chroniques - art contemporain - photographie - photography

version impression
participez au Déb@t
le dossier : Fabrice Hybert
editorial
Entretien avec Thierry Laurent
L'atelier de Fabrice Hybert est un vaste entrepôt situé dans le dixième arrondissement de Paris. Enfilade de pièces et de bureaux avec consoles informatiques. Au moment où j'arrive la table est mise. Je suis invité à déjeuner et l'on me prie de m'asseoir. L'interview sera donnée pendant le déjeuner. À ma gauche, l'artiste. Tout autour de la table, des assistants, garçons et femmes, dont j'ignore les fonctions exactes. Bien sûr, on pense à la Factory de Warhol. L'art semble ici vécu comme une entreprise collective. Mais ça ne se voit pas vraiment. L'atmosphère est conviviale. Impression d'assister à un déjeuner entre amis. L'art est-il devenu une affaire de communication? Ici, on ne le ressent pas comme tel. L'atmosphère est bon enfant. Des bouteilles de vins rouge et blanc sont disposées sur la table au milieu de pétales de rose. Les étiquettes indiquent qu'il s'agit de crus non français. La conversation s'oriente d'abord sur le vin.

Thierry Laurent : -Je vois sur l'étiquette de la bouteille du vin que je suis en train de boire du Litz 1999 Cardonnet. C'est un vin de quelle origine exactement?

Fabrice Hybert : - C'est un vin d'Afrique du Sud. J'ai la chance de connaître un œnologue qui connaît les meilleurs vins du monde. Guido Francque. Je l'ai rencontré au moment de mon premier vernissage en Belgique en 1993, lors d'un repas délicieux. C'est en Belgique que j'ai découvert les vins du monde.

T.L. : - Avant de commencer l'interview, vous m'avez dit que vous connaissiez le meilleur restaurant du monde... De quel restaurant s'agit-il ?

F.H. : El Bouli à Cadaques.

T.L. : Ces quelques propos pour dire que le visiteur est particulièrement bien reçu chez vous. Maintenant, je constate qu'il y a plusieurs personne autour de la table. Vous êtes donc à l'opposé de l'artiste solitaire. Vous travaillez avec toute une équipe. D'ailleurs on le sait, vous avez formé une entreprise, une compagnie qui s'appelle UR, pour Unlimited Responsibility.
Je vois trois garçons plus deux jeunes femmes en plus de Fabrice et de moi. J'aimerais connaître les fonctions des uns et des autres ? Par exemple, je m'adresse à vous, le garçon assis devant moi ?

Le garçon :Je m'occupe de tout le monde.

T.L. : Et vous vous en occupez bien, car je constate qu'on est bien reçu à Unlimited Responsibility. Et votre voisin assis à votre gauche ?

Le voisin : Moi je suis l'assistant de Monsieur. Je m'occupe aussi de tout le monde. Et à l'inverse du système du Loft sur M6, nous gardons tout le monde, il n'y a pas d'élimination des membres du groupe.

T.L. : Puisje m'adresser à la jeune femme assise sur ma
droite ?

La jeune femme : Moi je m'occupe des roses disposées sur la table (Rires)

F.H. : ... Et de quelques projets artistiques !

La jeune femme : Et de quelques artistes ! Plus précisément, je suis la directrice artistique de l'entreprise.

T.L. : La vision concrète de votre direction artistique, ce sont les pétales de rose répandus sur la table. Je reconnais, c'est ravissant.

Je m'adresse à votre voisine. Votre tâche à vous ?

La voisine : Mon rôle, c'est de "faire ". Je m'occupe de la partie concrète de l'œuvre de Fabrice. Tout ce qui est réalisation.

T.L. : La partie technique de l'œuvre ?

F.H. : Disons la partie production.

T.L. : Et vous qui ne vous êtes pas encore présentée ?

La jeune femme : Moi, c'est la communication. Je suis la " détachée de presse " de UR.

T.L. : Et Fabrice Hybert dans tout ça ? Qu'est-ce qu'il fait ?

F.H. : Moi je dis s'il vous plaît et merci.

T.L. : Je parle de votre rôle actif.

F.H. : Mon rôle actif consiste à dire s'il vous plaît et merci.

T.L. : Et vous dites combien de fois par jour s'il vous plaît et merci ?

F.H. : C'est énorme.

T.L. : Vous travaillez donc énormément?

F.H. : Oui, oui. (Rire général).

