chroniques - art contemporain - photographie - photography

version impression
participez au Déb@t

Lettre de ma campagne
Illusions lyriques, illusions perdues
suite...
L’HOMME ET L’ACADÉMICIEN, À PROPOS DE MICHEL DEBRÉ ET DE FRANÇOIS FURET

Dans ses jugements, René Rémond était la rigueur même, étayée par la méthode et rendue aimable par son style inégalé ! Il parlait comme il écrivait, à la perfection. Il n’était ni simple ni facile et, au quotidien, s’appliquait à tenir et à entretenir avec ses interlocuteurs une forme de distance qui, à l’instar des protocoles dont c’est la raison d’être, le protégeait lui, mais aussi le secret de son autorité. Une personnalité riche et complexe, sans doute, à l’occasion ambiguë, que compensaient l’humour, l’ironie et une équanimité rentrée mais perceptible. Ses jugements, parfois sévères et directs, étaient toujours motivés et justifiés avec simplicité et précision. Son écoute, son regard plutôt malicieux et ses propos redonnaient confiance tout en remettant l’étudiant dans ce que le maître estimait être la juste voie. Il accepta d’être le directeur de mon mémoire de fin d’études consacré à Michel Debré et l’Administration de 1935 à 1962, tout en marquant une certaine surprise sur mon choix. Le sujet l’intéressait, mais il relevait en effet davantage du droit public, sur une période relativement brève, que d’une perspective historique et politique, malgré la présence de la seconde guerre mondiale dans ce tableau, d’une évolution des administrations de la France. Je crus pressentir, à travers un de ses acteurs majeurs, peut-être à tort, que, d’un côté, il appréciait l’homme, le résistant, l’administrateur, le conseiller d’État, juriste public et constitutionnel, créateur de l’ENA, mais aussi de la Fondation nationale des Sciences politiques, et inspirateur autant que le rédacteur essentiel de la toute fraîche Constitution de 1958 qui nous gouverne encore. Mais je le sentis d’un autre côté réservé sur le Michel Debré parlementaire et pamphlétaire outrancier sous la Quatrième république et qui, alors Premier ministre, était déchiré par la politique choisie par De Gaulle pour l’Algérie, tout en restant le serviteur sans conditions du Commandeur.

Trente ans après, fin 1999, je fus plus que rassuré par la vision de René Rémond sur Michel Debré, impressionné même, en lisant son discours de réception à l’Académie française auquel répondit Hélène Carrère d’Encausse évoquée plus haut. Il succédait au grand historien François Furet, décédé, à peine élu, un an plus tôt, sans que l’Académie ait pu formellement l’accueillir. Il succédait donc tout autant, protocolairement parlant, au prédécesseur de François Furet qui était Michel Debré. Ces circonstances lui commandèrent, mais surtout lui permirent, de rendre aux deux un hommage combiné. Il le fit, selon ses termes, en historien impartial mais non indifférent, en maîtrisant dans son discours une habileté à croiser et à rapprocher, sur plusieurs points déterminants, ces deux grands destins, d’esprit politiquement si opposés, et leurs contributions, différentes mais toutes deux exemplaires, au service du bien public, de notre nation et de son identité profonde. René Rémond souligna combien François Furet et Michel Debré étaient pareillement convaincus que c’est par la politique que les peuples assument leur destin au lieu de le subir. Il cita Furet selon qui La politique est la forme principale à travers laquelle les sociétés modernes vivent et pensent leurs transformations. Ce discours de René Rémond, émouvant de compétence et de talent, est accessible sur le site Internet de l’Académie française.

Furet, grand historien et militant communiste jusqu’en 1959, fut, dans son livre de 1965 La Révolution française (Fayard), un révolutionnaire de l’approche historique de la Révolution. En brisant là pas mal des illusions lyriques associées à cette période capitale de l’histoire de France, il la relativisa et il rééquilibra avec discernement les analyses antérieures sur la Révolution, notamment sa globalisation qui avait conduit à la sacraliser ou à l’exécrer. Il le fit en la redéfinissant notamment comme n’étant pas seulement une révolte populaire mais une révolution des élites ayant mal tourné en 1793, la terreur entravant l’accouchement d’une modernisation sociale menée par le haut à partir de 1789. René Rémond souligna aussi l’importance historique de l’autre grand ouvrage de Furet sur le communisme, paru en 1995 (Laffont/Calmann- Lévy), et dont le titre, Le passé d’une illusion, s’inspira par antiphrase de celui de L’avenir d’une illusion, ce livre si important écrit en 1927 par Freud sur la civilisation, la culture, la politique, le phénomène religieux et la foi chrétienne. René Rémond estima que, dans son livre, Furet confrontait par croisement les deux niveaux de son engagement communiste et de sa profonde connaissance de la révolution française. Il alla jusqu’à le rapprocher du livre de référence La crise de la conscience européenne écrit par Paul Hazard en 1935. Cet ouvrage si actuel dans son esprit s’attachait en effet à décrire et à expliquer la révolution des esprits entre la Renaissance dont cette crise procède et la révolution qu’elle prépare. C’est probablement en effet une crise de conscience comparable qui est en train de bouleverser le monde depuis la seconde guerre mondiale.

De Michel Debré, René Rémond rappela la richesse des composantes politiques et culturelles de la vie de ce grand réformateur qui épaula le général De Gaulle dans la réalisation de leur voeu partagé que la France ne cesse plus jamais d’épouser son temps. Il souligna combien Michel Debré était un de ces politiques qui inscrivent leur action, même la plus journalière, dans une perspective à long terme. L’ensemble de son discours fut un hommage inspiré par un respect et une réelle admiration envers la vie, les choix et l’oeuvre de ces deux hommes, si éloignés et si proches à la fois, comme il l’a si bien démontré à cette occasion.

