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Aux frontières des marchés de l'image fixe
Aux frontières des marchés de l'image fixe par Dominique Sagot-Duvauroux
par Dominique Sagot-Duvauroux
Depuis une dizaine d’années, les marchés de l'image se décloisonnent. La photographie est de plus en plus présente sur le marché de l'art, les agences ouvrent des galeries, organisent des expositions et affirment des préoccupations esthétiques nouvelles. La convergence des marchés s'est cependant faite sans qu'une véritable réflexion n'ait été engagée sur la nature et les conditions de diffusion des différentes images présentées. On voit ainsi dans des mêmes lieux et sur les mêmes marchés des objets de nature très différente. Par ailleurs, les stratégies de concentration qui se développent sur le marché des banques d'image favorisent un formatage des photographies qui s'opposent aux rapprochements évoqués plus haut.

Comme un nombre croissant de photographes ont adopté les conventions de l'art contemporain, les galeries d’art contemporain sont de plus en plus nombreuses à représenter des photographes. A la FIAC 2000, 41 galeries ont ainsi consacré leur one man show à des photographes. Parmi elles, citons entre autres, la galerie Polaris avec Stéphane Couturier, Anne de Villepoix avec Jean-luc Moulène ou encore Artlogos avec Sophie Ristelhueber, trois exemple du dynamisme de la création photographique française.

Plus nouveau, le salon Paris Photo, exclusivement consacré à la photographie, a accueilli en 2000 des galeries phares du monde de l’art contemporain. La galerie Paula Cooper avait fait le déplacement à Paris et présentait des œuvres de Andres Serrano, Zoe Leonard ou encore Sophie Calle. La galerie Durand —Dessert proposait des œuvres de William Wegman, ou Balthasar Burkhard. Notons que ces deux galeries avaient boudé la FIAC. Ce salon, traditionnel temple du noir et blanc et de la photographie historique, s'éclairait cette année de la couleur et des formats des photographes contemporains.

16 galeries étaient présentes dans ces deux manifestations. Et parmi ces 16 galeries, 9 présentaient des photographies dans les deux foires.

Les galeries spécialisées exclusivement dans la photographie s’aventurent cependant encore peu à la FIAC. La galerie Paviot s’évertue depuis plusieurs années à organiser la présence de la photographie classique dans les grandes foires (Bâle, Paris). En 2000, le Réverbère a tenté sa chance à la FIAC avec Dick Braeckman tandis qu’à Paris Photo, on pouvait voir notamment une intéressante série de Denis Roche. Mais Michèle Chomette ou Agathe Gaillard, deux galeries pionnières de la photographie à Paris, étaient absentes de la foire d'art contemporain parisienne.

Etaient également présentes dans les deux foires des galeries représentant les différentes tendances de l'art contemporain mais avec une spécialisation affirmée pour le support photographique. Les galeries Baudoin-Lebon , Polaris, Zabrisky, Mennour, Art et Public (de Genève) ou Agnès B en sont de bons exemples. (préciser ce qu'elles exposaient).

Enfin, quelques galeries de référence du monde de l'art contemporain, n'affichant pas de préférence marquée pour la photographie, avaient jugé bon d'être présentes dans les deux manifestations : Taddeus Ropac accrochait à Paris Photo Godicke, Mapplethorpe ou Bettina Rheims. La jeune galerie Cent-Huit, réputée pour la radicalité de ces choix, proposait une installation à la FIAC et un accrochage à Paris Photo.

Au delà des convergences entre les galeries de photographies et les galeries d'art contemporain, d'autres rapprochement contribuent à réduire les traditionnels barrières qui séparent les mondes de l'image fixe. Les agences revendiquent leur place dans la création photographique contemporaine. L'agence MAGNUM a ainsi réalisé une grande exposition à la Bibliothèque Nationale de ses photographes dont certains constituent des valeurs sûres du marché des tirages (Martin Parr, Lise Sarfati...). La création d'une galerie adossée à l'agence VU et dirigée par Christian Caujolle témoigne également d'une stimulante stratégie de différentiation des photographes. Michael Ackerman ou Antoine d'Agata sont à la fois des reporters réputés (voir par exemple la couverture par D'agata de la guerre de Palestine), des auteurs d'ouvrages qui sont autre chose qu'un catalogue d'image (Ackerman a reçu le prix Nadar pour son ouvrage End Time City sur Bénarès) et des artistes vendant leurs tirages et travaillant sur la présentation de leur travail dans des expositions. Les collectifs comme Tendance Floue ou le Bar floréal visent également à toucher les trois marchés du livre, du tirage et du reportage. On regrette alors l'absence de ces agences ou collectifs dans les foires de la photographie. Enfin, sans doute sous la pression de la concurrence, les agences télégraphiques (AFP et Reuters en particulier), accordent une importance croissante au regard de leur photographe sur les événements. D'une spécialisation sur une photographie purement informative, ils proposent désormais des images où le photographe affirme sa personnalité et son regard.

