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Les artistes et les expos
Orlan détour(nement)s et métissages contre les diktats de la beauté
(suite)
L’idée centrale de l’oeuvre d’Orlan reste pourtant aussi simple que capitale: montrer ce qui est caché. Et lorsqu’elle a fait ses opérations elle a proposé à la Galerie Sandra Gering à New York: 40 diptyques sur lesquels chaque jour était photographiée la tête des jours post-opératoire tenant à montrer ce qui d’habitude est caché : « On montre toujours l’avant et l’après. Moi, ce qui était important, c’était le processus. Pendant ces 40 jours, le corps fait une espèce de Self-Hybridations- Autoportrait lui-même, en étant du côté de la sculpture et de la couleur puisqu’il change de couleur et de forme de manière extrêmement violente » précise Orlan. Et toute son oeuvre devint une mise en relation de l’autoportrait entre la machinecorps et l’autoportrait fait par la machineordinateur (puisqu’il y avait aussi des photos faites par ordinateur dans ces diptyques). Et Orlan de préciser encore ce point important: «Tout mon travail a été basé sur le « et ». Notre culture judéo-chrétienne nous demande toujours de sataniser une des parties et de dire «ou» le Bien «ou» le Mal. J’ai travaillé pendant 15 ans sur le baroque où l’on voit la Sainte Thérèse en extase à la fois extatique et érotique qui jouit de la flèche de l’ange. C’est montré dans le baroque, on montre le Bien «et» et le Mal en même temps. Ce fameux « ou » donne dans nos métiers, la sculpture en marbre de Carrare «ou» les nouvelles technologies, la peinture « ou » la vidéo. J’ai essayé dans tout mon travail de rebondir d’un médium à un autre, en essayant d’inscrire de la manière la plus juste, une idée, un concept et d’essayer de trouver ensuite dans quelle matérialité elle serait plus juste, elle dirait le plus de choses possibles ». Orlan, afin de montrer le caché, le dessous des bandes et des cartes s’est donc toujours placée dans le « et », au niveau des pratiques artistiques mais aussi, dans le public «et» le privé, le beau «et» le laid, l’ancien «et» l’actuel.

A ce titre elle a conceptualisé dans son manifeste « l’Art Charnel » ce qu’il en était de ce travail et ce en partant de la définition la plus précise possible :
« L’Art Charnel est un travail d’autoportrait au sens classique, mais avec des moyens technologiques qui sont ceux de son temps. Il oscille entre défiguration et refiguration. Il s’inscrit dans la chair parce que notre époque commence à en donner la possibilité. Le corps devient un «ready-made modifié» car il n’est plus ce ready-made idéal qu’il suffit de signer.
Distinction : Contrairement au « Body Art » dont il se distingue, l’Art Charnel ne désire pas la douleur, ne la recherche pas comme source de purification, ne la conçoit pas comme Rédemption. L’Art Charnel ne s’intéresse pas au résultat plastique final, mais à l’opération-chirurgicale- performance et au corps modifié, devenu lieu de débat public ». Et plus loin :
« L’Art Charnel transforme le corps en langue et renverse le principe chrétien du verbe qui se fait chair au profit de la chair faite verbe ; seule la voix d’Orlan restera inchangée, l’artiste travaille sur la représentation. L’Art Charnel juge anachronique et ridicule le fameux «tu accoucheras dans la douleur», comme Artaud il veut en finir avec le jugement de Dieu; désormais nous avons la péridurale et de multiples anesthésiants ainsi que les analgésiques, vive la morphine! À bas la douleur!».
C’est pourquoi si Orlan estime que dans les années 60/70, autour de l’art corporel, les artistes sont allés le plus loin possible au niveau des limites physiques et psychologiques, s’ils ont effectué un travail essentiel en tentant les tabous de la nudité et de la sexualité, les artistes qui intéressent Orlan à l’heure actuelle ce sont les artistes qui travaillent dans un autre contexte : celui des nouvelles technologies qui arrivent et dont l’apparition pousse à la question : « Et l’être humain, et le corps dans tout ça, qu’est-ce qu’il va devenir?».

