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Colloque international de Ronchamp
Art sacré
Du contemporain en recherche d’éternité
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RONCHAMP, CHAPELLE DE "BÉTON LOYAL" TOURNÉE VERS L'ÉTERNITÉ


Le colloque proprement dit fut organisé et conduit sous la houlette éclairée de Jean François Mathey, avec l’appui d’intervenants et d’animateurs de qualité, conjugué à celui d’une commission, en particulier Thérèse Willer, conservatrice à Strasbourg, et Noël Roncet, de l’Association privée de l’OEuvre Notre-Dame du Haut, qui préside au destin terrestre de la chapelle et à sa sauvegarde. Ce Colloque a marqué le cinquantième anniversaire de la création de cette chapelle posée, hors du temps et dans sa sérénité extra-terrestre, sur la colline de Bourlémont, entre les derniers contreforts du sud des Vosges, la plaine d’Alsace et les collines du Jura. Ce site et son sanctuaire surplombent Ronchamp, comme pour mieux veiller sur cette petite cité industrieuse de Haute-Saône, agricole et commerçante, de tradition ouvrière et de culture minière, bref humaine. Cette communauté vivait dans un climat social difficile et mit des années à intégrer la création de Le Corbusier, aujourd’hui mieux acceptée et cultivée, le nom de l’architecte étant même devenu celui d’une (petite) partie de la rue principale de la ville. Le site et son église ont été, à travers les siècles, un lieu de pèlerinage établi mais souvent dévasté par la foudre, le feu et les guerres. Aujourd’hui, l’esplanade herbeuse de l’Est du site, qui peut accueillir dix-mille fidèles en plein air, se termine, à la lisière des forêts de la colline, par un mémorial élevé avec les pierres qui restaient du chantier. Sa forme en degrés quadrangulaires rappelle les monuments mayas et leur structure cosmique puisque ses quatre côtés s’alignent selon les quatre points cardinaux. Un panneau discret célèbre « des Français » (Le Corbusier aurait souhaité qu’on y inscrive « des hommes »), essentiellement des soldats d’Outre-Mer et d’Afrique du Nord, qui « sont morts pour la paix » en affrontant, fin 1944, jusqu’au corps à corps, les troupes ennemies, notamment bavaroises, durant les furieux combats de la libération de Ronchamp contre des armées nazies à la fois en défensive et en retraite.
L’effort humain propre à la montée en pèlerinage vers la chapelle et au recueillement spirituel dans le silence ont été gérés par Le Corbusier. Notre-Dame du Haut n’a pas vocation à devenir un Mont Saint-Michel encombré de touristes.
Lorsque, en 1955, il donne les clefs de la chapelle, rayonnante comme un vaisseau de lumière, à Monseigneur Dubois, Archevêque de Besançon, il lui dit : Excellence (…) en bâtissant cette chapelle, j’ai voulu créer un lieu de silence, de prière, de paix, de joie intérieure. Le sentiment du sacré anima notre effort. Des choses sont sacrées, d’autres ne le sont pas, qu’elles soient religieuses ou non (…) Quelques signes dispersés, et quelques mots écrits, disent la louange à la vierge. La croix - la vraie croix du supplice - est installée dans cette arche ; le drame chrétien a désormais pris possession du lieu. Excellence, Je vous remets cette chapelle de béton loyal, pétrie de témérité peut-être, de courage certainement, avec l’espoir qu’elle trouvera en vous comme en ceux qui monteront sur la colline, un écho à ce que nous y avons inscrit .
Entre des parois concaves et convexes, refusant l’angle droit, et sous ses trois clochers percés de multiples ouvertures, la lumière est savamment captée, soit en direct, soit au travers de vitrages colorés dont certains portent notamment des extraits du Je vous salue Marie écrits de la main de Le Corbusier, soit en la canalisant et en la rediffusant par des puits de lumière vers l’autel des trois petites chapelles du sanctuaire. Notre-Dame du Haut s’apparente à une Arche de pierre et de béton crépi revêtu de chaux blanche, faisant vibrer la lumière, posée sur un sommet. Elle est placée sous la majesté des voiles immenses d’une toiture de béton brut, comme gonflées par le vent, et dont l’historienne de l’art et professeur d’architecture Danièle Pauly rappela que les formes furent inspirées à Le Corbusier, par la coque d’un crabe trouvée sur une plage de Long Island près de New York !
En convainquant en 1949 un Le Corbusier a priori pas du tout convaincu, le père Couturier s’engagea loin des pastiches gothiques et byzantins dont fut friande l’église catholique de la première moitié du XXème siècle. Il avait fait de même dans l’aventure de la création ou de la décoration (sculptures et vitraux notamment) d’églises nouvelles, comme en 1950 celle du Plateau d’Assy en Haute-Savoie, ou encore l’église du Sacré-Coeur d’Audincourt, près de Montbéliard. C’est lui aussi qui convainquit Matisse de créer ce que le peintre appela son chef d’oeuvre, la chapelle du Rosaire à Vence, dont il se désintéressait de l’architecture dans laquelle Le Corbusier fut au contraire très impliqué, mais le cas n’a pas été suffisamment exploré. Vence, une création qui inspira Picasso pour sa chapelle de la paix à Vallauris et, vingt ans plus tard, Rothko, pour la chapelle de Houston aux Etats-Unis. Matisse, à Vence, réalisa ses créations avec la contribution de Monique Bourgeois, ancienne infirmière et modèle du peintre, devenue en religion la Soeur dominicaine Jacques-Marie, récemment disparue (cf. Le Monde des 2 et 3 octobre 2005). Le père Couturier fut ainsi à l’origine du renouveau de l’Art sacré (1).
L’enjeu n’était pas seulement esthétique mais spirituel et le colloque de Ronchamp a permis de se convaincre que tout Art sacré contemporain doit conjuguer la tradition chrétienne et la modernité artistique pour mieux offrir de la beauté dans les lieux où Dieu est honoré.

