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[Visuel-News]
05-12-2024
La chronique de Pierre Corcos Une autre temporalité La chronique de Gérard-Georges Lemaire Chronique d'un bibliomane solitaire
La chronique de Pierre Corcos |
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L'état des choses et l'événement |
La photographie peut aussi figurer un état des choses, illustrer une réalité sociale plutôt que saisir l'événement. Et ce genre de photographie documentaire reste idéal pour se représenter visuellement une situation d'ensemble. Jusqu'au 5 janvier dans le Hall Defrasse de la Citéco (le lieu, étonnant, vaut de toutes façons la visite), l'exposition didactique Janine Niépce - Regard sur les femmes et le travail en offre un très bon exemple. Janine Niépce (1921- 2007) fut sans doute l'une des premières photoreporters françaises... Après des études universitaires (elle avait obtenu une licence d'histoire de l'art et d'archéologie à la Sorbonne), elle a appris les techniques de la photographie. Avec talent et munie de son Leica, elle a su après la guerre s'immerger dans la société française et témoigner, par la photographie, de ses lentes évolutions. Elle accomplit ce travail au long cours d'abord pour le Commissariat au tourisme, puis, à partir de 1955, pour l'agence Rapho. Très sensible à la cause des femmes, féministe sans être militante, elle photographia avec rigueur leur condition. Comme le disait l'auteur et journaliste Claude Roy, « Janine Niépce s'est trouvée là où le deuxième sexe arrachait un peu de liberté à la nécessité, un peu plus de responsabilité à la fatalité ». Elle fut d'ailleurs à l'origine d'une grande exposition intitulée « Les femmes au travail, 1882-1982 ». À la Citéco, nous retrouvons cette oeuvre photographique d'une grande qualité pédagogique, saisissant, derrière scènes choisies du quotidien et mouvements politiques, la place en progression des femmes dans la société française durant la seconde moitié du 20ème siècle. Qu'elle documente emplois précaires, travaux agricoles ou métiers de la santé, Janine Niépce réfléchit longtemps à ses photographies pour qu'elles nous parlent, sans anecdote ni sensationnel, le plus clairement possible d'une situation sociale. Si les textes de l'exposition nous rappellent un certain nombre de données sur le travail féminin, les inégalités statutaires ou salariales qui persistent, de leur côté les photographies de Janine Niépce (insuffisamment mises en valeur ici) illustrent avec pertinence un état des choses lent à mouvoir.
C'était jusqu'au 24 novembre au Kiosque, à Vannes, une exposition intitulée Instantanés et fulgurances sur le photoreporter Gilles Caron (1939-1970), mort à 31 ans durant la guerre civile au Cambodge. Une carrière trop brève mais féconde, puisque en cinq années Caron a produit plus de cinq cents reportages... Si l'on met à part ses photos de personnalités célèbres où la pose, l'artifice, l'idéalisation demeurent souvent la règle (et encore : sa photographie de Jane Birkin et Serge Gainsbourg ou celle de François Truffaut et Jean-Pierre Léaud semble impromptue et révèle tant sur les liens entre les personnages !), souvent les instantanés de Gilles Caron recèlent un trésor du photoreportage, à savoir la fulgurance proprement magique d'un instant exceptionnel concentrant l'extension d'un récit. Et, dans son presque-rien temporel, une insoupçonnable densité... Mais, avant de fournir des exemples, deux précisions concernant ces instantanés dissiperont quelques naïvetés. D'abord, le plus souvent, le photoreporter mitraille la scène, l'événement, puis il sélectionne sur sa planche contact une photo. Ensuite le choix de cette photo est en général guidé (outre la part de composition pouvant être retravaillée grâce au recadrage) par la signification globale de l'événement, que le bon photoreporter connaît et qu'il partage avec le futur récepteur. Si la photo fait sens, c'est bien qu'il y a un référentiel commun entre et photographe et public ; si elle fait mouche c'est que l'instant choisi était le plus juste. Voilà qui redonne toute sa richesse à la notion de « regard » en photographie... Grâce à lui, certaines photographies de Gilles Caron sont devenues des icônes médiatiques. La plus connue reste sans doute ce moment unique de confrontation entre le visage poupin, frondeur et jovial de Daniel Cohn-Bendit et la silhouette noire et massive d'un CRS de dos, comme un symbole d'une institution sinistre mais qui ne fait plus peur. Toute l'histoire d'une révolte juvénile contre la rigidité de l'ordre ancien d'un coup, en magique éventail, se déplie là... Mais on trouve aussi dans l'exposition cette photographie étonnante, antithétique, de la manifestation réactive de soutien au Général de Gaulle. On s'y bouscule entre les drapeaux tricolores et les fleurs de l'Arc de Triomphe. Au premier rang, Michel Debré serre très fort la main d'André Malraux, comprimé par la foule et près de défaillir dans son costume débraillé, tandis que sur un manifestant le V avec deux doigts d'une croix de Lorraine ressemble à des cornes... Gilles Caron était aux côtés des étudiants de mai 68, comme des soldats américains au Vietnam. Il fallait saisir l'expression de ce soldat casqué, le poing droit enfoncé dans la joue ! Fureur contenue et perplexité se perdant en rêverie lointaine. Ou celle (guerre du Biafra) de cet Africain aux grands yeux moroses, portant sur sa tête six roquettes attachées par des lianes...
Trois chapitres et une cinquantaine de photographies dans cette courte mais excellente exposition sur Gilles Caron, de l'agence Gamma. Une façon de renouer le lien entre l'acte photographique comme instantané et le sens de l'événement.
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