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Lettre de ma campagne
Quatre pas dans les nuages
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DEUX TÉMOIGNAGES D’EXCEPTION

Deux témoignages peu ordinaires achevèrent ce colloque. Celui du frère Samuel Järnegard Fogelvik (suédois), dominicain au couvent Saint Jacques, et celui du frère Dino Quartana (italien), résidant à Milan. Ils ont expliqué comment et pourquoi ils vivent en profondeur le lien entre les engagements de leur vie religieuse et leur passion pour l’art. Leurs propos et leurs réflexions très fouillées, d’une richesse complémentaire, furent empreints de compétence et de modestie. Tous deux, écoutés de façon soutenue et questionnés ensuite, ont ému, intéressé et convaincu. Le premier exposa et illustra l’importance et l’étendue du travail d’éveil et d’apprentissage des sens et des émotions pour savoir extérioriser la beauté avec laquelle on a cheminé dans la création artistique. Qu’il s’agisse de peindre ou de sculpter, au-delà de la beauté esthétique voulue, approchée et jusque touchée à partir de la beauté d’un modèle, sans abuser de sa confiance accordée, il souligna combien, au-delà de la beauté esthétique du modèle ou du thème de l’oeuvre en création, l’étincelle d’une compréhension globale est apportée par Dieu. Toute oeuvre créée rapproche de l’image du créateur et, sur cet itinéraire, on rencontre inévitablement la croix, c’est-à-dire la chair blessée. Le second témoignage prit appui sur les trois points de départ des réflexions du frère Dino Quartana en forme d’appel au Seigneur à propos de ses créations envisagées en sculpture. D’abord : ton amour me fait danser de joie, mais tu vois ma misère et ma détresse, ensuite : La création gémit dans les douleurs de l’enfantement, enfin: souviens-toi pour quel néant tu as créé l’homme… La création, pour ce frère dominicain, naît du choc vécu avec la réalité et de notre désir, accru par la prière, d’une délivrance de notre corps. La création artistique est un cheminement vers l’homme et ses questions fondamentales. En se les posant, on a quelque chance de vivre les réponses de Dieu. La relation de la passion pour l’art et de la vie religieuse, c’est que cette dernière permet de creuser la position de l’homme face au monde, mais dans l’espérance. Il y a là indéniablement une démarche de sublimation, travail constant dans la vie, en tout et partout, en l’occurrence par la vie religieuse et par la passion de l’art. La sublimation est ici le fait de vivre une pulsion créatrice non pas dans un passage à l’acte destructeur, mais dans des signes ouverts et de création. Notre témoin n’a pas nié que la chasteté, par rapport à la vie religieuse, reste un problème dans la création et ses emportements, des pulsions au toucher, le corps étant la présence tangible de l’infini et du mystère de l’être. S’en approcher, c’est être tenté. Donc toute prise de possession du corps par l’acte de création est une tentation vécue par le créateur comme créatrice de tensions à orienter vers l’affirmation de l’autre et non pour soi.

QUAND JEAN-EDERN DEVIENT IMMORTEL

L’irremplaçable Jean-Edern Hallier est revenu parmi nous le 12 janvier dernier pour fêter à Paris, entouré d’un bon et solide groupe de parents, d’amis et d’admirateurs fidèles, réunis par son frère Laurent, le dixième anniversaire de sa mort. Nous nous sommes retrouvés autour de lui avec émotion pour une mémorable messe de requiem célébrée en soirée à la chapelle de Jésus enfant, dans la mouvance de Sainte-Clotilde. On a pu écouter une très belle homélie du célébrant, le père Alain de La Morandais, dont la spiritualité authentique est pimentée par l’originalité et l’aisance du verbe. Qui se ressemble s’assemble. Après avoir exposé et expliqué avec mansuétude les écartèlements de pensée et donc de comportement de Jean-Edern et les avoir confrontés par reflet aux propos de Saint Paul dans sa seconde lettre aux Corinthiens, il a souligné combien la crucifixion que notre ami a vécue était celle à quoi le monde actuel exposait bon nombre d’entre nous et surtout beaucoup de créateurs et d’hommes célèbres ou puissants. Il rappela que, pour les croyants, Dieu ne supplante pas l’homme, mais en parachève l’action : il agit en passant par les forces mêmes de l’homme. Par son désir et même sa misère. Et de conclure en citant une célèbre page de L’évangile du fou, récit romancé que Jean-Edern consacra à la vie du Père Charles de Foucauld. C’est sans doute pourquoi Jean-Edern a pu encore écrire, prophétisant sur luimême jusqu’à la paralysie des yeux : « puissé-je connaître le même destin ; qu’on crache sur ma tombe et quand on n’aura plus assez de salive pour dire tout le mal qu’il fallait penser de moi, qu’on m’oublie ». Eh bien, non, Jean-Edern ! Nous n’avons pas envie de t’oublier. Et tu le savais, tu le savais bien, quand tu écrivais sur toi : « le temps verra mon retour au fourneau et à ma part de paradis : nourrir ceux qui ont faim de justice et vêtir ceux qui ont froid dans la grande indigence intellectuelle moderne ».

