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Colloque international de Ronchamp
Art sacré
Du contemporain en recherche d’éternité
Colloque international de Ronchamp _ Art sacré : Du contemporain en recherche d’éternité par Humbert Fusco-Vigné
par Humbert Fusco-Vigné
L’exigence d’une rencontre a désigné, en septembre 2005, le colloque international francophone sur l’Art sacré contemporain tenu à Ronchamp et réunissant une bonne centaine de participants. Le projet de cette manifestation fut de mettre en lumière le dialogue entre des acteurs à la croisée d’un double dépouillement, celui de la quête spirituelle et celui de la création contemporaine. Son appellation se référait à la rencontre de 1949 entre Le Corbusier et le père dominicain Marie-Alain Couturier. Ce dernier, également peintre et artiste, avait su devenir l’ami et le confident des plus grands peintres et écrivains de son temps, de Fernand Léger à Picasso et Chagall, comme de Cocteau à Jouhandeau et Julien Green. Reconnu ainsi comme un acteur-clef d’un renouveau de l’Art chrétien, comme on disait alors, il bénéficia, dans cette initiative, de certains appuis au sein de l’Église, dont celui, déterminant, du Père Lucien Ledeur, secrétaire de la Commission d’Art sacré. Ce dernier, une fois acquis l’accord de Le Corbusier, travailla longtemps et régulièrement avec lui, à Paris, dans son atelier, sur la liturgie et la dimension mariale de la chapelle de Ronchamp. Il y eut aussi Maurice Jardot qui, le 24 juin 1950, emmena un Le Corbusier sceptique visiter à tout hasard le site de Ronchamp. Jardot, personnage complexe, très à gauche en politique, à la fois inspecteur des monuments historiques puis secrétaire du galeriste Daniel-Henry Kahnweiler, connaissait et admirait Le Corbusier depuis 1938 et fit ultérieurement donation à la ville de Belfort de sa remarquable collection personnelle d’art moderne. Le père Couturier animait avec le père Regamey la revue L’Art Sacré qui militait, avec talent, pour un nouvel art sacré contemporain, prenant appui sur des Commissions d’art sacré diocésaines rénovées. Couturier convainquit et détermina Le Corbusier, alors peu familiarisé avec le religieux - allant jusqu’à parler d’institution morte à propos de l’Église ! - à réaliser de bout en bout, de 1950 à 1955, à Ronchamp, au sommet de sa colline de Bourlémont, la chapelle de Notre-Dame du Haut, dédiée au culte marial de la mère qui, à la fois, abrite et délivre. Un choix aux sources multiples, mais en l’occurrence non fortuit quand on sait la force du lien unissant Le Corbusier à sa mère. La création de Notre-Dame du Haut se fit au terme de cheminements religieux et administratifs complexes. Des intervenants du colloque ont permis d‘en éclairer et d’en apprécier certains détours, en particulier Françoise Caussé, Agrégée d’Arts plastiques et docteur en histoire de l’Art, Sarah Wilson, professeur à l’Institut Courtauld de Londres, à propos du renouveau de l’Art sacré dans l’après-Guerre en France, et Annick Flicoteaux, membre de la commission diocésaine de Besançon d’Art sacré et diplômée de l’Institut des Arts sacrés de la « Catho » de Paris (Institut catholique), dont l’ancienne directrice Régine du Charlat fut médiatrice de la première journée du colloque. Ces détours qui aboutirent à édifier Notre-Dame du Haut se révélèrent parfois aussi impénétrables que le sont les voies du Seigneur selon les Écritures. Les prélats, prêtres et autres experts en Art sacré présents au colloque eurent la charité de ne pas en rajouter et, à l‘occasion, d’en sourire, mais aussi de fournir des explications, pleines d’intérêt et parfois visiblement empreintes de mansuétude.

