Esthétique
La forme du vide dans le complexe plastique futuriste
par Muthafar .M. Alobaidy

Le vide transparent cinétique

Dans l'œuvre de Depero le Complexe plastique est coloré moto bruitiste simultané de décomposition en bandes. Cette œuvre est un ensemble polychrome et mobile : trois couches de colorations différentes se déplacent dans trois directions différentes. Cette œuvre est composée de plusieurs bandes rigides de tailles diverses, attachées entre elles par des vis, qui leur permettent d'effectuer des mouvements de rotations autour des chevilles.

Comment le mouvement cinétique de la construction transforme-t-il la perception du vide ? Grâce à trois déplacements différents, la forme du vide change à chaque fois à l'intérieur de la composition, et on l'aperçoit différemment selon le côté d'où on le regarde. Le mouvement introduit une fonction qui perturbe l'état de repos du vide, et le rend comme un élément théâtral qui présente différents visages, mis en scène par le mécanisme, à travers une dynamique du mouvement. Ces mouvements pourraient être actionnés par un mécanisme à air comprimé, que le spectateur déclenche par un soufflet et qui provoque des mouvements soudains accompagnés d'effets bruitistes. Mais ces mouvements pourraient tout aussi bien être commandés par un moteur, comme le titre de l'œuvre le suggère. Depero élabore une nouvelle création intégrant de nouvelles possibilités de synthèse abstraite du mouvement et de la forme à travers le vide. Malgré l'abstraction, certaines positions font penser à la forme de l'araignée, ou d'un cheval qui galope, ou d'un oiseau en plein mouvement d'envol. Les bandes proposent également une lecture de l'œuvre par des lettres, ressemblant par exemple à un enchevêtrement de "M" majuscules.
Le vide est utilisé dans une perspective spectaculaire, théâtrale, au sens du jeu et du fantasme. La structure articulée construit plusieurs vides en fonction de la position des bandes pleines. Ces bandes de forme courbe sont mises en différentes positions. Chaque mouvement dans cette œuvre montre une forme du vide qui peut s'avérer le contraire d'une autre forme, obtenue par un autre mouvement. Le mouvement qui construit la vision abstraite d'une araignée dans cette œuvre, présente les bandes comme des pattes; le corps est immatériel, c'est la forme invisible du vide qui lui donne sa substance. Donc le vide construit le corps, tandis que le plein construit les pattes. La vision du vide à travers cet animal abstrait en mouvement traduit l'image de la construction d'une activité, d'un travail producteur.

Un autre mouvement de cette œuvre propose l'abstraction formelle d'un cheval qui galope, et qui se projette vers l'avant et vers le haut. Les bandes en plein constituent les fragments de la construction des jambes, du dos, et de la tête dressée, alors que le vide présente un équivalent du reste du corps, comme masse centrale invisible dans la structure. Dans cette position arrêtée de la sculpture, la ressemblance est marquée entre ce cheval transparent et l'œuvre de Boccioni Cheval + cavalier + maison : l'enchaînement des formes par courbe et contre-courbe obéit à un principe similaire, la tête est pointue vers l'avant, tandis que le corps plein, fragmenté chez Boccioni, devient vide chez Depero. Une autre vision pourrait correspondre à la forme d'un oiseau qui prend son envol. Le vide entre les bandes pleines donne l'impression d'une flèche tirée vers le haut, et évoque la vitesse d'un décollage, dans un battement d'ailes, l'idée de quitter le sol, d'un départ. Ici le vide apparaît donc comme un élément de propulsion et de vitesse d'un corps rempli d'énergie. Quelle que soit la vision du vide donnée par les différents mouvements, elle possède aussi un caractère spectaculaire et théâtral; elle est analogue à un acteur sur une scène qui jouerait plusieurs rôles.

Pour la première fois est mise en pratique une théorie d'un vide cinétique, selon laquelle les éléments plastiques sont doués d'un mouvement effectif et non d'un mouvement représenté. Boccioni avait envisagé une idée semblable dès 1912 dans le Manifeste de la sculpture futuriste, et avait réalisé la composition Cheval + cavalier + maison dans cette intention : articulée, la composition constituée de différents éléments permettait une modification mécanique de sa structure. Mais Boccioni n'avait pas intégré le vide dans cette œuvre en mouvement articulé.
Le manifeste de la Reconstruction futuriste de l'univers de 1915, par Balla et Depero, insiste en particulier sur les mouvements de type giratoire. Y est envisagée la gamme des mouvements de rotation : "Rotations : 1. Complexes plastiques qui tournent autour d'un axe (horizontal, vertical, oblique). 2. Complexes plastiques qui tournent sur plusieurs axes : a/ dans le même sens avec des vitesses variées; b/ en sens inverse; c/ dans les mêmes sens et en sens inverse." Sans cet inventaire analytique, Depero dans un travail préparatoire intitulé Complexité plastique – jeu libre futuriste – L'être vivant artificiel daté de 1914 avait déjà énoncé le principe d'une plasticité "continuellement en mouvement" et "transformable". Mais il tente d'élaborer des solutions complexes à travers le vide dans des structures décomposables et par des articulations dont le cinétisme est irrégulier et excentrique. L'articulation est facteur de création de la forme du vide; en effet, tous les éléments plastiques étant liés deux à deux, chaque mouvement en un point de l'œuvre crée un enchaînement des modifications, et la forme du vide qui en résulte est nécessairement complexe.