Les médiateurs de la photographie participent aussi à ces décloisonnements. Le Journal "Pour Voir", certes spécialisé sur la photographie, donne à voir tous les styles de photographies. Dans la même logique, le site Visuelimage.com défend une ligne qui cherche à abolir ces clivages. Plasticiens, Photographes, Vidéastes s'y retrouvent pour réfléchir aux potentialité de ce nouveau medium qu'est Internet. Delphine Kreuter, représentée par la galerie Alain Gutharc, envoie presque quotidiennement au site des oeuvres conçus pour lui. Raymond Depardon propose une version numérique et interactive de son livre épuisé "Notes". Enfin, le site marchand Eyestorm a fait sa réputation sur la diversité des artistes dont les oeuvres sont proposés à la vente. A côté de Damien Hirst , star britannique du marché de l'art contemporain, figurent des photographes comme Betina Rheims.

La convergence s'opère enfin au niveau des références des artistes. Atget ou Robert Frank figurent parmi les artistes les plus souvent cités comme référents des jeunes artistes plasticiens. Une photographe comme Claude Cahun, longtemps ignorée, est réhabilitée aujourd'hui comme pionnière, sinon inspiratrice, d'un art photographique d'introspection tel que celui développé par Cindy Sherman ou Nan Goldin. Du même coup, les collectionneurs d'art contemporain s'ouvrent à la photographie et ce faisant, s'intéressent à l'histoire de ce medium.

Ces convergences sont motivées par l'extraordinaire boom du marché des tirages photographiques, anciens ou contemporains venus relayer les marchés plus traditionnels de la peinture ou plus risqués de la video. Le chiffre d'affaires des ventes aux enchères de photographie a été multiplié par cinq en francs constants entre 1995 et 2000. Les prix des photos anciennes (La grande vague, de Gustave Le GRAY, a été vendue 4,7 millions de francs chez Sotheby's en 1999) mais aussi des photos contemporaines (par exemple Panthéon de Thomas Struth, vendu 1,7 millions de francs chez Christies en 2000) explosent.
Ces rapprochemetst n'ont cependant pas que des aspects positifs. Premièrement, ils s'opèrent sans que soit conduite parallèlement une réflexion sur les conditions de présentation et de commercialisation d'images de nature très hétérogène. Deuxièmement, ils traduisent aussi des réactions contre un marché de l'image de plus en plus organisé autour d'impératifs de marché.

Si chaque image a son support et son marché privilégié, il y a un risque à voir la même image proposée sur des supports et sur des marchés différenciés. Comment s'étonner de la multiplication des faux sur le marché de la photographie, lorsque ce marché assoit la valeur des tirages sur des caractéristiques souvent artificielles (limitation des tirages) et/ou aisément falsifiables (authenticité) ? Comment s'étonner de l'apparition de tirages de presse sur le marché des tirages de collection alors que le marché s'est précisément construit sur la valorisation du vintage, tirage d'époque fait par l'auteur de la prise de vue et dont une grande part provient des fonds des journaux ? L'adoption des règles d'un marché par un autre ne se fait pas sans coût.

L'exposition Magnum à la Bibliothèque Nationale offre un autre exemple des problèmes posés par la convergence des marchés. Cette exposition avait pour objectif de montrer le travail des photographes de l'agence sous la forme aujourd'hui à la mode, le tirage. Or en visitant l'exposition, on se rendait vite compte que certaines images n'avaient pas pour destination naturelle le tirage accroché à un mur. Elles souffraient du format et du mode de présentation qui dénaturaient le travail initial du photographe. Une certaine critique pouvait alors légitimement dénoncer la faiblesse du travail en s'appuyant sur le manque de pertinence de ce travail sous forme d'exposition, comme si une bonne photo était nécessairement celle qui résistait à l'exposition sous forme de grand format.

Enfin, , la présentation des videos en galeries ou dans les musées fournit un troisième exemple des risques d'adoption d'un mode de diffusion et de commercialisation conçu pour des objets de nature différente. Parce que la video n'a pas encore trouvé son marché idéal, on la présente et on la vend comme on vend depuis un siècle des peintures. L'art video en galerie s'affranchit ainsi des multiples débats qui ont longtemps opposé les différents courants de la photographie, notamment à propos de l'importance du format et de la qualité du tirage. Dans une large mesure ,on peut dire que la photographie plasticienne a assis sa légitimité artistique sur l'importance de la forme tirage. En matière d'art video, la réflexion sur la matière visuelle est quasiment absente. D'un poste de télévision à l'autre, le rendu visuel d'une œuvre vidéo peut être très différent, et certainement beaucoup plus différent que deux tirages d'un même cliché. Pour être rigoureux, il faudrait concevoir une œuvre pour un poste de télévision donné et vendre le poste en même temps que la cassette ou le CD.

Les mouvements de convergences évoqués ci-dessus reflètent aussi une stratégie défensive des photographes-auteurs contre le formatage imposé par les banques d'image. Les stratégies de concentration auxquelles on assiste depuis une dizaine d'année autour de Getty Image, Corbis et Hafimage modifient les rapports de force entre agences et photographes au détriment de ces derniers. Dans un contexte de recrudescence des procès intentés aux photographes au titre du droit à l'image, les banques d'image proposent des images "sans problèmes", souvent réalisées avec des mannequins, que les journaux s'arrachent en raison d'une part de leur disponibilité sur support numérique en temps réel, mais aussi parce qu'ils sont sûrs de ne pas avoir de soucis judiciaires en les diffusant. Le rétrécissement du marché de la presse pour les photographes-auteurs, déjà exsangue, impose alors un rapprochement avec les marchés purement artistiques, au risque parfois d'une perte de sens des images.
Dominique Sagot-Duvauroux
mis en ligne le 20/02/2002
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