T.L. : C'est en disant s'il vous plaît et merci que vous avez obtenu le « Lion d'or » de la Biennale de Venise ?

F.H. : Il y a eu beaucoup de gens extérieurs qui sont intervenus sur le projet. Aujourd'hui, il y a encore deux personnes qui travaillent avec moi et qui ne sont pas là aujourd'hui. Il y a Carine et Samon qui gèrent davantage les projets de nouvelle technologie et Internet.

T.L. : L'équipe n'est donc pas au complet ? Il y a des absents.

F.H. : Samon Takahashi par exemple, qui est artiste vidéaste, et qui participe à beaucoup de nos projets.

T.L. : L'art contemporain se crée donc au sein d'une entreprise ?

F.H. : Ce sont des équipes plus précisément qui le créent.

T.L. : Vous ne croyez pas à la capacité de l'artiste isolé ?

F.H. : L'artiste isolé n'a jamais existé. C'est une vue de l'esprit. L'artiste n'est jamais isolé, en fait. Il appartient au moins à un réscau d'amis. Vous imaginez Picasso seul? Impossible! Miro non plus. Il y a eu quelques exemples spectaculaires au dixneuvième siècle. On les a enfermés dans le cliché de l'artiste maudit. Sinon, l'artiste isolé, c'est très rare. Qu'est-ce que c'est un artiste sinon quelqu'un qui agit dans le quotidien, dans la vie de tous les jours, qui va voir des choses, qui les capte et les digère ?

T.L. : C'est vrai: de la Renaissance jusqu'au dix-neuvième siècle, l'artiste travaillait dans un atelier, épaulé par une multitude d'assistants. Les uns broyaient les couleurs, certains se spécialisaient dans les paysages et les natures mortes, le maître apportait la conception générale de l'œuvre. Mais chez les Impressionnistes, et au dix-neuvième siècle en particulier, ne peut-on pas parler d'artistes isolés ?

F.H. : Les artistes impressionnistes n'étaient pas isolés : ils travaillaient en se concertant. Ils s'épaulaient les uns les autres.

T.L. : Le peintre de « l'Œuvre » de Zola incarne le prototype de l'artiste isolé. Il souffre d'ailleurs beaucoup de sa solitude.
pages 1 /4 suivante
Jean-Luc Chalumeau
mis en ligne le 11/02/2002
Droits de reproduction et de diffusion réservés; © visuelimage.com - bee.come créations


Lexique des termes employés:
Peintures homéopathiques:
peintures réalisées à partir de 1986, conçues comme des accumulations d'écritures, de dessins et de photographies. Sortes de grandes narrations, elles sont une mise en forme ludique et poétique de l'ensemble des préoccupations de l'artiste, scientifiques, économiques, écologiques, météorologiques. Processus d'élaboration de la pensée de l'artiste, elles témoignent en même temps de son désir de rendre visuel son cheminement mental. Les peintures homéopathiques témoignent de la place accordée par l'artiste au dessin et à la peinture, fondement de son œuvre proliférante qui se déploie par glissements successifs, correspondances et hybridation.


POF:
" prototype d'objet en fonctionnement " : instruments ludiques ou pratiques, invitant le spectateur à les expérimenter lors d'exposition conçues comme des centres d'essayages. Les POF échappent à la destination murale et contemplative de l'œuvre d'art pour inviter le spectateur à faire sa propre expérience du réel. Actuellement au nombre de cent cinquante, ils sont la synthèse de son œuvre. Invention née d'une idée, d'une phrase et continuée par des dessins, ils sont ensuite réalisés et présentés systématiquement accompagnés d'une vidéo les montrant en état de fonctionnement. Aucun POF ne naît d'un besoin. Les POF sont des objets de désir, de rencontres, leur univers est celui du rire et de la vie. Manipulés par le public au cours des expositions, les POF induisent de nouveaux comportements, de nouvelles manières d'être, ils sont une invitation à l'invention et à la pensée.


Le plus gros savon du monde:
réalisé en 1991, grâce à l'aide d'une entreprise marseillaise de détergents, il est inscrit du fait de sa taille démesurée dans le Guinness des Records. Présenté sur les parkings de centres commerciaux, il allait à la rencontre d'un public qui n'était pas forcément celui de l'art.

UR:
société fondée par Fabrice Hybert, destinée à donner corps à tous ses projets ainsi qu'à ceux que lui confient d'autres artistes. Entreprise destinée à produire au sens économique du terme une infinité de formes, d'objets, d'expositions.