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Dossier Bernard Ollier
Quatre hypothèses pour un crayon
par Clémentine Hougue


Le travail pictural de Bernard Ollier est qualifié de « dessin », parce qu’il utilise le crayon et le papier. On peut pourtant difficilement s’empêcher de nommer ces oeuvres des « peintures » ; pourtant, ce crayon nous en empêche. Quel est-il ? Que signifiet- il ? A ces questions ne s’impose aucune réponse univoque ; l’imagination vagabondant, émergent quatre hypothèses de décryptage, quatre questions que soulève cet usage complexe de la mine de graphite.

Ce crayon aurait-il quelque chose à voir avec l’écriture, l’autre facette du travail de Bernard Ollier ? Lorsqu’il dessine, l’artiste procède toujours en deux temps : une première étape de « remplissage », qui consiste à recouvrir totalement la feuille de papier ; une seconde étape où il opère par traits plus ou moins longs, plus ou moins nerveux, qu’il superpose à la première couche. Les traits de crayon tendent ainsi à combler totalement le blanc, à saturer la feuille, à la déborder. Ce dont l’écriture, faite de signes et d’interstices, ne sera jamais capable. Le gris du crayon de Bernard Ollier remplirait ainsi les blancs du texte, arrivant à un au-delà (un en-deçà ?) de la langue. Ce crayon pourrait alors aussi bien servir à une inscription. Car contrairement au pinceau, il marque le papier en profondeur, y creusant des sillons plus ou moins profonds. Bernard Ollier expose d’ailleurs ses dessins accolés à des tapuscrits sur carbone, sur lesquels émerge la trace du texte. Cette trace, dans le dessin comme dans l’écriture, c’est le mouvement simultané de la présence et de l’absence, du souvenir de l’émergence et de l’à-venir de la disparition. C’est un état intermédiaire de l’être, une fragile et fugace manifestation dont le secret semble nous être révélé.

Mais n’oublions pas que le crayon est aussi traditionnellement l’outil du croquis, forme précédant l’oeuvre, qui serait donc voué à l’oubli, à la disparition sous la forme finale. Serait-il utilisé ici pour son caractère éphémère, comme esquisse, comme brouillon ? Ce serait alors un trait que l’on peut gommer, effacer, un travail que l’on doit sans cesse recommencer. Le crayon de Bernard Ollier serait-il la persistance d’une chose habituellement précaire ? Il se situerait alors à un âge antérieur, primordial, l’âge de l’esquisse avant le tableau, du croquis avant le définitif. L’artiste dit de ses dessins qu’ils ont un rapport avec la perception visuelle prénatale. Le dessin gris révèle ainsi une matière continue, précédant l’apparition de la forme et du contour. Car si le crayon peut servir à tracer un trait qui sépare deux champs, qui délimite deux espaces, il devient au contraire ici une affirmation de l’indétermination et de la continuité, un refus de la séparation, de la stricte différence et de la simple définition.

Cette idée d’indétermination nous poursuit : indétermination du langage et du silence, de la présence et de l’absence, du définitif et du précaire. Il se trouve que Bernard Ollier revendique cette indifférence comme moteur de son travail, indifférence dont le crayon serait l’outil privilégié. Par sa couleur d’abord, qui s’étend d’un bord à l’autre de la feuille de papier en exploration de toutes les nuances du gris : une indétermination chromatique que seule la mine de graphite peut offrir. Mais si le crayon incarne parfaitement l’indifférence, c’est, comme l’artiste le dit lui-même, parce qu’il ne laisse pas le choix : la couleur est déjà là, déjà donnée. Bernard Ollier ne se confronte ni à la sélection de la forme du pinceau, ni au mélange des couleurs : le crayon, une fois taillé, impose sa matière, s’impose – avec tous les sens sous-jacents à ce mot, de la figure imposée à l’imposition des mains – au papier comme à l’artiste. Et si c’est le crayon qui impose son oeuvre, cette indifférence fondatrice se manifeste alors jusque dans la hiérarchie du créateur et de la créature ; aussi, comme l’explique Bernard Ollier : « c’est le travail qui est à l’origine de l’auteur, et non le contraire ». On l’a vu, ce crayon, point nodal d’un projjet esthétique sans équivalent, ne se livre pas si facilement. Autour de lui gravite une constellation de sens, un champ ouvert, une polyphonie de regards possibles

Clémentine Hougue
mis en ligne le 10/12/2008
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