Bibliothèque de l’amateur d’art

par Gérard-Georges Lemaire

mis en ligne le 12/07/2012

L’enfance de l’art

François Boiron, collectif, Actes Sud, 310 p., 45 €.
Hélène Delprat, en finir avec l’extension du pire, texte de Dominique Païni, Editions Biffures, 304 p., 20 €.
Bustamante, Jacinto Laceira , Actes Sud, , 49 €.

Les travaux de François Boiron sont tout à fait l’expression de cette nouvelle irruption de l’infantilisme dans l’art qui s’est reproduit en France au début des années 80. Né d’une boutade du feu critique d’art Bernard Lamarche-Vadel dans un texte suicidaire intitulé « Pour en finir en beauté », il a donné naissance sans le savoir à un mouvement qui allait à l’encontre de ses propres convictions ! De nombreux artistes ont représenté ce courant, tels Robert Combas et les frères Di Rosa. Boirond a été le Raymond Poulidor de cette mouvance. Toujours second au hit parade, il a été cependant omniprésent. Et il l’est toujours aujourd’hui puisqu’une exposition itinérante va conduire ses œuvres du musée de l’abbaye de Sainte-Croix des Sables-D’Olonne à la Villa Tamaris de La Seyne-sur-Mer pour finir leur course à l’Espace Villeglé à Saint-Gratien. L’idée a été pour lui comme pour les autres d’épuiser son inspiration dans la bande dessinée et en transposer le langage dans celui de la peinture. Cette formule, assez modeste, il va la décliner pendant dix ans. Ensuite, il cherche à se renouveler et l’identité de son style se perd dans diverses tentatives qui le rapprochent souvent de la bonne vieille figuration narrative, si ce n’est la peinture du dimanche. Et pourtant, il a fait parfois preuve de qualités indéniable. Mais cette « marque de fabrique »  du début est rédhibitoire : il a beau peindre les Jardins et l’Arsenal de la Biennale de Venise en 2007, il ne parvient plus à imposer une peinture de valeur. Il a même tenté de s’attaquer au milieu des années 90 à une relecture des maîtres d’autrefois – Velasquez, Poussin, Giorgione, Manet et d’autres encore : mais rien n’y fait, il conserve dans cet exercice la patte de l’homme de la figuration libre.
        La dernière exposition d’Hélène Delprat à la galerie Christophe Gaillard a été un événement. Déjà parce que cela faisait bien longtemps qu’on ne l’avait pas vue exposée à Paris. Elle s’était imposée, depuis son retour de Rome au milieu des années 80, comme l’un des peintres les plus intéressants de sa génération. Elle a cessé de peindre un beau jour et s’est consacrée surtout à la vidéo et à des microformes théâtrales. Elle fait des tableaux qui sont à la fois la parodie de la peinture libre et sa propre parodie (elle faisait autrefois des tableaux souvent très sombres avec des signes et des figures flottant dans une atmosphère que j’avais décrite « africaine », mais sans l’Afrique !). En dehors de ces compositions qui dépassent les limites du goût, elle a réalisé des vidéos divertissantes en noir et blanc et écrit des comédies pour la radio et la scène qui sont de petites merveilles. On peut découvrir ces créations dans le beau catalogue présenté par Dominique Païni. Hélène Delprat se veut l’empêcheuse de tourner en rond de l’art contemporain. Ses manigances font plaisir dans un monde qui se prend tant au sérieux et s’extasie devant un tas de boue. Mais j’aimerais qu’apparaisse plus cette Hélène Delprat qui a un talent fou que la tricoteuse de l’An II de l’Art contemporain.

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Cahiers d’Himalaya, Miquel Barceló, Le Promeneur, 188 p., 39 €.

