chroniques - art contemporain - photographie - photography

version impression
participez au Déb@t

Chroniques des lettres
Chronique de l’an VI(4)
suite...
Stefan Zweig,
Catherine Sauvat, ÇFolio/biographieÈ,
Gallimard
Catherine Sauvat, il faut le souligner, a écrit une excellente biographie de Stefan Zweig. Le récit qu’elle fait de son existence est remarquable. Elle parvient à faire vivre le grand écrivain autrichien sous nos yeux. Je regrette seulement qu’elle n’ait pas tenté de fournir des éclaircissements sur différents points cruciaux de sa pensée : son aveuglement devant la montée du nazisme, sa volonté de se tenir à l’écart du débat politique (tout le contraire de Joseph Roth qui a plongé sa plume dans l’acide à partir de 1924 pour pourfendre les partisans d’Hitler) et surtout les causes de son suicide. En dehors de cela, son Zweig est un travail remarquable et qui nous fait aimer cet homme d’exception qui a été un écrivain qui a éprouvé une passion pour les grands destins du passé.
Le Gardien des rêves,
Paolo Maurensig,
traduit par Gérard-Julien Salvy,
Éditions du Rocher


Le Gardien des rêves de Paolo Maurensig est un roman fascinant. Le narrateur est un journaliste qui assiste à la Mostra. Il est victime d’une crise cardiaque et se retrouve à l’hôpital. Il a pour voisin de lit un homme curieux. Ce dernier lui apprend qu’il est polonais qu’il s’appelle le comte Stanislaw Augusto Dunin et qu’il serait par sa mère descendant de Jan Potocki. Il prétend aussi posséder un petit palais. Quand le narrateur se met à sa recherche, il le retrouve dans un hospice. Ce qui l’avait poussé à renouer avec lui, c’est sa fabuleuse capacité à entrer dans les rêves des autres. Il lui narre sa quête folle qui le mène jusqu’à un palais qu’il appelle le Royaume. Et puis il disparaît de nouveau. Notre héros songe le revoir. En fin de compte, il apprend que le prétendu comte n’était que le frère adultérin du véritable aristocrate, Wittek, et il lui explique le rôle admirable qu’il a joué dans sa vie, le sauvant, entre autres choses, des désagréments d’un duel et de la honte de l’endettement. Magnifique hommage à l’auteur du Manuscrit trouvé à Saragosse, ce livre est une petite merveille de l’art picaresque.
Poésie verticale,
Roberto Juarroz,
traduit par Roger Munier,
Points/Poésie


Je dois avouer à ma grande honte que je ne savais rien de Roberto Juarroz, grand poète argentin (1925-1995). Dans le choix de poèmes extrait de Poésie verticale (c’est le seul livre en quinze volumes qu’il ait écrit), j’ai découvert une écriture tranchante et des perspectives abruptes : leur auteur a voulu provoquer une vision radicalement neuve. Sans être un avant-gardiste déclaré, il s’est montré un grand novateur dans la manière de considérer l’art poétique. Chacune de ses strophes est un cristal dur et intense, lumineux et pourtant il y a quelque chose de mystérieux et d’impénétrable : c’est le grand paradoxe cultivé par Juarroz, qui se sert d’une écriture limpide pour décrire une posture complexe de l’esprit.
Elfriede Jelinek,
Yasmin Hofmann,
Éditions Jacqueline Chambon.
Bambiland,

Elfriede Jelinek,
traduit par Patrick Démerin
Éditions Jacqueline Chambon


Je ne suis pas tout à fait sûr qu’Yasmin Hoffmann ait vraiment rendu justice à Elfriede Jelinek en écrivant une biographie un peu superficielle et lacunaire. On comprend que le prix Nobel a été une personne révoltée. Soit. On ne comprend pas dans ces pages de quelle façon son univers littéraire s’est constitué. Qu’elle est un produit de 68 est indéniable. Mais est-ce là tout ? Toutefois, cet ouvrage est précieux car on n’a rien d’autre à se mettre sous la dent. Quand elle a écrit Bambiland en 2004, elle réagi face à la guerre en Irak, à la formidable machinerie militaire qu’elle suppose, mais aussi à l’invraisemblable artifice médiatique qui la donne en représentation. D’une certaine façon, elle exprime l’impuissance de l’intellectuelle et de l’artiste devant l’histoire en train de se faire, du monde en train de se construire. Mauvaise conscience de l’Autriche moderne, mais aussi du monde occidental, elle dénonce l’absurdité de cette guerre et l’absurdité de la politique américaine. Mais elle ne peut que traiter cette question que par l’absurde - preuve que la parole d’un écrivain ne pèse plus lourd de nos jours.
Le Vendeur de sang, Yu Hua, traduit par Nadine Perront, Actes Sud/Babel

