Dossier Esther Ségal
En noirs et blancs
Esther SÉGAL par Michel DUPRÉ

De nos jours, tout le monde fait de la photographie. Banalisation d’un outil et d’une pratique qui accumule les clichés.
Pourtant rares sont les Photographes. Ceux là qui savent choisir un point de vue, comprendre une lumière, saisir « l’instant propice », exploiter les arcanes du tirage, etc.…, qui savent porter un regard singulier sur les réalités du monde, ceux là sont des photographes. Car cette technique qui permet de figer le réel devient alors un acte créateur capable de renouveler notre connaissance du monde.
Plus rares encore ceux, celles capables de dépasser les cadres catégoriels fixés par les nécessités des conventions. Oser franchir les frontières. Border line…
Il est alors pertinent de se demander si Esther SÉGAL est « photographe » au sens que l’histoire a accepté depuis les inventeurs du XIXème siècle.
Se contenter de « photographie » ? Ce serait peu dire, voire agir en censeur, que réduire les pratiques d’Esther SÉGAL à ce mot de convention, à une simple catégorie technique. Ce serait falsifier ses propositions éminemment plastiques dont on constate qu’elles débordent sans scrupules les classifications habituelles.
Photo, peinture, écritures, dispositifs, sérialité laissent perplexes, seule chose qui se puisse nommer, le Noir. Non pas tonalité funèbre pas plus qu’obscurité stérile ou… mais Noir, sa propre tension créative abordée avec franchise et intelligence sensible…

Noir ? On songera à Soulages. Pourtant ce noir est autre, venu d’ailleurs pour inscrire un propos.

Lumière noire du photographique. Nulle trace de lumière, Photo-graphie s’écrit autrement (s’écrie autrement), selon une dimension spécifique.
Beckett annonçait le « noir clair », ici c’est l’émergence d’une gamme des nuances d’un noir, toujours lui-même, que la contiguïté des multiples coups de poinçon, l’écume vierge d’embruns des cumulus renversés, l’arrêt d’une pliure imprévue… fait varier.

- Noirs. Paysages. Cendres noires des grèves de Ténériffe, souvenirs des convulsions qui ne cessent d’agiter la planète, orages de lapilli pompéiens, poussières basaltiques, grains d’hématites brisées, scintillements d’eaux fortes abstraites, nuées ardentes déposées telles des sédiments sacrificiels, alluvions riches de devenirs, qui viennent s’incruster dans les secrets de la rétine.

-Noirs qu’aucun vide n’obstrue. Grains de lumière épars-pillés, sables poudreux : « Tu arraches un grain de sable et toute la plage s’écroule… » écrivait Michaux. Granulations reprises des bijoux funèbres des tombes étrusques.

- Noir. Le « Négatif » s’offre au regard comme éminemment Positif. Lumière d’éclipse saturée de silences qui permet d’aiguiser la lecture d’une page à l’autre.

- Série sans fin, infinissable, infinie… où se repèrent des composants choisis pour leur valeur plastique, ET pour leur résonances émotives.

- Ciel vertical subvertit les masses nuageuses.

- Ecritures de poinçon qui inventent le paradoxe d’un Braille visuel pour rendre (en vue de) sensible les noirs de l’aveuglement chers au poète.

- Pliures. D’une page, l’autre s’installe un récit confus qui ne peut trouver sa fin qui serait une « chute » de Mort.

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Dossier Esther Segal : Esther Segal ou l'âme au bout des doigts par Gérard-Georges Lemaire
mis en ligne le 26/01/2010
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