Miquel Barceló est des rares artistes contemporains qui tient des carnets de voyages et les publie. Il a déjà fait paraître la Bouche du Niger avec un texte de Paul Bowles (éditions Eric Koehler) et Carnets d’Afrique (Le Promeneur). Aujourd’hui il nous offre un merveilleux périple dans l’Himalaya, du Ladakh au Mustang en passant par le Bhoutan. Ce volume, magnifiquement présenté, édité par les soins de Patrick Mauriès, nous présente différentes choses qui donnent à l’ensemble une véritable densité : la reproduction de certaines pages de carnets de voyage, de nombreux dessins et lavis (ou aquarelles), mais aussi des photographies des lieux et de leurs habitants, enfin quelques textes de l’artiste, qui sont des réflexions prises sur le vif. Qu’on ne s’attende pas à un carnet tel que celui d’Eugène Delacroix édité voici quelques années chez Gallimard et que l’auteur de la Chute de Constantinople a longuement retravaillé pour donner un texte d’une grande qualité littéraire. Au contraire : Barceló privilégie ici la spontanéité, la réaction directe à ce qu’il voit et qui le frappe. Mais s’il ne cherche pas comme ses aînés à faire un travail quasiment ethnographique, ni même une recherche plastique influencée par les couleurs et les lumières de l’Orient comme on a pu le voir chez Matisse, Marc, Macke, Camoin, Paul Klee, Kandinsky quand ils sont allés en Afrique du Nord, l’artiste est néanmoins fortement imprégné par les paysages et les signes de la religiosité de ses régions difficiles d’accès. Cet album est sans conteste un joyau dans le genre car il nous apprend à voyager en d’autres termes.

Le plus curieux est ce goût immodéré pour le voyage à reculons se retrouve dans les travaux de Bustamante, artiste considéré depuis longtemps comme une des valeurs sûres de l’art contemporain hexagonal. Après avoir fait de l’art conceptuel radical chic, parfois avec une dose de naïveté rare, au point qu’on a alors pu être en droit de se demander s’il ne nous faisait pas une niche, on le voit régresser dans la peinture qu’il avait largement contribué à faire condamner. Mais ce retour à l’art pictural se passe comme une régression (comme chez Fabrice Hyber, peintre exécrable lui aussi !), comme un enfantillage souvent (ce n’est pas par hasard : l’art contemporain est la sacralisation de l’infantilisme retrouvé) et non comme une invention. Et chez Bustamante, après ces photographiques vides puis floues, puis vides et floues, on en arrive à cette peinture sans qualité que les meilleurs marchands de Paris s’arrachent. En somme qu’achète-t-on ? Une photographie sans intérêt, mais agrandie et encadrée, ou bien une peinture de facture médiocre ? On achète un produit qui s’appelle Bustamante. Mais il ne donne pas l’heure comme Cartier (je pense à Cartier qui l’a exposé, l’expose et l’exposera). C’est regrettable. Les sanglots longs des péroraisons du critique n’y feront rien. Ses mots, ses phrases, ses paragraphes, ses chapitres saturés d’explications et de justifications ne parviendront pas à nous faire prendre des vessies pour des chefs-d’œuvre.

Portrait de Gérad-Georges Lemaire par Gino Di Paolo

[ François Boiron, ]
[ Hélène Delprat, en finir avec l'extension du pire ]
[ Bustamante ]
[ Cahiers d'Himalaya ]
[ Voyages extraordinaires ]
[ Le Musée disparu ]
[ Gina Pane, terre-artiste-ciel ]
[ A la gloire des bêtes ]
[ 1945 ]
[ Eloge du démodé ]
[ La Souveraineté ]
[ La Situation des esprits ]
[ Max Jacob et Mademoiselle Infrarouge ]
[ La Traversée du XXe siècle, Joseph Beuys, l'image et le souvenir ]
[ 1/16 ]
[ Le devenir Debord ]
[ Marin à Terre ]
[ Il pleut des étoiles dans notre lit, Cinq poètes du Grand Nord ]
[ L'Autobiographie de Gertrude Stein ]
[ Draguer l'évidence ]
[ L'Art sans histoire ]
[ Outrenoir ]
[ La Maladie blanche ]
[ R.U.R. ]
[ Le Voyage de Kokochkin ]
[ Cuisine tatare et descendance ]
[ « A » ]
[ Paradise ]
[ Muss, suivi de le Grand imbécile ]
[ Quelques jours avec Hitler et Mussolini ]
[ Histoire véritable et autres fictions ]
[ La Note secrète ]
[ Jane Eyre ]
[ Adieu au foot, 80 récits d'une minute ]
[ Co[rps]propriété ]
[ La Société du spectral ]

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