Appréhender le travail de ChantalPetit
à travers une galerie de 17 images.
Dossier ChantalPetit : Dans l’arche du monde par Belinda Cannone
Dossier ChantalPetit
Dans l’arche du monde
par Belinda Cannone

Les Transfigures


      Dans cet atelier, j’ai vu partout surgir ces êtres, mi-géants (inquiétants-bienveillants), mi-figures archaïques, héritées d’un imaginaire que l’Occident a emprunté aux peuples primitifs, Égypte, Afrique, Océanie – on ne sait trop, pourtant on les reconnaît, elles sont « classiques » à leur manière (de statue). Le peintre les nomme demi-dieux, couples, petites idoles ou figures humaines qui viennent à la rencontre des maîtres de la peinture européenne, ou des baigneurs sur la plage (« Vacances en enfer »), ou des occupants du Panthéon : en 2000, quand le centre des monuments nationaux (MONUM) lui a proposé de fêter le nouveau millénaire, elle a pensé installer ses grandes statues (entre deux et neuf mètres) dans l’auguste demeure de la postérité reconnaissante, seules ou en groupe, entières ou en morceaux, afin de « peupler le Panthéon », cette maison des grands hommes, expression qu’elle a prise au mot. Elles sont ainsi devenues « Voyageurs immobiles », tombées, dit-elle encore, comme de « l’atelier du dieu Pan ».

      Plus tard, elle les a associées à des séries de grandes peintures qu’elle a appelées « Transfigures bleues », puis « Transfigures argent ». Une grande partie de son travail, de 1995 à 2001, s’intitule « Transfigures », devenu terme générique pour toute l’œuvre de cette période. Et soudain on se demande : un peintre ferait-il jamais autre chose que trans-figurer ? Outre la dimension alchimique et spirituelle de la notion (transformer la boue en or, accéder à la beauté supérieure), on y trouve l’idée du mouvement et celle du transfert de sens. Une première série (1995), inspirée par la lecture du Livre des morts tibétain, jouait par exemple sur les transformations successives des corps après la mort. Dans les tableaux qui suivent, on peut penser qu’il s’agit de figures arrivées d’un autre monde (d’un autre pays), figures trans, donc, ou d’un autre temps – trans-générations.

      Mais là encore, il s’agit d’embrasser une totalité. Car, de façon surprenante et inventive, le mot a aussi donné son titre à une installation merveilleuse sous-titrée « Partitions pour terre, eau et feu » (1996/97). ChantalPetit s’est inspirée d’une mention des « Pneumatiques » d’Héron d’Alexandrie, trouvée chez Philon de Byzance, machines à produire le souffle « grâce à la combinaison de l’air, du feu, de l’eau et de la terre », et propres à « susciter l’admiration et l’étonnement ». Dans ses « Partitions », les transfigures sont devenues des formes creuses, faites à la main, proches mais dissemblables, comme des déclinaisons à partir d’une même espèce, « calices, coupes, coquilles, urnes, cellules vidées, corps vidés, mont de vénus, œufs éclos d’une nouvelle espèce, nids, réceptacles, bénitiers, termitières construites par des insectes d’une autre planète… », dit le peintre. Ces formes sont clouées sur le mur et redoublées par leurs ombres portées peintes aux différentes heures du jour – quand la lumière réelle arrive, ombres peintes et ombres réelles s’entrelacent. La merveille consiste à avoir animé ces formes avec l’eau et le feu qui « rebondissent de l’une à l’autre, s’entremêlent et se conjuguent avec des intensités et des densités différentes », sans oublier les couleurs changeantes du feu et les différents sons : bruits de la combustion et du ruissellement de l’eau. Trans-port donc, « pour l’eau delà », s’amuse le peintre. Les coupelles, qui s’éclairent au gaz et laissent jaillir l’eau selon trois partitions de deux à cinq minutes, se déclenchent quand on l’a programmé, à heures fixes ou lors du passage du public.

      Ici donc, la transfigure associe rien moins que les quatre éléments, et elle reproduit cette manifestation essentielle de la vie, habituellement insaisissable pour le plasticien : le souffle. Par ailleurs ces formes ne narrent rien, pas plus que les tableaux elles ne racontent d’histoire : on aura compris que pour ChantalPetit, restituer le visible n’est pas proposer des histoires mais assurer des continuités.

mis en ligne le 11/07/2010
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