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Dossier Myriam Baudin
La pratique de l’esprit pop
Dossier Myriam Baudin : La pratique de l’esprit pop par Jean-Luc Chalumeau
Par Jean-Luc Chalumeau
Myriam Baudin est née en 1968, c’est-à-dire dix ans après la réalisation par Robert Rauschenberg de Coca Cola Plan, une des œuvres fondatrices du pop art. Aujourd’hui, devenue peintre, elle revendique sans hésitation sa filiation avec ce mouvement : " c’est avec un esprit ‘pop’, dans un style qu’on peut qualifier de néo pop que j’exprime et cultive l’ambiguïté. "

À peu près un demi siècle après son apparition, l’esprit pop n’a rien perdu de sa vigueur, comme en témoigne le développe- ment récent du courant des nouveaux pop: Myriam Baudin n’est nullement solitaire dans sa démarche, parce que cette démarche est nécessaire. Pour comprendre le monde tel qu’il est, les points de vue des sociologues ou des économistes ne sont pas suffisants : c’est l’esprit pop, lorsqu’une artiste de la qualité de Myriam Baudin s’en empare, qui peut offrir les clefs indispensables, quand bien même le regard de l’artiste cultive effectivement l’ambiguïté, mais jamais sans élégance. Il n’est donc peut-être pas sans intérêt de faire retour sur le pop art de la grande époque en nous accompagnant des images inventées ces temps-ci par Myriam Baudin, et de voir dans quelle mesure il y a bien une actualité vivante du pop.
Myriam Baudin, Mousse moi la, 2001. Peinture acrylique. Myriam Baudin, Mousse moi la, 2001. Peinture acrylique.

Souvenons-nous, pour commencer, des Great American Nudes de Tom Wesselmann, le n o 50 par exemple (1963) : dans le monde "clean " des chambres et des salles de bains des intérieurs-types de l’american way of life sont incorporés, sur le même plan, des objets de la société industrielle (un poste radio tiques de l’art étiqueté " cultivé " dont les reproductions sont répandues dans la middle class (Renoir et Cézanne en l’occurrence). Nous sommes apparemment dans un monde aimable: la femme qui fume en faisant semblant de lire – et qui, malgré le titre, n’est pas du tout nue – nous sourit. Mais ce monde aimable est celui de l’équivalence générale. Tout se vaut dans l’univers de cette jeune femme qui semble baignée dans une musique d’accompagnement reliant toutes choses en une superficielle unité. Cette unification n’aurait-elle pas l’argent- roi pour origine ? En 1962, Andy Warhol a représenté le signe de la dépendance générale avec 80 billets de 2 dollars (recto et verso). Il a ainsi témoigné à sa façon de l’immaturité générale dans le capitalisme matérialiste, et de la disposition irrésistible de chacun à s’identifier à la masse, bref : le triomphe du kitch.

