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Editorial
Is Mr Pinault a frenchman ?
Editorial : Is Mr Pinault a frenchman ? par Jean-Luc Chalumeau
par Jean-Luc Chalumeau
Tout le monde se souvient de la phrase par laquelle M. Jean-Claude Trichet arracha le fauteuil de président de la Banque Centrale Européenne: « I am not a frenchman». Français, moi ? Et soucieux des intérêts de mon pays ? Vous n’y pensez pas! M.Trichet aurait été écarté sans ménagement si nos excellents amis européens avaient eu le moindre soupçon: il fallait que notre ancien grand argentier soit sincèrement non-français, et même, le cas échéant, anti-français pour pouvoir veiller à la stabilité des prix dans l’Union. Il était obligé d’adopter ce profil honteux; c’est triste, mais c’est ainsi.
Juin 2006 : me voici à Venise, devant le Palazzo Grassi. «Where are we going?» opere scelte dalla collezione François Pinaultest-il écrit au-dessus de la porte. Explication: le titre de l’exposition est emprunté à une pièce de Damien Hirst, un des artistes préférés de François Pinault. Mais, que je sache, Damien Hirst lui même a fait référence au tableau célèbre de Gauguin : «D’où venons-nous? Que sommes-nous? Où allonsnous? » (1897). Gauguin avait écrit ces trois phrases en haut et à gauche de sa toile, en français évidemment. N’aurait-il pas été judicieux de revenir à l’original pour titrer l’exposition des œuvres d’un grand collectionneur que l’on croyait savoir français?

Le contenu de l’exposition a été beaucoup commenté : ceux qui ne sont pas venus à Venise savent ainsi qu’elle est de très haut niveau, puisque l’on peut y voir à peu près exactement ce que l’on voit dans n’importe quel musée d’art contemporain disposant de moyens financiers importants. C’est-à-dire: les grands minimalistes américains, l’art informel, l’arte povera et le pop art actuel, en l’occurence essentiellement Jeff Koons, grand ami du maître des lieux. La commissaire choisie par ce dernier, l’américaine Alison M.Gingeras, a introduit la dose homéopathique d’artistes travaillant en France généralement jugée convenable par les curators internationaux; ils sont trois en tout et pour tout: Pierre Soulages, Pierre Huyghe et Bernard Frize. Trois sur trente-quatre : il est vrai que c’est un peu mieux qu’au MOMA où, aux dernières nouvelles, il n’y aurait plus qu’un seul français vivant représenté. Bien entendu, je n’ignore pas que François Pinault ne révèle aujourd’hui que dix pour cent de sa collection, et que parmi les quatre vingt dix pour cent absents, il y a des artistes faisant partie de la scène artistique française (quelle que soit leur nationalité) qu’il aime et achète, des artistes de très grand talent dont les œuvres n’auraient nui en rien aux cimaises du Palazzo Grassi. Pourquoi donc ne pas les montrer à l’occasion de ce coup d’envoi qui donne le ton de la politique du milliardaire? Pourquoi ce dédain de la création vivante en France?

Elle est fort intéressante, l’expo Pinault, et elle est fort bien montée à quelques détails près (comme la pile de Donald Judd qui mord le plafond…), mais rien, absolument rien n’y permet de déceler la qualité de français de l’homme qui a fièrement acheté tout cela, et qui n’était nullement obligé, comme Jean-Claude Trichet, d’oublier sa nationalité pour entreprendre ce qu’il voulait. Where are we going? est-il demandé.
On est tenté de répondre: is Mr. Pinault a frenchman?
Jean-Luc Chalumeau
mis en ligne le 19/07/2006
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