Depero effectue ses recherches précisément sur la nouveauté du dynamisme plastique, ce qui le conduit à représenter les possibilités infinies du mouvement de la forme à travers le vide. Il réussit avec facilité le jeu de la décomposition des volumes, et trouve la solution formelle pour traduire l'idée de la présentation de plusieurs visions dans la même œuvre. Il va jusqu'à représenter le mouvement par un vide transparent qui apporte une solution absolument originale pour la lumière au cœur de l'œuvre. La présence de la lumière est un élément fondamental de la construction résultant du vide : L'artiste fait en effet de la lumière un des centres de la perspective rayonnante de l'œuvre, avec les centres émotionnels. Il déclare : "la perspective lumineuse qui, elle aussi, est un problème, consolide la structure du cadre dynamique : la perspective de la lumière est une loi incontestable". Dans cette œuvre de Depero le vide est peut-être le plus représentatif du Manifeste de la reconstruction de l'univers parmi les œuvres reproduites. En effet, Balla et Depero reprennent en partie le texte de ce dernier, qui se prononçait résolument "Contre la plastique 1. Statique 2. Opaque 3. Incolore 4. Lourde" en précisant qu' "il est extrêmement urgent de la violemment détruire 5.Fixe – sur piédestals ou autre soutien 6. De matière unique et stable 7. Sérieuse – monotone 8. Silencieuse 9. Très fétidement funèbre – arbitraire et expérimentale". Les deux artistes proposent une plasticité "TRES TRANSPARENTE Nécessité vitale pour la vitesse volatilité où l'on perçoit le drame plastique tous les éléments qui concourent au complexe plastique se devinent transparents construits oui, mais non analysés avec une horrible matière lourde incolore morte tout apparaît et disparaît très léger impalpable". L'outil du vide, en tant qu'élément créatif, a permis à Depero d'adopter les observations scientifiques pour ses propres compositions. L'artiste se sert de la mécanique et des observations scientifiques sur le mouvement et le cinétisme, pour trouver une nouvelle forme transparente.

Il suit l'exemple de Léonard de Vinci dans ses recherches en adaptant la science à la construction d'objets et de jouets. La visualisation des formes du vide est structurée par le mouvement auquel travaillait Depero. Elle participe également au souci d'unir la science, l'art et le jeu. La création du vide chez Depero provient de la construction du mouvement et de sa dynamique, à travers le mécanisme mis en place. Dans un premier temps existe un vide originel, celui qui existe fortuitement par l'assemblage des formes pleines, à un moment donné. Dès que le mécanisme se met en mouvement, un vide se crée, par une expansion des formes, et un autre vide se rétracte, par le repliement d'autres formes. Le vide, enveloppé par le mécanisme, s'adapte donc au mouvement; il reste en permanence en vitalité, potentiellement prêt à être transformé. C'est la création de chaque nouvelle forme du vide qui donne la relativité entre la stabilité du vide et son expansion.

Le vide peut se présenter sous une forme stable, quand le mécanisme est immobile, ou instable quand le mécanisme est en mouvement. Dans tous les cas, le vide dans cette œuvre est infidèle au mouvement unique : la forme du vide porte la stabilité d'une forme fixe, et l'instabilité d'une forme en mouvement. Ce vide est donc dans cette œuvre un signe de l'imagination, du fantasme, d'échange avec les formes pleines; le vide protéiforme change le signe car sa construction possède un caractère élastique qui traduit une vision fantasmatique.
Depero prend la suite des recherches futuristes, en particulier celles menées et envisagées par Boccioni dans ses nombreux écrits fondateurs, spécialement ceux qui traitent de l'objet et du mouvement. Celui-ci déclarait que "le dynamisme est l'action simultanée du mouvement caractéristique particulier à l'objet (mouvement absolu) et des transformations que l'objet subit dans ses déplacements en relation avec le milieu mobile ou immobile (mouvement relatif). Il n'est donc pas vrai que la seule décomposition des formes d'un objet soit dynamisme". Dans le complexe plastique transparent de Depero, le mouvement réel construit le dynamisme du vide en tant que milieu intérieur de l'œuvre. L'artiste a ainsi transformé la notion de milieu de l'objet de l'extérieur vers l'intérieur. Le vide est devenu le milieu intérieur de l'œuvre. Et comme cette construction possède plusieurs mouvements dynamiques, nous pouvons parler de milieux vides différents. Ces milieux vides intérieurs sont créés grâce à la transformation que l'objet subit dans ses déplacements. Une certaine communication est créée entre le milieu intérieur de l'œuvre et le milieu extérieur. Le dynamisme créé par la décomposition des formes n'étant pas suffisant selon Boccioni, Depero utilise la décomposition pour créer un vide dynamique supplémentaire. La déformation et la décomposition de l'objet sont continuelles, selon les principes énoncés par l'artiste dans ses écrits : l'œuvre futuriste doit être "continuellement en mouvement", et "transformable"; elle peut ainsi créer elle-même son propre milieu vide dans son intériorité. Ce vide peut être une identité personnelle de la structure. Comme il y a plusieurs mouvements, il existe plusieurs identités dans la même œuvre.

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mis en ligne le 21/09/2009
 
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