Au total, Bourlémont est une de ces collines de France sur lesquelles souffle l’esprit, et la chapelle de Le Corbusier y marie à merveille une architecture sacrée de lumière et de silence dans laquelle les phénomènes acoustiques, et jusqu’au dispositif de fonctionnement des cloches, n’ont pas été ignorés. Suivirent ses deux autres oeuvres fondamentales entreprises pour l’Église : le monastère dominicain de Sainte Marie de La Tourette (1959) à Éveux-sur-Arbresle, dans le Rhône, et l’église Saint-Pierre de Firminy en cours d’achèvement, présentée dans l’émotion au colloque de Ronchamp par Dominique Claudius-Petit, fils de l’ancien ministre qui fut le maire de Firminy. En effet, quarante ans après la mort du « Corbu », son oeuvre ultime d’architecture sacrée, conçue entre 1960 et 1965, l’église Saint-Pierre de Firminy, est enfin en cours d’achèvement après des années d’efforts et de combats de milliers de bénévoles et de croyants qui en ont été passionnés. Ce sanctuaire fut conçu dans le cadre des aménagements d’urbanisme et de modernisation de la ville à la demande de son maire de l’époque, Eugène Claudius-Petit, qui, au fil des années et grâce aux circonstances, était devenu un admirateur et un ami de Le Corbusier. Compagnon de la Libération qui devint cinq ans ministre de la reconstruction (1948-1952), Eugène Claudius-Petit, peu après la Libération, avait été envoyé avec lui, en 1946 en mission d’étude aux Etats-Unis, à bord d’un Liberty-Ship peu rapide, donc propice à de longues conversations. Claudius apprit beaucoup de Le Corbusier, et il sut apprécier en profondeur ses approches de l’urbanisme et sa démarche en architecture. Une fois ministre, Claudius-Petit était parvenu, en toute objectivité, à imposer le génie de l’architecte sur quelques créations à la fois vitales et respectueuses du barème contraignant des prix publics officiels, mais très innovatrices. C’est ainsi que furent bâties et inventées la Cité Radieuse de Marseille (initiée par le ministre Raoul Dautry et baptisée maison du Fada par les Marseillais, pas toujours avertis, mais toujours en verve !), les Unités d’habitation de grandeur conforme de Rezé-les-Nantes, de Briey et enfin celles, à partir de 1954, de l’ensemble urbanistique de Firminy-vert, visité par les étudiants en architecture du monde entier. Aujourd’hui, la construction de l’église Saint-Pierre, seul élément encore inachevé de cet ensemble, est en cours sous l’autorité de José Oubrerie, pur et dernier architecte collaborateur de Le Corbusier (comme le fut André Maisonnier à Ronchamp) qui enseigne et travaille désormais aux Etats-Unis mais vient suivre les travaux et fait équipe, sur place, avec les architectes Aline Duverger et Yves Perret. On citera pour mémoire les projets de Le Corbusier pour l’église du Tremblay en 1929, l’église de Saint-Dié des Vosges en 1945, celle de Bologne en 1965, et enfin celui quelque peu utopique, mais lui aussi jamais réalisé, de la création d’une basilique souterraine à proximité de la grotte Marie-Madeleine de La Sainte Baume, de 1945 à1951…