Omerville – 15 mai 2007

ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE ET POLITIQUE NEW LOOK

La France se réveille d’une fiesta électorale présidentielle malaisée, favorisée par une sorte de catharsis populaire, sous l’effet de médias à leur apogée dans cette folle société du spectacle dénoncée avec talent par Guy Debord… en 1968 ! Le choc plus ou moins attendu ou espéré de ces élections confirme que la politique a désormais amorcé en France un tournant. Si l’idée conjointe du général de Gaulle et de Michel Debré de faire du président de la République un monarque en le faisant élire au suffrage universel fut une trouvaille historique, l’élection qui vient de se dérouler confirme que cette clef de voûte est désormais difficile à retirer de notre système constitutionnel. Envisager une Sixième République était une absurdité. Il suffit de réformer intelligemment, en fonction du contexte et de l’état de la nation, de l’Europe et du monde, tel ou tel point de la Constitution de la Cinquième ! Un travail qui correspond à la vocation même de la politique. Bref, nous devons nous caler sur les anciens mais aussi sur les nouveaux étalonnages de la politique que révèlent cette élection, qu’il s’agisse de concevoir la politique et la pratiquer, d’en exposer les composantes et en faire la communication, que ce soit pour gagner dans les urnes ou pour gouverner. Il peut sortir de tout ce que nous venons de subir le meilleur mais aussi le pire. Dans le premier cas, la politique de la France sera à la mesure du monde actuel, mais originale et renouant avec nos meilleures traditions de leadership, dans le second cas elle se contenterait de nous offrir une caricature croissante de ce que nous propose le monde actuel, son omniprésente médiatisation, ses dialogues de sourds et l’absence de solutions aux vrais problèmes de notre pays et de la planète.

UN CARNAVAL D’ILLUSIONNISTES PRESSÉS

Une évolution que beaucoup redoutaient depuis quelques années, mes lecteurs le savent, vient en effet de dépasser mes prévisions. Il s’agit du carnaval de Bas- Empire qui a caractérisé et perverti la campagne présidentielle, qu’il s’agisse des personnes, de leurs propos et de leurs actions de toute nature, l’ensemble porté sans relâche par tous les médias, Internet inclus, à travers toutes sortes de manifestations, d’entretiens, d’émissions redondantes et autres divertissements populaires ou à audiences limitées mais retransmises généreusement, parfois clandestinement via les téléphones portables et internet. Les journalistes haletants en quête de scoop me rappelaient ces montreurs d’ours des foires d’autrefois qu’on faisait danser, pour réjouir les foules, en chauffant, discrètement mais suffisamment, la plaque de métal sur laquelle, anneau dans le nez les reliant par une corde à leur maître, les plantigrades avaient les pattes posées. Jean-Claude Guillebaud a globalement et mieux que d’autres épinglé la plupart de ces dérives dans ses chroniques de Télé Obs, notamment dans celle du N°2217 du 3 au 9 mai, soulignant combien la campagne présidentielle, comme l’a noté le philosophe Bernard Stiegler, aura obéi à l’étrange et très moderne principe d’hystérie. René Rémond et Marcel Gauchet s’était déjà étendus sur ce thème dans le numéro de la Revue LE DÉBAT (Gallimard) de l’automne 2006, le premier soulignant que la politique exige du temps mais qu’on ne lui en laisse pas, et le second observant que les médias ne se prouvent leur propre pouvoir qu’en détruisant le pouvoir. Guillebaud a écrit que tout se passe comme si, dorénavant, le court terme, l’immédiateté, l’urgence, la saute d’humeur, le tout ou rien, l’instabilité récurrente organisaient nos vies. Notant que Le moral de nos sociétés tangue d’un bord à l’autre comme un bateau démâté, Il concluait combien ce triomphe de l’immédiateté est incompatible avec ce minimum de cohérence, de suivi, de sérénité qu’exige la vie humaine en général, et la vie démocratique en particulier. Une fois encore, on doit pour beaucoup de telles dérives à un système médiatique lancé dans une fuite en avant sans issue. Cet épisode aura eu le mérite de remettre à l’heure, des pendules qui afficheront désormais l’heure d’un temps qui s’affole beaucoup trop en surface et plus assez en profondeur, médias et société du spectacle obligent. J’en fais le constat sans surprise mais avec regret. La politique en France a donc franchi une étape de plus vers un modèle qui n’est ni américain (comment faire pire ?), ni même européen (comment faire mieux ou moins mal ?) mais en tout cas français, et c’est de cela que peut sortir un modèle original et distinctif de la politique, telle que les Français en rêvent, électeurs et dirigeants, mais aussi telle que la politique doit être pour rester noble. Pourquoi pas ? Deux choses m’ont paru dominer chez les deux candidats durant cette campagne. La première a été la détermination battante et structurée (à l’occasion inquiétante) du candidat vainqueur et de son projet pour la France, et la seconde les illusions lyriques exprimées en forme de litanies théâtrales, mais vides de substance, infondées, arrogantes (à l’occasion inquiétantes) de la candidate perdante et son absence de projet, socialiste ou pas, ce n’était visiblement pas son problème. Leur avenir est devant eux deux. Les Français trancheront au fil des étapes.

< retour page 2 / 2  

Humbert Fusco-Vigné
mis en ligne le 30/07/2007
Droits de reproduction et de diffusion réservés; © visuelimage.com - bee.come créations