Dossier Andrée Philippot-Mathieu
Andrée Philippot-Mathieu, L’Unique et sa complexité
par Robert Bonaccorsi

Depuis vingt ans, Andrée Philippot-Mathieu travaille sur la notion d’identité dans ses différentes acceptions (personnelle, sociale, culturelle), en croisant à plaisir médias et techniques : peinture, photographie, sculpture, image numérique… Ce qui pourrait n’être qu’habileté ou virtuosité, autrement dit, et cela serait déjà beaucoup, un art subtil de brouiller les pistes et de décaler les regards, s’affirme comme une démarche radicale de confrontation avec la photographie. La photographie en tant qu’invention, procédé qui, dès l’origine revendique la mimésis, la similitude, avec une claire volonté de classer, de normaliser, de fixer l’identité. Portrait composite, photo d’identité, identité judiciaire… Une quête de précisions, de « garanties désirables d’exactitude » soulignait Baudelaire, qui permettait à la « société immonde » de « contempler sa triviale image ».  Et il ajoutait : « Cet universel engouement portait non seulement le caractère de l’aveuglement et de l’imbécillité, mais avait aussi la couleur d’une vengeance ». Contre l’art, la poésie, le génie…. L’industrie photographique se présentait ainsi comme « le refuge de tous les peintres manqués, trop mal doués ou trop paresseux pour achever « leurs études ». La charge est rude, excessive mais touche l’essentiel. Comment désormais se confronter au réel, envisager la représentation sans sacrifier au culte d’un narcissisme plus ou moins socialisé ? Andrée Philippot-Mathieu établit des passerelles entre les différentes techniques (peinture, photo) pour élargir le champ du possible. Elle n’opère pas une synthèse illusoire, une synthèse plus où moins équivoque, mais intervient au cœur même de la contradiction, au vif des problèmes liés à la perception et à la représentation. « J’utilise la photographie parce qu’elle est plus qu’aucune autre expression artistique, le reflet de notre temps en étant un témoignage direct de celui-ci et par sa technologie toujours en évolution.
Je me la suis appropriée dans ce qu’elle offre comme expérimentation la plus large et la plus novatrice aussi, les manipulations numériques grâce auxquelles je peux transformer le sujet ». La rigueur de propos s’inscrit dans de vastes séries où se retrouvent confrontés l’intime et le collectif. Red Paintings (photographies de portraits peints, de visages qui jalonnent son existence), Like Paintings (portraits numériques picturalisés à l’ordinateur), Identity Portraits (un rappel des portraits utilisés par la police), White frontal (portraits photographiques traités à l’ordinateur, par l’apport d’une résine virtuelle induisant l’idée de conservation), Nomadic Portraits (portraits réalisés au cours de voyages selon le mode du carnet de croquis)… André Philippot-Mathieu pense les contraires en actes par et pour une pratique entre captation du réel, intervention tactile, manuelle (l’ordinateur en ce sens réhabilite le geste), la nature ne se dévoilant que dans l’artifice. La série de photographies réalisées à Paris, en Egypte et en Chine (Signals) où l’artiste prend au départ la pose du touriste réalisant des "souvenirs" pour donner à voir in fine des épures, comme autant de « signaux identitaires inscrits dans la mémoire collective ». Encore et toujours, penser visuellement les contraires : La structure et le sensible, le témoignage et la connaissance, le subjectif et l’objectif, l’apparence et la vérité, la conscience de soi et la représentation, la référence et la découverte… L’identité de l’intime au collectif, du privé à l’universel. La photographie n’est pas ici une «servante» de la création artistique, mais un moyen pour dépasser l’antagonisme premier. Andrée Philippot-Mathieu ne pratique pas "l’entre-deux", encore moins le compromis ou le mélange des genres. Son travail se fonde sur une réappropriation voire une refondation de la photographie et de la peinture. La mise en œuvre originale et risquée d’une stratégie de la confrontation et du dépassement. La quête d’une vérité concrète, sociale, pratique, au-delà des apparences. L’œuvre comme vecteur dynamique et résultante de la difficulté d’appréhender le monde. L’Unique et sa complexité.

Les citations de Baudelaire sont extraites du Salon de 1859. « Le public moderne et la photographie », Oeuvres complètes, tome II, Gallimard, La Pléiade, 1976, pages 514/619.

Robert Bonaccorsi

Dossier Andrée Philippot-Mathieu : Andrée Philippot-Mathieu, L’Unique et sa complexité par Robert Bonaccorsi
mis en ligne le 11/05/2010
 
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