LA PERSONNALITE DE LE CORBUSIER

Cette chapelle de Notre-Dame du Haut fut créée de bout en bout et en totalité par Le Corbusier qui, peu avant, avait pourtant refusé la commande d’un temple protestant en Suisse. Il en surveilla et en confia l’édification sur place, ratifiant certaines de ses innovations prises en urgence, à son collaborateur de la rue de Sèvres, l’architecte André Maisonnier, originaire de la région. Ce sanctuaire se révéla aussitôt comme une oeuvre exceptionnelle, vite jugée déterminante dans l’art sacré contemporain, voire au-delà. La présence intellectuelle et la tension mystique attribuées à son créateur contesté et prétendu agnostique ont éclairé, parfois même inspiré, ce colloque. En l’ouvrant, le professeur d’architecture à Strasbourg Jean-Jacques Virot rappela que Le Corbusier, sur son chantier de Notre-Dame du Haut, fut un jour provoqué par un journaliste du Chicago Tribune : Maître, comment vous, athée, avez-vous pu réaliser une chapelle ? Il répondit vivement : Monsieur, sachez et dites-le, que je ne suis pas athée. Je suis disponible. Comment dire mieux? Le Corbusier inventa le Modulor, grille de mesures harmoniques à l’échelle de l’homme, en architecture. Il fut aussi l’inventeur de la splendide formule définissant l’architecture, hier et pour toujours, comme Le jeu correct, savant et magnifique des formes et des volumes sous la lumière.
Un inspecteur des monuments historiques déclara de son côté en 1951, à propos du projet de Ronchamp : On va foutre en l’air trois mille ans d’architecture ! C’est lui qui se trompait. Des articles récents, entourant notamment le livre de Jean-Louis Cohen paru en 2005 (Le Corbusier, la planète comme chantier chez Textuel/Zoé, cf. Le Monde des 28 et 29 août 2005) ont évoqué avec excès, sans se référer au contexte ni prendre la précaution d’un recul historique - c’est très tendance - pas mal d’absurdités, à côté de critiques parfaitement explicables quand il s’agit des paradoxes de tout créateur talentueux. On a ainsi dénoncé, chez Le Corbusier, de médiocres intrigues de courtisan envers les puissants, et on a relevé une médisance antisémite accidentelle, bien sûr difficile à excuser, à l’égard de décideurs et financiers juifs peu accommodants, ce dont ils n’ont pas en effet le monopole.
Autant de choses à quoi se livrent ou se laissent aller tous ceux qui doivent vivre de leurs talents, obligés qu’ils sont de croire en eux pour créer et réaliser leurs projets, contraints aussi pour cela de réussir des concours et de se faire valoir dans les médias, ce qui est devenu la règle aujourd’hui. Il faut flatter des jurys et obtenir des marchés, l’argent dans ces cas-là n’a pas a priori d’odeur, surtout quand on y est contraint pour faire tourner ses entreprises et pour en faire vivre des collaborateurs. En 1927 et en 1931, à côté de réalisations remarquables, comme le seront celles qui suivirent, Le Corbusier sera évincé, par des cabales d’architectes académiques et d’élites rétrogrades, des concours pour le siège de la Société des Nations à Genève et celui du Palais des Soviets à Moscou. Du coup, on a attendu aujourd’hui pour murmurer qu’il fut fasciste ou communiste, parce que, à l’instar des meilleurs architectes de son temps, il a concouru et espérait construire ses créations, à une époque où l’ambiguïté du monde envers certains grands projets architecturaux, dans de nouveaux régimes autoritaires peu connus, ne faisait pas systématiquement vouer aux gémonies, ce qui est devenu la norme, leurs intervenants et partenaires professionnels extérieurs. Heureusement qu’il y eut Albert Speer « l’architecte que Hitler aimait », et au surplus son conseil et son confident, ambitieux mais prudent, pour que Le Corbusier, citoyen helvétique d’éducation protestante, athée, original et presque extravagant, mais rigoureux, ne se voit pas attribuer des inclinations pour le nazisme !

Je n’avais rien fait de religieux, mais quand je me suis trouvé devant ces quatre horizons, je n’ai pu hésiter (…)
Le Corbusier
(Charles-Édouard Jeanneret)
Créateur de la chapelle Notre-Dame du Haut de Ronchamp (1950-1955)


S’il avait possédé un tel défaut, un homme aux qualités humaines et à la foi religieuse d’exception comme le fut Eugène Claudius-Petit, chrétien socialement engagé, résistant et compagnon de la Libération, ébéniste puis professeur de dessin et peintre devenu ministre de la reconstruction, ne lui aurait jamais accordé, comme il le fit, sa confiance, son amitié, une admiration éprouvée pour son génie et un appui sans faille. On pense enfin à Le Corbusier dessinant, pour son célèbre Poème de L’Angle Droit (1953), cette main ouverte dont on retrouve le motif à Notre-Dame du Haut et dont il fit sienne la devise : Pleine main j’ai reçu, Pleine main je donne….

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mis en ligne le 01/03/2006
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