QUATRE MODULES ET LEURS TEMPS FORTS

Le colloque proprement dit fut, en quatre étapes, un temps de réflexion, d’anticipation et d‘émotion spirituelle, dédié à l’art sacré d’hier et d’aujourd’hui pour mieux se tourner vers demain, preuves et illustrations à l’appui de la part des orateurs. Il a été pour beaucoup l’opportunité d’approfondir une culture et d’apprécier les perspectives contemporaines offertes à l’art et à l’architecture sacrés dans le monde entier. La richesse et les détails de son contenu seront consultables dès la publication de ses actes qui est en cours. Ce colloque s’inscrivait dans le contexte de deux expositions et de multiples manifestations départementales (Haute-Saône) et régionales (Franche-Comté). Sous le bel intitulé De l’émotion à la sérénité, la première exposition avait été organisée par Christophe Cousin (conservateur chargé à Belfort du musée d’Art et d‘Histoire ainsi que de la donation Maurice Jardot) autour de l’oeuvre de Le Corbusier.
La seconde exposition, tenue au musée de Champlitte (Haute-Saône) sous le thème Du génie à la spiritualité, prenait le relais avec autant de créations d’artistes dans le domaine religieux. La troisième journée du colloque de Ronchamp fut d’ailleurs consacrée à la visite de quelques sanctuaires de Franche-Comté, après celle, sur place, de Notre-Dame du Haut. La seconde journée du colloque fut précédée, à l’intention de celles et ceux qui le souhaitaient, d’un modeste office religieux concélébré par tous les prêtres présents au colloque et par André Lacrampe, Archevêque du diocèse de Besançon dont dépend Ronchamp. Il sut trouver des mots simples et à la hauteur de l’émotion partagée pendant ce moment de recueillement, sous les rayons d’un vigoureux soleil naissant faisant rayonner la niche abritant et offrant aux pèlerins la vierge de Notre-Dame du Haut. Comment ne pas alors se souvenir des mots connotant la disponibilité de Le Corbusier et sa maîtrise de l’Art sacré sous tant de formes, et pas seulement l’architecture : j’existe, je suis un mathématicien, un géomètre et je suis religieux. C’est-à-dire que je crois en quelque idéal gigantesque qui me domine et que je pourrais atteindre .

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(1) Marie-Alain Couturier, Un combat pour l’art sacré, Actes du colloque de Nice (3-5 décembre 2004) édités par le R.P. Antoine Lion, Serre Éditeur, 7, rue de la Roquebillière 06359 Nice Cedex 4

mis en ligne le 01/03/2006
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