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Le cas Demosthènes Davvétas
Le corps de la poésie
Le cas Demosthènes Davvétas : Le corps de la poésie par Gérard-Georges Lemaire
par Gérard-Georges Lemaire
Démosthènes Davvetas appartient à ce genre d’artistes si particuliers et si intrigants qui envisagent leur création comme un passage incessant et passionné entre la peinture et l’écriture. Comme Cy Twombly, qu’il a bien connu, qu’il admire et qu’il a commenté dans le passé, il ne vise pas une symbiose idéale entre ces deux termes de l’activité artistique et littéraire quels que soient les moyens mis en œuvre. Il recherche plutôt l’établissement de tensions de différentes sortes entre eux. Pour Twombly, tout se joue encore au sein du tableau, devenu le lieu métaphorique d’un mur antique, d’un volumen ou d’un tableau noir. Pour Démosthènes Davvetas, tout se résout dans une multiplication des instances fondatrices de l’œuvre, dans une extrateritorialité qui devient simultanément peinture, poésie et performance.

Le cas Demosthènes Davvétas : Le corps de la poésie par Gérard-Georges LemaireComme l’artiste aime à le dire, une couleur peut être ce qui engendre l’écriture d’un poème, comme si elle avait le pouvoir de se changer en sons et puis en mots et en phrases. Je serais enclin à penser que le contraire pourrait tout être tout aussi vrai en ce qui le concerne. Ce qui est sûr, c’est que la sphère poétique et la sphère picturale n’ont de laisse de s’influencer l’une l’autre et de se contaminer dans un dialogue alerte et dynamique. Et elles prennent toute leur ampleur, donc toute leur puissance et toute leur signification, quand il les met en scène au cours de représentations uniques dont il est à la fois l’instigateur et l’acteur principal. Il a souvent recours à un modèle (il peut, par exemple, écrire ou peindre sur sa peau comme il peut aussi le faire sur le mur ou sur des feuilles de papier) dans un spectacle qui se révèle à la fois rituel et ludique. En utilisant ce stratagème théâtral (ou plutôt théâtralisé), il entend rendre à ses actes leurs dimensions physiques, métaphysiques ou même liturgiques, car il a l’ambition que son spectacle, aussi peu religieux soit-il dans son essence, aussi ancré dans la matérialité puisse-t-il paraître, prenne néanmoins une valeur transcendantale.

C’est incontestable : il y a dans son esprit une collusion cultivée avec soin et avec ferveur entre la poésie – le faire poétique en premier lieu – et le sport – la culture de la corporéité et le culte du combat comme art de la dialectique du corps et de la pensée abstraite. Cette relation intime, bouleversante, fondamentale, puise ses ressources dans les fragments de Pindare (surtout dans sa sublimation des jeux olympiques) et dans les adages de Sismonide (c’est lui qui a soufflé à Léonard de Vinci l’idée que la poésie est un dessin qui parle et que le dessin est un poème muet), mais également dans la philosophie (en particulier chez Nietzsche) et dans la mythologie classique.

Le cas Demosthènes Davvétas : Le corps de la poésie par Gérard-Georges LemaireLa poésie de Démosthènes Davvetas n’est ni formaliste ni savante, ni précieuse, pas plus d’ailleurs que ses tableaux. Il se place résolument au-delà de la modernité. Mais qu’on ne s’y trompe pas : son art poétique et sa poésie picturale qui se répondent sans fin ont été élaborés dans la grande forge de l’histoire de notre civilisation et ils sont sous-tendus par de nombreuses lectures et une relation profonde avec la peinture d’autrefois. L’ « écriture totale » (l’expression est de lui) à laquelle il aspire n’est rien d’autre que ce qui reste une fois que la mémoire oublieuse a rempli son office. Il s’agit d’un dépôt de savoir qu’il utilise dans des œuvres exécutées avec une grande spontanéité. Force est d’admettre que ce microcosme si intense, si haut en couleurs, si touffu, rehaussé d’or comme les icônes orthodoxes, avec un étrange mélange de naïveté et de références aux régions les plus hautes de notre culture, est d’abord le lieu privilégié où célébrer la littérature (à travers la présence de Victor Hugo ou de T.S. Eliot), de la danse (avec le portrait de Marie-Claude Pietragalla), de la musique (avec le buste de Beethoven), de la pensée et de son audace (avec Friedrich Nietzsche), de l’art (Warhol et Basquiat sont ses sujets favoris), des héros de la Grèce homérique (à commencer par Achille), tous convoqués dans un jardin d’Eden peuplé de femmes nues et d’animaux de toutes sortes. Tout cela s’accompagne d’une apologie de la boxe, ce « noble art » qu’il continue à pratiquer et qui est pour lui l’expression la plus pure de la pratique artistique telle qu’il la conçoit.

Enfin, l’écriture est omniprésente dans la majeure partie de ses compositions comme si ces espaces disjoints dans les termes de bonne intelligence de la peinture étaient maintenus ensemble par un équilibre miraculeux grâce à ces paroles inscrites à la surface du papier. En grec moderne, en français, en anglais, la poésie de l’artiste est le fruit d’un cosmopolitisme revendiqué car il ne reconnaît aucune autre patrie digne de ce nom que celle de l’art – les autres, celle de son origine, celle qui est désormais la terre où il a choisi de vivre et enfin celle qui lui permet d’être chez eux un peu partout dans le monde n’existant plus que de manière relative.

La quête intérieure de Démosthènes Davvetas est sous-entendue par le désir – cet éros élevé au rang de deus ex machina d’un transport de l’âme se matérialisant au cours d’un combat à la loyale qu’il mène avec une plume ou un pinceau au bout des doigts ou, sinon, des gants noués aux poignets.
Gérard-Georges Lemaire
mis en ligne le 19/08/2006
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