Esthétique
La Science devenir de l’art

par Thierry Laurent

mis en ligne le 06/10/2010

Aujourd’hui la question se pose. Qui sont les vrais artistes contemporains ?

Dans sa démonstration de la pertinence d’une bouteille de coca-cola par Warhol, exacte réplique en plus grand d’une bouteille de coca-cola, Arthur Danto explique que ce n’est pas la bouteille de coca-cola qui fait œuvre, mais la démarche de l’artiste, une démarche conceptuelle, où la bouteille de coca version Warhol n’est plus une bouteille de coca, mais un symbole, l’ Icône d’une société où tout le monde boit du coca-cola. Donc voilà. Nous buvons tous du coca cola. Certes ! Mais comparée à l’imaginaire mathématique des astrophysiciens, l’idée de Warhol est une la lapalissade. Ne faudrait-il pas plutôt féliciter le génial designer qui a conçu la bouteille de coca, un objet rendu universel par son impact visuel et son contenu gazeux, et non un Warhol astucieux qui s’est contenté de pirater froidement un objet qui n’est pas de lui ? Pour être juste, il n’en demeure pas moins qu’en termes kantiens, où le beau sensible demeure l’ultime enjeu de l’art, l’œuvre de Warhol demeure percutante. Warhol est un génie du piratage, un décorateur séduisant, mais pas un artiste conceptuel.

La conception hégélienne d’un art exposant l’Idée absolue du monde fait obligatoirement appel en dernière instance à la science : la démarche scientifique consiste à trouver une seule loi unique et universelle en mesure d’expliquer des phénomènes multiples et disparates. La loi de gravitation de Newton a le mérite de donner une explication unique à des phénomènes en apparence sans relation les uns avec les autres : chute d’une pomme, orbite des planètes, balistique des boulets de canons. Aujourd’hui la science s’attache à réconcilier des systèmes d’explication en apparence contradictoires, celui des équations de la relativité concernant l’espace-temps à grande échelle, celui de la physique quantique, relatif aux particules élémentaires . La théorie des cordes a cette vocation de loi unique et universelle de l’univers. Pour l’instant, cette théorie n’est pas achevée et encore moins vérifiée, elle est une superbe construction esthétique. Les bâtisseurs de nouveaux espaces à travers de purs échafaudages d’équations ne seraient-ils pas les vrais artistes contemporains ? Les équations mathématiques, avant de décrire le réel, sont comme les robes des grands couturiers : elles doivent tomber juste.

Le principe d’équivalence d’Einstein, qui date des années 1910, celles mêmes où fut conçue la notion de ready-made de Duchamp, ne serait-il pas le paradigme d’un art contemporain qui se revendique haut et fort comme conceptuel ? L’idée d’Einstein est que le temps peut s’étirer à l’infini. Ce constat s’opère soit à bord d’une fusée en accélération, soit à la surface d’un corps ultra massif. Pesanteur terrestre et accélération rapide sont en termes relativistes parfaitement équivalents. De cette équivalence, Einstein en a déduit la courbure de l’espace-temps. Bref, l’éternité réside dans l’extrême vitesse de la lumière comme dans l’extrême densité d’un corps aussi massif qu’un trou noir invisible. Visible et Invisible se conjuguent donc en une même éternité.

La science d’aujourd’hui, avant de traiter du réel, commence par faire œuvre de poésie. Les grands artistes de demain seront les scientifiques.

Thierry Laurent

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