Le théâtre
Dansons sous la crise !
par Pierre Corcos
mis en ligne le 01/09/2011
       Il y a de fortes chances pour que, la crise économique installant quelques bonnes années encore la France dans le gel des dépenses publiques, la restriction tatillonne des subventions, et l'affaissement continu du "moral des ménages", nous assistions durablement au théâtre à une réactive et paradoxale floraison de spectacles drôles, vigoureux, dynamiques, exaltant en somme les qualités qui menacent le plus de faire défaut en ces temps de manque... La critique sociale et l'utopie révolutionnaire, en effet, semblent un luxe réservé aux périodes suffisamment à l'aise économiquement pour affronter les risques du changement (ou alors obéissent à une nécessité vitale en face d'un système paralysé et mortifère). Ce qui se présente déjà, et se présentera encore, sur nos scènes, c'est du comique pour les foules affligées et du tonus débordant pour les spectateurs au moral de pneu crevé. Cette tonalité, positive et réactive, ne présage en rien de la qualité des spectacles, et la bonne humeur vulgaire peut ici côtoyer la joie nietzschéenne.

       Prenons par exemple la pièce "La Nuit de l'Ours" de l'espagnol Ignacio del Moral, efficace auteur contemporain qui nous montre la condition d'adolescents oisifs, paumés, pré-délinquants, ayant subi les heurts psychologiques d'un pathos familial, et sociologiques d'un environnement désastreux : nous avons là toutes les charbonneuses esquisses d'une accablante oeuvre naturaliste... Or, l'auteur espagnol n'a pas oublié de nous rappeler que l'adolescence, âge des crises désespérées, est aussi période de la vie où la sève bouillonne, et qui capte le maximum d'énergies. La mise en scène étonnante d'Agathe Alexis exalte justement, par-delà les malheurs conjoncturels, cette dimension roborative de la jeunesse. Par le mime, la gestuelle et un ballet admirable d'une superbe tonicité, avec ses trois acteurs danseurs, elle nous a façonné un spectacle finalement dynamogène, exaltant le désir, alors qu'une terrible déréliction et des pulsions destructrices inquiétantes étaient à l'oeuvre dans cette histoire sordide... Bien entendu, rien ne prouve que cette mise en scène stimulante, comme d'autres, obéit consciemment à ce principe qu'il ne faudrait pas derechef accabler des spectateurs déjà moroses et maussades. Mais qu'en divers choix et à l'insu de tous, un tropisme vers tout ce qui est tonique se manifeste dans ces périodes récessives, cela, il est difficile de l'exclure d'emblée !

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action d'éclat

Le théâtre : Dansons sous la crise ! par  Pierre Corcos
Spectacle "Magical"
dans "Des-illusions".
Cliché Roland Rauschmeier