Le roman de Yu Hua, Le Vendeur de sang, est tout à fait étonnant. Il relate l’histoire d’un homme qui vend son sang à un hôpital pour pouvoir se marier. A chaque fois qu’il rencontre un problème dans son existence, il réitère ce geste. A travers ces épisodes, c’est l’histoire de la Chine moderne qui est mise en scène et subtilement dénoncée: la misère entraînée par le Grand Bond (l’un des principaux objectifs de la Révolution), la survivance tenace des coutumes (par exemple, le mariage est toujours l’objet de tractations financières). Avec la Révolution culturelle, le héros est stigmatisé, tout comme la femme avec laquelle il a eu une liaison. C’est drôle, féroce et tragique à la fois. Et c’est vraiment un livre qui mérite le détour.
Bâtards du soleil,
Urbano Tavares Rodrigues, "Minos",
La Différence.

Violetta et la nuit,
Urbano Tavares Rodrigues, traduit par
Marie-Hélène Piwnik, La Différence.


Urbano Tavares Rodrigues est un auteur encore peu connu en France. Et pourtant, son oeuvre a marqué de son empreinte la littérature portugaise. Bâtards du soleil vient d’être réédité et ce roman féroce mérite le détour car il narre l’histoire d’une violente relation entre un frère et une soeur dans un village d’Alentejo (la région natale de l’auteur), qui a la solennité d’une tragédie grecque et la sourde brutalité des nouvelles paysannes de Verga. En même temps paraît Violetta et la nuit, roman désabusé où les êtres et les sentiments se délitent, où l’écrivain se confronte à une modernité qui use les êtres autant que le langage.
Paysans du Danube,
Marin Sorescu, “Métro”,
Éditions Jacqueline Chambo


Marin Sorescu est un écrivain surprenant. Il a voulu consigner dans un grand livre, Les Lilas, ce qui a constitué l’esprit, la vérité, la culture des paysages roumains avant l’ère communiste. Avec la venue au pouvoir du couple Ceaucescu, cette culture rurale a été mise à mal et a succombé sous le poids d’une violente modernisation. Le poète disparu depuis dix ans, a laissé en héritages ces courts récits qui forment une riche fresque de la vie des campagnards de son pays. C’est souvent drôle, parfois poignant et toujours révélateur de leurs moeurs, de leurs coutumes et surtout de leur manière de penser. Sans doute l’aberration de ce régime communiste lui a fait excessivement valoriser le monde des champs contre le monde des villes. Mais ce livre n’en demeure pas moins un passionnant réquisitoire contre une volonté fanatique voulant faire table rase du passé.
En français dans le texte
L’Opéra et la cuisine,
Charles Fourier, Le Promeneur
Difficile de considérer le Phalanstère de Charles Fourier autrement que sous l’espèce d’une pure vue de l’esprit, comme une fiction, en somme. Il y a même une forme d’humour dans les écrits du philosophe, qui transparaît dans ce petit traité publié en annexe de ses OEuvres complètes. Fourier complète ses principes d’éducation de l’" enfant harmonien ". Il préconise l’enseignement et l’apprentissage de l’opéra : " Si l’on veut l’unité composée et la justesse composée, ou justesse matérielle et spirituelle il faut recourir à l’opéra pour former les enfants à la justesse matérielle. " L’opéra qui allie sept branches (la danse, la musique, le chant, la gymnastique, la poésie, le geste et la peinture) est une oeuvre totale qui touche à de nombreux domaines de la création. Il veut lui allier la cuisine "dédaignée des philosophes" et préconise l’art de la gastronomie dans l’optique d’une science gastropophique. Les lecteurs se délecteront des descriptions de menus dans un phalanstère du futur.
Suite française,
Irène Némirovsky, “Folio”,
Gallimard


" Tombée dans les oubliettes " : l’expression n’est pas exagérée quand on songe à Irène Némirovsky. Elle n’a eu que le tort de disparaître dans un nuage de fumée un beau jour de 1942 à Auschwitz. Célébrée par quelques uns des piliers de notre bonne littérature (dont Paul Morand – comme quoi l’histoire est pleine d’ironie), elle a laissé bon nombre de romans. Enfin, Myriam Anissimov relate tout cela dans la préface qu’elle a rédigée pour la réédition de la Suite française, qui est le grand livre de la honte française, de la débâcle et de l’exode du printemps 40. Cette fresque d’une incroyable vivacité et d’une humanité bouleversante est également le témoignage d’un des moments les plus incroyables de l’histoire de notre pays. Avec elle, en dépit de son style posé et fluide et d’une forme d’objectivité teintée d’une douce ironie (douce, mais aussi amère), elle fait se croiser le destin de plusieurs familles et de quelques êtres emportés par la tourmente. A lire séance tenante.
La Chose noire,
Marc Rombaut,
Éditions du Rocher


