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Dossier Jack Vanarsky :
Vanarsky l’intranquille
Dossier Jack vanarsky : Vanarsky l’intranquille par Jean-Clarence Lambert
par Jean-Clarence Lambert

Jack Vanarsky, un sculpteur ? Allons donc ! C’est un poète ! Je veux dire par là que toute son oeuvre, à l’évidence, procède d’une véritable pensée poétique : seulement, il la traduit non pas avec des mots mais avec des choses. Et ces choses, il en fait, comme le poète les mots, des objets proprement magiques, de ceux qu’on voit en rêve et qu’on aimerait tant retrouver au réveil, dans ce qu’il est convenu d’appeler la réalité.

Jack Vanarsky, Les rêveries du promeneur solitaire (détail), 2003. 105 x 65 x 74 cm. Medium, pupitre d’écolier, porte-plume, mécanisme électrique.Vanarsky s’est fait remarquer dans les années 70, (et je suis de ceux qui ne sauraient l’oublier), en exposant des livres animés. Lamellisés et animés par un invisible mécanisme électrique. Le livre, réceptacle ordinaire de la poésie, mais aussi le plus fermé des objets, le plus opaque, du moins jusqu’à ce que le regard du lecteur en fasse un corps glorieux (ou quelque chose d’approchant) : voici que Jack Vanarsky lui conférait une sorte de vie organique, inattendue, fascinante. Il le faisait respirer et parfois même, si mes souvenirs ne me trompent pas, soupirer. Comme venant du Wonderland d’Alice. Au demeurant, l’on se disait que le Révérend Dodgson, grand collectionneur de jouets et d’automates (les armoires de son appartement de Christ Church à Oxford en était archi encombrées), eût été le premier à s’en délecter.

Alors que le livre est aujourd’hui ravalé par les supports de la communication virtuelle, Vanarsky en a fait tout au contraire le protagoniste très concret d’aventures plus extraordinaires les unes que les autres. Il y aurait toute une saga à écrire sur les inépuisables métamorphoses qu’il lui prête, et les mises en scènes qu’il a imaginées pour lui. Récemment, c’était La chambre de Kafka, au Musée du Montparnasse, célébration de l’énigmatique prophète du siècle des bureaucrates mortifères que fut l’auteur du Procès.

En 1992, Vanarsky avait construit pour le Pavillon de France de l’exposition Universelle de Séville, un monumental Livremonde (200x160 x 200 cm) en bois, plexiglas et image de synthèse vidéo, complexe hommage à Mallarmé selon qui, on s’en souvient, « tout au monde existe pour aboutir à un Livre ». Sorte de néo-Bible, si l’on veut : non plus originelle, mais terminale puisque intégrant les technologies de pointe, que Vanarsky maîtrise avec une souriante facilité.
Le livre n’est qu’une chose parmi beaucoup d’autres pour le travail de poète de Jack Vanarsky qui n’est, me semble-t-il, qu’un répété défi à la trompeuse immobilité de notre monde. Qu’il s’agisse de visages, le sien, animalisé selon la méthode de Le Brun ou du masque mortuaire de Topor (maintenu en vie par « acharnement artistique »), qu’il s’agisse du double-décimètre de notre enfance, ou de la célèbre bouteille bordelaise, de meubles bourgeois ou de plans de Paris, voire de fétiches contemporains, comme les readymades de Duchamp, ce que Vanarsky nous donne à voir, c’est chaque fois la Loi, la grande Loi qui nous domine : l’intranquillité, selon le mot de Pessoa, que Vanarsky a du reste invoqué dans une oeuvre de 1999.

Mais l’intranquillité, qui pourrait être ressentie comme une malédiction, Vanarsky en joue avec un humour à toute épreuve. Comme l’a noté Jean Tardieu, dans un carnet retrouvé, publié dans le récent Quarto de son OEuvre : « L’humour, toujours, hélas ! ». Humour bleu, noir, rose, vert, c’est selon. Humour de papillon, dont la théorie du Chaos, si je ne me trompe, nous dit qu’un battement d’ailes en Amazonie peut provoquer un séisme au japon. Humour de scolopendre qui digère l’espace-temps dans un ondoyant sur-place. Humour de paroissien oulipien. Humour d’architecte sceptique et d’urbaniste facétieux. Humour de potache, même, qui s’est mis à ressembler à Einstein, dont on sait qu’il est l’icône la plus répandue dans le monde, avec Marilyn Monroe.

Et toujours cette respiration maîtrisée, lamelle par lamelle, ce tempo de lenteur articulée. Avec un sourire en profondeur. Vanarky, j’aimerai t’enrôler dans cette Société des refusniks de notre époque pressée, que j’avais souhaité constituer il y a quelques années déjà, et qui n’existe pas — pas encore : les Amis du Lento. Tous des poètes.
Jean-Clarence Lambert
mis en ligne le 26/02/2004
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