Au début du XXI e siècle, les choses n’ont pas changé, elles se sont simplement répandues, au-delà des États-Unis, à la terre entière. Et voici par exemple La dinde de Noël est une oie blanche (2006) de Myriam Baudin. La "dinde", jolie créature cachant sa nudité avec une lascivité plutôt naïve, se sait vue par un regard mâle. Sa psychologie est, à n’en pas douter, celle véhiculée par les stéréotypes de la presse people. Entre l’homme et elle, une grande boule de neige (de celles que l’on trouve dans les boutiques de souvenirs de tous les lieux du tourisme de masse, donc l’objet kitch par essence) contenant la silhouette blanche d’une oie. Qu’est-ce que le mauvais goût, s’interroge le peintre ? Mais c’est tout simplement le goût de notre temps, et il faut bien s’en accommoder. Son travail d’artiste, comme celui de Wesselmann cinquante ans plus tôt, consiste à montrer que les êtres aussi bien que les choses faisant partie d’une certaine société constituent tous les signes du moment. Les correspondances entre l’homme, le monde et les objets dessinent l’image d’une époque. Rien ne nous empêche, bien entendu, de la regarder avec ironie, et peut-être un peu de ten- dresse, grâce à Baudin.
Ce peintre aime bien la manière dont un Jeff Koons " met sous la lampe certains objets aujourd’hui ". Des objets kitch, juste- ment, avec lesquels, comme tous les pop artistes, il établit le diagnostic sismographique de son époque. L’art de Myriam Baudin, comme celui de Jeff Koons et comme celui des Nouveaux pop (je fais allusion, entre autres, à Liu Ming, Philippe Huart, Cecilia Cubarle, Maria Manuela ou Sylvie Fajfrowska), procède des réalités quotidiennes. Prenons l’une de ses images parmi cent autres: Soigner mon intérieur(2005) dédié au célèbre " Monsieur Propre" de la lessive, dont Myriam Baudin n’a pas manqué d’observer que les publicitaires en ont fait un œnuque. Cet étrange personnage chauve, stupidement souriant, musclé, au tee shirt moulant immaculé, n’inquiète pas les hommes et rassure les femmes qu’il est censé aider. Le voici mis en situation à côté d’un intérieur représentatif de l’idéal du cocooning. Mais il est également placé en vis-à-vis d’un jeune homme à l’aspect franchement viril, lui, de ceux qui soignent leur corps dans les publicités pour déodorants ou crèmes à raser (mais son corps n’est-il pas son petit intérieur à lui, qui n’a pas de cervelle ?). Le tout est aussi méthodiquement construit qu’un tableau abstrait géométrique. Pas de doute: aujourd’hui, autant et plus qu’à la fin des années 50, sont valables les analyses de Marshall McLuhan concernant les signes du temps d’où est né notre paysage médiatique : une véritable industrie de la conscience qui agit sur les comportements, la culture, l’art lui-même. Le design est normalisé, des choses sont emballées pour en faire des produits consommables et la dépendance par rapport aux médias est telle qu’apparaît un être humain déterminé par ce qui lui est étranger, entièrement manipulable par les stratèges du marché.
Myriam Baudin, La dinde de Noël est une oie blanche, 2002. 80 x 80 cm. Peinture acrylique. Myriam Baudin, Moi Tarzan dans la jungle du marché, 2002. 146 x 114 cm. Peinture acrylique. Gérard Le Cloarec, Femme girafe, 2004. 100 x 81 cm.

La phrase célèbre : " le média est message" n’est pas sans portée explicative pour le pop art d’hier comme pour celui d’aujourd’hui : l’environnement humain est fait de produits préfabriqués et la notion de " mass media" correspond à l’industrie de l’information et des biens de consommation. Le media n’envoie pas seulement des messages, il n’est pas vecteur d’une communication: il en est lui-même le thème et le but. Les mass media, publicité en tête, axés sur eux-mêmes, sont devenus la clef de la communication sociale et le véritable moteur de la culture populaire : sans eux, plus rien ne fonctionnerait. Ils ont dévalorisé la production individuelle attachée jusque là aux notions d’art et de culture et une issue possible, pour l’artiste désormais, c’est d’entrer en compétition avec les médias en utilisant et retournant les possibilités de création qu’ils offrent malgré eux. Les pop artistes des années 60 l’ont parfaitement compris, et c’est avec une conscience encore plus aiguë du problème que Myriam Baudin est entrée dans le champ de l’art de son temps. En conséquence, pas plus qu’à Jasper Johns érigeant la boîte de Ballantine Ale moulée en bronze en objet de contemplation, elle n’a peur de traiter à sa manière, par exemple, le thème de la bière. Mousse moi la (2005) est une composition complexe dans laquelle, autour d’un jeune mannequin mâle dont la chemise vert-Heinneken laisse apercevoir la musculature avantageuse, se combinent la mousse, la capsule, l’étoile rouge de la marque mais aussi la queue de cheval d’une jolie fille (connotation de la bière pour la masse des hommes : l’amusement, le sexe – " passer d’une blonde à une brune " -) etc. Oui, l’art s’intéresse désormais à la trivialité du monde de la consommation, mais, avec Myriam Baudin, c’est pour le mettre doucement en question. Moi Tarzan dans la jungle du marché(2003) est exemplaire à cet égard, et d’une remarquable efficacité. Voici Tarzan, naguère symbole de la liberté, derrière les barreaux d’une cage. Ces barreaux ne sont autres que les rayures d’un code barre. Comment mieux dire que le marché est une prison, à l’aide des images et des signes mêmes utilisés à satiété par le marché ? Voici un des rares tableaux dans lesquels l’artiste a renoncé à l’ambiguïté.

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mis en ligne le 18/12/2006
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