L’idée est originale, même si le terme d’ « énigmatique » n’est pas le plus approprié. En tout cas, Gérard-Julien Salvy, qui avait écrit une remarquable monographie sur Jules Romain et une belle biographie du Caravage dans la collection « Folio biographie », déploie une fois de plus sa culture et son talent de narrateur pour nous présenter cent tableaux, cent portraits, dont un est le « portrait » d’une ville, Venise, qu’il chérit entre toutes et un autre la Mer de glace, peinte par David Gaspar Friedrich. Il nous apprend les tenants et les aboutissants de la réalisation du portrait du père Lacordaire, moine dominicain qui faisait sensation comme prédicateur mondain mais aussi comme apôtre d’une justice sociale pendant la Restauration. On trouve de véritables perles comme le portrait de la Famille Malatesta par Adeodato Malatesta, peintre méconnu qu’il tient à nous faire découvrir. Peint au tournant des années 1820 et 1830, ce portrait d’une famille nombreuse et visiblement paisible est un étrange foisonnement de bustes et de tête alors qu’on voit au fond le peintre exécuté un portrait ! Il nous présente le célèbre David du Caravage, exécuté entre 1609 et 1610, l’autoportrait, fort connu lui aussi, de Nicolas Poussin, qui date de l’année 1649, quand l’artiste avait un peu plus de cinquante ans : on y voit un homme posé, réfléchi, introverti, mais dont les traits sérieux sont adouci par une grande bonté qui se devine et qui éclaire son visage comme la lumière qui se dépose sur sa joue, sa tempe et son front. Il expose aussi l’arrière plan qui a présidé à l’élaboration du portrait de Goethe par Johann Heinrich Wilhelm Tischbein (1787) où le poète allemand est assis dans la campagne romaine, en train de contempler un paysage qu’on ne voit pas ou simplement de méditer. Du portrait le plus formel au portrait le plus singulier (Le Libraire d’Arcimboldo, par exemple !), Salvy nous transporte dans la sphère de la peinture pour nous en révéler certains secrets. C’est un beau livre d’initiation à la peinture, conduit avec maestria, soutenu par un beau style et une belle pensée.
Cent visages énigmatiques de la peinture, Gérard-Julien Salvy, Hazan, 312 p., 39 €.

Ce livre est très curieusement, mais très plaisant. C’est tout le contraire d’une monographie classique. C’est d’abord une biographie, qui est autant rendu par le texte que par les images. Les documents sont extrêmement nombreux et ils nous révèlent les aspects delà vie familiale du peintre, de sa Russie natale jusqu’à Paris, sa ville d’élection. Nous pénétrons dans son intimité, nous connaissons les membres de sa famille et aussi bon nombre de ses amis. La mise en page permet d’ailleurs de montrer des objets lui ayant appartenu et ayant eu un sens précis dans son existence et de nombreux détails révélateurs. Nous découvrons aussi son atelier, nous le voyons en train de travailler, nous le suivons en train de peindre un tableau. Et l’auteur ne s’est pas arrêté là : nous avons même un guide des lieux qu’il fréquentait ! S’il nous apprend beaucoup sur cet artiste, ce beau livre si riche et si étonnant nous apprend aussi quelque chose sur son art. Mais l’essentiel demeure que cet homme que nous nous connaissons plus qu’à travers cette œuvre retrouve une silhouette, un visage, une vie et se peuple d’un monde touffu. C’est une réussite alors que l’exercice risquait d’être périlleux car la mise en page rend l’ensemble très cohérent malgré la quantité de clichés et de choses accumulés. Tout amateur delà peinture de Serge Poliakoff se doit de posséder un tel ouvrage qui, en plus, fait le portrait du monde de l’art de son époque. Un autre monde !
Serge Poliakoff, mon grand-père, Marie-Victoire Poliakoff, Chêne, 320 p., 39,90 €.