Avec son nouveau roman, La Chose noire, Marc Rombaut nous entraîne dans le paradis perdu de ses souvenirs. Grand connaisseur de la littérature africaine (il a fait une anthologie qui a fait date chez Seghers), il a passé des années dans l’Afrique dite noire. Dans ces pages, il s’attache plus particulièrement à nous faire connaître la Guinée de l’époque de Sekou Touré, sa corruption, ses complots (souvent inventés par le dictateur), la terreur engendrée par le régime. Mais Marc Rombaut n’a pas voulu faire oeuvre d’historien, ni même de journaliste : il a bâti son intrigue sur fond de décolonisation et de construction d’États africains marqués par la sauvagerie de leur classe dirigeante. Le héros de cette aventure est d’abord animé par des sentiments amoureux qu’il éprouve pour deux femmes. C’est de cette perspective que le roman tire toute sa substance. L’expérience vécue de l’auteur donne à ce livre un accent de vérité troublant, qui n’est pas dénué de nostalgie.
Jedda Blue,
Yves Buin,
Le Castor Astral


Dans son dernier roman, Yves Buin évoque la figure d’une jeune prostituée noire surnommée Jedda. Elle est originaire du Sierra Leone et porte le prénom d’origine Délivrance. Elle est belle et envoûtante. Le narrateur, Sanderman, se prend de passion pour elle, mais refuse d’avoir la moindre relation physique avec elle. Il est fasciné et profondément amoureux, il veut l’arracher à l’emprise de son souteneur, Khader, un personnage dangereux. Entre le héros, la jeune Noire et le malfrat se joue un drame fantasmatique. Comme il vient de perdre son emploi, Sanderman ne peut que trouver une solution provisoire à la situation de son amie. Et il échoue. Cette fiction est très prenante et séduisante. Placée à l’enseigne du jazz et de l’esprit du roman noir, elle constitue une tentative très originale dans notre microcosme littéraire.
Dancing,
Alain Veinstein, Seuil


Dancing est un roman troublant car Alain Veinstein joue simultanément sur deux registres : le premier est lié à la réalité, le second est de nature purement fantasmatique. Et c’est le second qui l’emporte. Son héros prend sa moto pour se rendre en un lieu qui est l’objet absolu de son désir : un night club nommé Le Lac Rose. Sa course folle est – c’est ce qui apparaît immédiatement – une poursuite intérieure. Il revoit passer les moments importants de son existence, la nature tourmentée de ses relations avec ses parents, éprouve sa difficulté à aimer, son enfermement mélancolique. Et puis il y a le rêve à partir de souvenirs de sa jeunesse quand il était figurant au Châtelet dans une opérette dont la vedette était Luis Mariano. Au terme de son périple, le narrateur arrive dans un cabaret nommé Eldorado, un cabaret à mi-chemin entre le cirque et la baraque foraine, un cabaret tel qu’on pourrait en voir dans un vieux film. Là, il se lie avec Lucia et Luca. Sa découverte de l’amour – un amour transportant, bouleversant – lui fait découvrir le dépassement de soi, avec la joie et les douleurs qu’il impose. C’est un beau roman, énigmatique et obsédant, qui détonne dans le triste panorama de notre littérature.
Sarah Bernhardt,
Henry Gidel,
Flammarion


La biographie est un art ingrat. Il contraint l’auteur à évoluer entre le roman et la froide dissection d’une existence, dans parler du choix des éléments significatifs qui la composent ou qui gravitent autour d’elle. La biographie qu’Henry Gidel a consacré à Sarah Bernhardt pèche dans le sens du romanesque au détriment de l’information. On passe de pièce en pièce, d’auteur dramatique en auteur dramatique, de théâtre en théâtre sans qu’on sache trop bien les rapports que l’actrice a pu entretenir avec les uns et les autres. Quand elle joue La Ville morte en 1898, l’auteur ne nous dit rien ni de D’Annunzio, ni de la pièce. On sait seulement que c’est un échec. Les relations avec l’artiste Alfons Mucha se réduisent à une demi page et oublient que ce dernier a non seulement dessiné ses affiches, mais qu’il a aussi signé décors et costumes ! Bref, nous demeurons trop à la surface des choses. L’auteur s’appesantit volontiers sur le triomphe que l’artiste remporte avec L’Aiglon, épisode bien connu de sa carrière. Mais il oublie que les pièces représentées au théâtre de la Renaissance ont contribué à fonder sa légende même s’ils ne furent pas de grands succès commerciaux.
Paul Léautaud,
Martine Sagaert,
“Millésimes”, Castor Astral