L’événement, défi aux immortels qui, de son vivant n’avaient pas voulu de lui, était bien dans la ligne de notre grand écrivain et a donc suscité diverses manifestations médiatiques. Non seulement l’oeuvre de Jean-Edern manifeste la belle endurance dont elle était assurée, mais encore la vie de son auteur continue-t-elle d’enflammer l’imagination des créateurs. Après quelques biographies en recherche de l’introuvable, à l’occasion de cet anniversaire, un excellent film documentaire, Le fou Hallier, réalisé par Frédéric Biamonti a été diffusé sur la chaîne TV France 5. Les Presses de la Renaissance ont de leur côté proposé un livre de Dominique Lacout et Christian Lançon, bien écrit et passionnant de bout en bout, préfacé en quelques pages avec talent par son frère Laurent, La Mise à mort de Jean-Edern Hallier. Ce livre est écrit comme si on disposait de preuves suffisantes pour affirmer comment et pourquoi il fut pourchassé par des pieds nickelés de basse police nourris des écoutes diligentées par le cabinet noir dont se délectait Mitterrand avec le cynisme d’un monarque. Ces turpitudes de hors-la-loi se sont étalées durant le long procès les concernant et il est fort possible que Jean- Edern, officiellement très menacé et parfois protégé, ait été assassiné. Mais on se demande parfois à les lire si les auteurs y croient vraiment et tout à fait. N’est pas Jean-Edern qui veut, mais pourquoi pas? Les faits et les preuves avancées par les auteurs font en effet réfléchir. Souvenonsnous de l’affaire Boulin et de son suicide officiel dont certains témoins, devenus gênants parce que bien informés, disposaient de témoignages et de preuves confirmant l’assassinat du ministre, mais menacés de mort eux-mêmes, ils ne trouvèrent finalement leur salut que dans la fuite, jusqu’en Amérique latine où ils résident encore! Quelques critiques ont également formulé leur appréciation, en général très élogieuse, d’un autre ouvrage inédit offrant un choix des multiples fax lancés tous azimuts aux grands de la terre, de 1992 à 1995, lorsqu’il devint quasiaveugle et fut contraint de dicter ses textes. Ces Fax d’outre-tombe de notre Jean-Edern égal à lui même sont publiés chez Michalon. Si enfin vous voulez retrouver toujours vivant Jean-Edern, nous disposons désormais d’un site officiel le concernant: Jean-edern.com, avec blog, échanges et association d’amis.

MINI-SCANDALE POLITICOMÉDIATIQUE NOURRI D’HYPOCRISIE GÉNÉRALISÉE

Dans leur pullulement au long cours, le dernier de ces scandales fut celui de Dudu suspendu. C’est la formule choisie pour l’annoncer par Ivan Levaï, le 17 février dernier, dans sa talentueuse revue de presse Kiosque tenue le samedi et le dimanche matin vers huit heures trente sur France Inter, précisant que Dudu était le sobriquet attribué par ses confrères et les gens avertis à l’illustre chroniqueur politique Alain Duhamel. Le malheureux a été illico suspendu par les médias auxquels il collabore à la suite de propos tenus en privé et révélés bien malgré lui, tripatouillés et colportés comme on met le feu à une traînée de poudre, de façon que ces propos soient considérés comme inacceptables par l’establishment politico-médiatique en place. Quant au public de ses lecteurs et auditeurs familiers, il savent depuis belle lurette ce qu’il pense, connaissent ses positions centristes et n’ont en rien été surpris par ces pseudo révélations. Quelques semaines plus tôt, Alain Duhamel était intervenu, dans le cadre d’une réunion privée à Sciences Po, au milieu d’une quinzaine d’étudiants. Ses propos informels précisant son affinité avec les positions de Bayrou pour qui il voterait furent enregistrés à son insu, grâce aux NTIC et autres mobiles filmeurs de notre époque qui perd la tête, et balancés à un moment plus tard jugé opportun par les auteurs sur Internet puis sur les ondes. Personne n’en sait officiellement davantage et, dès le départ, les journalistes qui en rendaient compte avec le ton et au rang accordé aux affaires d’État ont tenu des propos confus puis truffés de contradictions. La réaction rapide et musclée de Marielle de Sarnez au QG de François Bayrou a été exemplaire. Elle fut reprise par les gens honnêtes et jusque par François Hollande au PS. En effet, de quel droit un journaliste n’aurait-il pas le droit d’avoir et d’exprimer des opinions politiques ? C’est pour nous la meilleure garantie de savoir qu’il en surveillera d’autant plus son objectivité. A contrario, ceux qui, parce qu’ils dissimulent ou font profession, avec talent, de dissimuler leurs opinions en pratiquant une pseudo objectivité ne sont-ils pas plus dangereux ? Ils prêtent le flanc aux influences ou aux connivences dont le milieu est si friand, et sont donc une meilleure proie à employer pour manipuler l’opinion. On est professionnel ou on ne l’est pas, mais l’hypocrisie qui prospère plus que jamais chez tous nos tartuffes de la politique et des médias, jusque dans les élites, est la bête à abattre. En la matière, le comble a été atteint par la mise à l’écart, programmée pour la période chaude et finale de la campagne de l’élection présidentielle, de deux présentatrices de journaux télévisés jugées coupables (par qui ? des noms !) de relations intimes, horresco referens, avec deux ministres du gouvernement. À quand notre affaire Clinton et des robes de maîtresses adultes et consentantes offertes à la justice du peuple?

