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Dossier Gérard Le Cloarec
La peinture comme éblouissement
Dossier Gérard Le Cloarec _ La peinture comme éblouissement par Thierry Laurent
par Thierry Laurent
Avec Le Cloarec, c’est d’abord la couleur qui capte le regard. Une couleur pleine d’insolence. L’artiste nous montre une peinture dans sa pure essence lumineuse, qui se joue des notions de figuration et d’abstraction.

Gérard Le Cloarec, Le pinceau, 2005. 146 x 114 cm
Les toiles de Le Cloarec sont construites à partir d’un vaste fond de couleur pure : le jaune des tournesols, le bleu des fonds marins, le rouge des capes de torero. L’artiste retravaille son fond afin de lui conférer un surcroît de scintillement, et pour cela, il juxtapose une infinité de touches dont les nuances se distinguent de façon infinitésimale. Le résultat pourrait être celui d’un monochrome, mais voici des colorations en mosaïque qui nous rappellent l’incandescence des toiles de Rothko. On l’a compris : ce n’est plus tant la couleur qui intéresse l’artiste que l’éblouissement du spectateur.
Et puis, il y a le sujet central de l’œuvre. Ici, rien à voir avec le fond étal. Bien au contraire, c’est la touche isolée, bien délimitée, qui structure la forme. Que voit-on au centre de la toile ? Un formidable champ de bataille chromatique où s’entrecroisent, s’affrontent, se juxtaposent une foultitude de touches géométriques. Voici des étincelles jaillissantes, des kaléidoscopes affolés, comme si des volcans projetaient dans l’espace d’intenses éclaboussures de couleurs acides. Mais Le Cloarec opère un tour de prestidigitation. Car du chaos chromatique va surgir la représentation.
Il faut peut-être accomplir un ou deux pas en arrière de la toile pour que la magie fasse effet : une forme humaine apparaît, se reconfigure, ici un corps dans l’éclat de sa sensualité, là un visage au regard énigmatique. Le Cloarec peint des corps qui se déploient dans toute la force de leur musculature, ou dont la puissance physique au repos reflète l’intensité de la méditation. Le Cloarec proscrit le dessin comme vecteur principal de la forme. Les touches de peinture se lisent comme la force structurante du réel. Chacune a la forme d’un trait ordonnancé, d’un rectangle étroit, d’une croix, d’un triangle, et constitue la brique primordiale d’un jeu de construction pictural. Bien sûr, il y a des précédents. On pense aux points de couleurs du post-expressionnisme, aux points de la bande dessinée que Roy Lichtenstein s’est évertué à rendre visibles, aux pixels de l’image numérique. C’est bien l’image contemporaine que nous restitue Le Cloarec.

A partir des années 1990, le Cloarec entreprend une hallucinante galerie de portraits. Francis Bacon, Tabarly, Courbet, Colette, Malraux, Duke Ellington, César, Pierre Restany, Gauguin, Pierre Cardin, Ray Charles, Céline, et bien d’autres, qui appartiennent au panthéon des arts et de la littérature. Non pas des portraits psychologiques, en ce sens que l’artiste ne tente ni de saisir la ressemblance physique, ni de définir le caractère de la personne. Non, ses portraits sont plutôt des archétypes, une manière de cerner la catégorie éthique à laquelle se rattache le personnage, bref l’idée force qu’il incarne.
Rimbaud n’est pas l’individu Rimbaud, mais la figure du poète, un visage triste de beau jeune homme, lointain, presque absent, c’est l’essence du destin rimbaldien qui ici transparaît. De même, le visage de Tabarly n’est pas seulement celui de Tabarly, mais la mise en valeur du courage physique, de la solitude acceptée, de la volonté inébranlable de dompter les éléments. Il y a en revanche de la douceur dans le portrait du couturier Pierre Cardin, le front est amplifié, les lunettes sont bien visibles, voici donc la figure du créateur qui intériorise l’émotion, médite sa création, réfléchit ses modèles. Du portrait de Ray Charles, jaillit comme une férocité guerrière, un sourire radieux, celui du musicien dont la voix triomphe du terrible handicap d’être aveugle, ici rendu bien visible par la présence presque exagérée des lunettes noires. C’est le César de la vieillesse qui est portraituré, et il y a comme une inquiétude qui transparaît du regard, comme si l’artiste contemplait de l’au-delà ses chefs-d’œuvre.
Entre lui et Pierre Restany, il y a un air de complicité. La barbe en bataille peut-être ? Chaque visage est donc l’expression d’un archétype : le poète, l’aventurier, l’artiste, le grand couturier, l’écrivain.

Avec Le Cloarec, on songe aux toiles les plus fauves de Matisse : libre jeu de surfaces chromatiques qui provoque l’enchantement. Une peinture qui se passe du discours. Un pur hédonisme de la couleur.
Thierry Laurent
mis en ligne le 19/08/2006
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