La biographie de Paul Léautaud par Martine Sagaert est un petit joyau. Sa concision n’a de pair que la finesse de son analyse d’un homme qui a été profondément marqué par une enfance placée sous le signe de son abandon – sa mère disparaît et puis fait sa réapparition lorsqu’il est jeune homme. Il a avec elle une relation ambiguë et passionnée qui se traduit par un nouvel abandon. Au fil de ces pages intenses et bien documentées, nous voyons peu à peu se dessiner la silhouette de cet écrivain qui est passé surtout à la postérité pour son immense Journal littéraire. Martine Sagaert parvient à nous faire aimer ce personnage et à nous faire comprendre les principaux rouages de sa quête d’écrivain. C’est un modèle du genre. La modestie de l’auteur, qui se met en retrait par rapport à son sujet, se traduit par une remarquable description de cette existence peu commune et par une très subtile et pénétrante introduction à son oeuvre.
Une fleur dans la nuit
suivi de Sous le soleil et le clair de lune,
Mohamed Leftah, La Différence

Au bonheur des limbes,
Mohamed Leftah, La Différence

Ambre ou les métamorphoses de l’amour,
Mohamed Leftah, La Différence

Demoiselles de Numidie,
“Minos”, La Différence.


La Différence vient de publier trois livres et d’en rééditer un précédent de l’écrivain marocain Mohamed Leftah. Né à Settat en 1946, il s’impose comme l’une des révélations de cette dernière décennie. Dans ses romans comme dans son recueil de nouvelles, il fait partager son microcosme (qui est surtout celui de sa ville natale) avec le lecteur. Ce dernier est emporté dans un monde d’enchantement, dans une atmosphère de contes ambigus et des Mille et Une Nuits mêlant passé onirique et présent sordide alors que ses réminiscences s’attachent à un monde finalement assez désespérant. Le plus curieux de tous et sans aucun doute le plus prenant est Ambre. Il s’agit de souvenirs de l’enfance de l’auteur, quand, enfant, il a été fasciné par une jeune naine qui l’entraîne dans un royaume enchanté et désenchanté, en tout cas livré entièrement aux fantasmes. C’est un roman d’amour fou qui se métamorphose en un chant poétique. Dans les nouvelles réunies dans Une fleur dans la nuit et Sous le soleil et le clair de lune, l’auteur, met en scène des moments de la vie de ses tendres années et des personnages pittoresques qui passent souvent leur temps dans la geôle du commissariat. Il se termine par un long récit où il imagine un couple de Français qui prenne une chambre dans un hôtel minable de la place du Néant et qui finissent par s’accorder alors que tout paraissait devoir les séparer. Enfin, Au bonheur des limbes nous fait découvrir un lieu fantasmatique : "Le Don Quichotte". C’est un bar de Casablanca qui est une représentation du monde marocain à l’époque de l’Indépendance, un monde cocasse et douloureux, dont la plus grande richesse est son imaginaire. En somme, trois livres qui se dévorent avec passion parce qu’ils parlent d’un Maroc dont l’exotisme tient dans la verve, la douce folie et l’extraordinaire capacité d’affabuler de ses personnages.
Eté strident,
Ling Yi, Actes Sud


Ling Yi, bien que son livre soit écrit en français, demeure un auteur chinois. En effet, les récits qui le composent parlent de son pays d’origine, en en soulignant les contradictions et les aspects absurdes. " L’Homme aux lauriers roses" est sans doute le plus évocateur : il y est question d’un homme énigmatique dont la passion secrète est l’Opéra traditionnel. Peu à peu se reconstitue cette vie double avec tout ce qu’elle comporte de décalé, de dérisoire, de pathétique, de misérable et de beau. " L’Éleveur de cafards " est aussi une histoire contée sur un ton acide qui traite des métamorphoses de la politique de ce grand pays communiste converti au capitalisme. C’est en tout cas une oeuvre qui veut mettre en évidence les maux qui taraudent la société chinoise d’aujourd’hui avec humour et causticité, dans une optique plutôt sociologique.

< retour page 3 / 3

mis en ligne le 07/06/2006
Droits de reproduction et de diffusion réservés; © visuelimage.com - bee.come créations