À L’ENSEIGNE DU LOUVRE ENSABLÉ ?

Fin janvier dernier, une querelle à juste titre qualifiée de bien française n’a pas manqué de naître et de rebondir, probablement pour longtemps encore, dans le Landerneau culturel de notre pays. Il s’agit de la tempête dans un verre d’eau - et sous quelques crânes culturellement corrects et bien pensants - résultant des projets de création de filiales ou de succursales du centre Pompidou à Shangaï, du musée Rodin à Bahia, et surtout d’un autre musée du Louvre dans les sables pétrolifères financièrement généreux d’Abou Dhabi. On a parlé de «marque» à propos du Louvre, comparé ainsi à celles des constructeurs automobiles et des créateurs de haute couture ou de sousvêtements… Et on a parlé de cet argent qui sent forcément mauvais comme aurait dit Duras, et qui crée une répulsion dans la cervelle des beaux esprits, à une époque où le veau d’or est un culte permanent et dans laquelle l’argent est plus que jamais le nerf de la guerre comme de la paix, même dans l’ordre (ou le désordre) artistique et culturel.

En réalité, de tels projets correspondent tout à fait à ce qui paraît quand même avoir été une de ces excellentes idées dont raffolait le chantre culturel et artistique de De Gaulle, André Malraux. Ce bâtisseur de maisons de la culture, destinées à faire oublier le hideux mot de province, et de musées ouvert aux foules partout où il le pouvait et le pourrait, en France et ailleurs, en aurait fait ses choux gras. Mais l’auteur du Musée imaginaire avait l’esprit aussi large qu’il voyait grand pour la culture en France et dans son rayonnement planétaire, tout comme son maître à gouverner dont il fut le maître à penser culturel. Tous deux partageaient alors l’idée, chez Malraux que la France, selon les mots du Général, ne serait jamais la France sans la grandeur, ici culturelle, et chez De Gaulle que la France est là depuis toujours et qu’elle a été créée pour donner partout rendezvous au monde. Rendez-vous autour de toute grande idée, comme pour faire connaître, en l’exposant partout, toute oeuvre d’art venue de France et apte à faire progresser la sensibilité et l’intelligence de l’humanité, au lieu de la laisser, comme aujourd’hui, s’entretuer par le truchement imbécile d’intégrismes en concurrence.

Au lieu d’organiser à l’échelle de la planète des vols charter et low cost à destination du Louvre, du musée Rodin et du Centre Pompidou à Beaubourg, ne vautil pas mieux décentraliser les expositions sur place, surtout si, en contrepartie, une juste rémunération en vaut la chandelle, au lieu de faire appel aux contribuables qui, à Paris, se feront un peu moins marcher sur les pieds. S’il y a ensablement, espérons que ce sera celui des idées étriquées qui, sur cette querelle aussi artificielle que périmée, se sont, elles, données rendez-vous. Dans les déserts de ces lointains pays de l’Orient des mille et une nuits et sur les routes de la soie conduisant à l’Asie impénétrable de notre enfance, les chiens aboient, mais la caravane passera.

Omerville – 20 février 2007

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Humbert Fusco-Vigné
mis en ligne le 30/07/2007
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