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Antonio de Pascale
le nouveau Pop
Du coin de l'oeil
Par Marco Senaldi


Du coin de l’oeil, j’ai entrevu une publicité étrange de ce genre de service immatériel typique (assurances ?) où l’on voyait quelqu’un, dans un panorama touristique, couché dans un hamac et accompagné d’une jeune fille en bikini avec une boisson. Cependant les choses commencent à disparaître : d’abord la boisson, ensuite la jeune fille, enfin le hamac… jusqu’à la disparition de la headline qui murmure : « Peur de perdre ton niveau de vie ? ». Le publicitaire nous a capturés. Indépendamment du fait que nous ayons vraiment possédé tout cela (des vacances de rêve, des aventures érotiques, etc.), ce qui compte en premier lieu c’est que nous ayons pu en rêver et donc que nous ayons eu peur de le perdre. Ce qu’on nous dit implicitement, c’est que si nous avons désiré tout cela, alors nous faisons partie du « système » - mais qui est celui qui n’a jamais eu un désir de ce genre ? Une publicité comme celle-ci nous fait réfléchir sur la situation hypermarchande que nous vivons – et, en définitive, sur les horizons existentiels de nos désirs. Le contexte est tel que « personne n’est innocent », personne ne peut se « déclarer extérieur » avec prétention et adopter un point de vue lui permettant d’exprimer un jugement dépourvu de passions – et cela vaut aussi pour les artistes, dont l’oeuvre, si elle se limite à opposer résistance et à construire une « réflexion critique », risqueraient non seulement de ne pas égratigner l’existence, mais de rendre son mécanisme plus fluide, en devenant pour ainsi dire la « transgression prévue ».

Mais certains artistes – dont certains, par chance, ne sont pas moins rusés que les plus rusés des publicitaires – se sont aperçus de tout cela et, prenant conscience de ne disposer que de stratégies internes au champ de la communication qui nous entoure, créent des « bricolages » qui utilisent les éléments défectueux et « anti-communicatifs » qui le caractérisent. Je crois que le travail d’Antonio De Pascale s’inscrit exactement dans ce genre de pratique destinée à redéployer sans cesse les déchets, les excès, les protubérances et les trous à moitié cachés dans ce qu’un sociologue comme Arjun Appadurai a défini notre « mediascape » ou panorama médiatique. Ce qui ne cesse de frapper dans son travail est justement le fait que plus que d’«oeuvres », il s’agit de « pratiques », c’est-à-dire de séquences de travail qui, naturellement, sont en perpétuelle mutation, à la recherche permanente du « point faible » où la communication médiatique se contredit et se révèle en même temps. Dans une série inédite réalisée il y a un certain temps, Reliefs (1993/1994), Antonio De Pascale avait par exemple énormément agrandi les fiches d’instruction pour permettre l’utilisation d’une douzaine de mécaniques, en mettant en lumière l’énigme de leur beauté pop et, simultanément, le fait que, bien qu’il s’agisse d’instructions dont on devrait se débarrasser une fois monté ou utilisé l’objet auquel elles se réfèrent, elles n’en continuent pas moins à circuler dans la maison comme le supplément de quelque chose (le produit) dont elles révèlent l’absence intrinsèque. Que dans cette oeuvre, comme dans tout son travail, pour parler de choses totalement artificielles.


Antonio De Pascale emploie le langage délicieusement artisanal et conventionnel de la représentation picturale, n’est pas secondaire. La stratégie utilisée est à la fois celle d’un rapprochement et d’une distance ; dans les séries certainement plus connues, qui se concentrent sur l’emballage des marchandises contemporaines, il en explore l’apparence avec la patience d’un clerc. Et, comme un copiste, pour Aller et retour (1995/1998), il se consacre à de scrupuleux trompe l’oeil du paquet, en recopiant les motifs, le dessin, le logo, jusqu’au texte détaillant les ingrédients du produit avec la technique classique de l’acrylique sur toile. D’autre part, il prédécoupe le « tableau » ainsi obtenu exactement dans les formes du paquet d’un autre produit, différent de celui précédemment copié, produisant ainsi des hybrides anormaux, des packagings transgéniques : yogourt avec la « peau » de lames de rasoir, cannettes de bière travesties en tomates en boîte, biscuits avec le look de tampons hygiéniques. Dans une autre série inédite, Skyline (2004), Antonio De Pascale affine encore plus les armes de l’analyse : il y a là les images de la télévision les plus atroces, les plus impressionnantes et vides, qui deviennent des aquarelles, presque de rapides esquisses de voyage d’un peinte voyageur du siècle dernier… Mais une fois capturée, l’image redeviendrait un fétiche si elle n’était pas de nouveau niée par sa confection : et c’est ainsi que les légères gouaches d’apocalypses d’après le dîner deviennent à leur tour des « récipients », des boîtes, des involucres vides dans l’attente, peut-être, d’être remplis de cette signification qui, pour l’instant, s’obstine à rester latente.
Marco Senaldi (Traduit de l’italien par Gérard-Georges Lemaire)
mis en ligne le 06/06/2008
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