

        En franchissant la porte de la Chisenhale Gallery, je réalise qu'un groupe scolaire me succède. Tous sont venus, comme moi, pour voir l'exposition de l'artiste Lynette Yiadom-Boakye. Les élèves, une vingtaine au total, sont âgés de sept ans, peut-être huit et s'engouffrent dans l'espace d'exposition. En quelques secondes, ils s'emparent des quelques 230 m² de la Chisenhale Gallery et se dispersent aux quatre coins de la salle. Je m'estime, dans un premier temps, tout à fait malchanceuse de me retrouver en compagnie de tous ces écoliers pour visiter cette exposition que je convoite depuis quelques temps.

        J'ai eu l'opportunité, comme beaucoup d'autres, de découvrir le travail de Lynette Yiadom-Boakye lors de la 11ème édition de la Biennale de Lyon, à La Sucrière. La chaleur et la générosité qui émanaient de sa série de peintures m'avaient alors retenue de longues minutes et je quittais l'usine avec l'envie d'en voir davantage. La chance m'en était donc donnée à la Chisenhale Gallery de Londres, mais la visite de cette exposition ne serait pas tout à fait comme je l'imaginais, solitaire et silencieuse.

        Rapidement les accompagnatrices rappellent les élèves à l'ordre et les invitent à se regrouper autour d'elles. Je profite alors de cette accalmie pour apprécier paisiblement les grandes toiles de la jeune artiste britannique. En pied, en buste, assis, individuels ou en groupe, les portraits de Lynette Yiadom-Boakye démontrent une forte intensité psychique. Les tons sont particulièrement sombres, les personnages, brossés grossièrement, occupent systématiquement la totalité de la surface picturale. Les toiles révèlent par ailleurs une certaine aisance, une exécution rapide, franche et spontanée et les larges coups de pinceaux confèrent aux personnages une présence inouïe.

        Deux mètres, peut-être trois, me séparent de 'Greenfinch'. D'un format plus petit que les autres, cette huile sur toile donne à voir le visage d'un personnage de couleur noire. Peint sur un fond noir, sa figure semble surgir de la toile, son regard est direct et provocant. Sa classe, son sexe, son âge, rien ne nous l'indique et pourtant il me semble être si proche, si réel.