Mais Orlan est intéressée aussi au rapport du corps avec la pollution, la malbouffe, la maladie, les manipulations génétiques, le clonage tout ce qu’on rejette mais qu’on ne pourra pas éviter. Et l’artiste de préciser : « Il y a une espèce de peur incroyable parce que ça remet en question toute notre culture particulièrement religieuse, l’idée de Dieu en prend un coup». Elle ajoute par ailleurs : «Nos moeurs sont en train d’évoluer mais ce n’est pas encore évident. Il y a encore des femmes qui ne veulent pas la péridurale pour accoucher. Il y a encore dans les mentalités un prestige à souffrir. Moi, c’est pas du tout là-dessus que je travaille, au contraire et il y a quelqu’un qui m’a très bien entendu et qui est David Cronenberg dont Painkillers développe l’idée d’une civilisation du futur où il n’y a plus de douleur et où les rapports sexuels se font par l’ouverture du corps ». Orlan elle-même projette un vrai faux film intitulé « Le plan du film ». Il s’agit de faire un film à l’envers en partant d’une phrase de Godard: «un film magistral parce que conçu à l’envers et qu’il est aussi l’envers du cinéma ». Cette phrase Orlan a eu envie de la prendre au pied de la lettre. En utilisant de très mauvaises images qui lui restaient d’actes éphémères (installations, sculptures) recyclées à l’intérieur d’affiches de cinéma faites en boîtes lumineuses que l’on pourrait voir dans toutes les salles de cinéma. Voici comment l’artiste les définit: « Elles sont très mimétiques, il y a dans les génériques, les noms de gens qui ont été très proches de moi et puis, il y a un nom ou deux qui fait croire que le film existe, donc des noms d’acteurs, de stars du cinéma ». Ainsi Orlan a commencé par faire à la Fondation Cartier, une émission de télévision tournée en public. Tout le monde a pu croire que c’était une réelle émission de télévision avec de vrais critiques de cinéma, de vrais acteurs car tout le monde jouait le jeu en disant : « Oui, écoutez, je sors de la première de ce film, je vais vous raconter l’histoire ». Alors que bien sûr l’histoire n’existe pas ! Orlan en a tiré une émission de 52 minutes sur la plupart des films qu’elle était sensée avoir réalisés et a publié aux éditions Al Dante, un catalogue qui ressemble à un faux DVD, dans lequel il y a la bande sonore du film qui n’existe pas.

Orlan ne cesse donc de remettre en question les choses, les apparences et les institutions dans un travail critique, lucide, concerté préférant voir en ses travaux quelque chose d’hystérique. Refusant d’être une « décoratrice pour les appartements ou les musées » elle préfère ce qui n’est pas forcément montrable ou vendable. C’est là sa liberté. D’où parmi ses chantiers en cours (des reliquaires, des sculptures en résine, des êtres mutants, etc.) ce qu’elle propose en compagnie du groupe SymbioticA qui travaille avec les biotechnologies et plus particulièrement avec les cellules de peau ou de muscles qu’ils élèvent en laboratoire. Il ont ainsi « fabriqué » un steak de grenouille qu’ils ont mangé à la fin d’une exposition. Avec eux, Orlan, caresse une projet difficile à réaliser : prendre des cellules de l’artiste par l’intermédiaire d’une biopsie et les mélanger à des cellules de dermes d’une personne de peau noire afin de les élever en laboratoire et obtenir 10 à 15 cm de peau métissée. Enfin Orlan travaille aussi sur un texte de Michel Serres - conte philosophique magnifique qui se trouve dans Le Tiers-instruit. - dont elle écrit la préface « Laïcité ». Serres parle de l’Arlequin comme la métaphore du métissage puisque chacun des petits bouts de tissu sont de couleur différente, de provenance différente. Et comme son idée est d’arriver à construire un manteau d’Arlequin avec des élevages de peau successifs de ses cellules mélangées à des cellules de provenance différente, le lien est évident comme il est évident pour Orlan de rester en connexion étroite avec son temps. Car comme elle l’affirme « il est important de se souvenir du futur et de réfléchir avec le passé». A ce titre l’hybride est là, dans le présent. Il est notre faim - pas notre fin


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Jean-Paul Gavard-Perret
mis en ligne le 30/07/2007
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