Monographie
LE MAÎTRE ET LA MARGUERITE ET LE TRANSPORT
       ARTISTIQUE DE LA TULIPE
              (Autant en emporte le vent...)
par Gérard-Georges Lemaire
mis en ligne le 18/04/2012

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              Dès lors, la tulipe, sous ses différentes formes – les couloren, c’est-à-dire les tulipes monochromes (rouges, jaunes ou blanches), les rocen (deux couleurs, rouge ou rose sur fond blanc), et surtout les bizarden (rouges, brunes ou violettes sur fond jaune), qui sont en réalité des anomalies pigmentaires provoquées par un polyvirus, le virus de la mosaïque de la fleur – connut un engouement qui se traduisit par des transactions exorbitantes. Emanuel Sweerts qui fut l’un des premiers négociants en bulbes à la foire annuelle de Francfort, puis à celle d’Amsterdam, publia le Floregium en 1612, qui complétait considérablement le Jardin du Roy Très Chrestien Henry IV de Pierre Valet publié en 1608.De nombreux ouvrages savants sur la question se succédèrent à mesure que le marché florissait.
              Les bulbes de tulipes ont la particularité de ne donner des fleurs qu’au bout de sept ans au mieux et parfois de douze ans. On commença donc à faire des investissements à moyen terme qui font l’objet de diverses et périlleuses spéculations. Pour l’un d’entre eux, on était prêt à donner deux charretées de blé, quatre de seigle, quatre bœufs gras, deux fûts de vin, quatre fûts de bière, cent livres de fromages , un lit, un vase d’argent et des vêtements. En dépit des efforts accomplis par les autorités pour freiner ces prix extravagants (on tenta même de limiter sa valeur à cinquante florins, en vain), ils ne cessèrent de grimper. Un bulbe de semper augustus coûtait mille florins en 1623, deux mille en 1627 et cinq mille cinq cents en 1637 - le record fut, cette même année de six mille sept cents florins, soit la valeur de deux maisons ou vingt fois le salaire annuel d’un artisan spécialisé ! Ce windhandel – « commerce du vent »– qui avait Haarlem pour centre s’effondra en 1637 (l’année où la peste frappa la ville) et provoqua des troubles financiers graves dans les Provinces-Unies.
              Ce qu’il nous reste de cette vogue peu imaginable, ce sont d’admirables natures mortes où les tulipes sont exaltées, comme dans les tableaux de Balthasar van der Ast, D’Abraham Bosschært ou de Jan Daudozoon.
              La tulipe ne cessa pas pour autant de séduire au dix-huitième et au dix-neuvième siècle. Cette fleur baroque par excellence s’assagit et ne se paraît plus sous une forme marbrée ou avec des teintes peignées comme du papier de reliure. Mais Théophile Gautier, dans Emaux et camées, la chanta pour ses décors exubérants : «  Je porte des blasons peints sur mon vêtement,/Gueules fasciées d’argent, or avec pourpre en bande. » Et Alexandre Dumas rédigea en 1850 un roman intitulé la Tulipe noire qui racontait l’existence de Cornélius van Baerle, qui en pleine tourmente politique, s’occupait à produire une tulipe de couleur noire…

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