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Chroniques des lettres
Chronique de l’An VII (3)
fin
Bains Douches,
collectif, photographies de Jean Distel,
Arcadia Editions
Belle idée que celle des Editions Arcadia de nous convier à faire le tour des bains douches de Paris ! De nombreux auteurs, d’âges et de genres assez différents, nous rapportent leurs expériences de ces lieux qui peuvent aller de la plus stricte hygiène à la pure débauche. Comme toujours dans un ouvrage collectif, des choses plaisent et d’autres bien moins. Par exemple, je ne suis soulevé d’enthousiasme par le texte de Woômanh (loin s’en faut) alors que je suis assez séduit par celui de Régine Detambel, « La Petite sirène ». Quoi qu’il en soit chacun y trouvera son bonheur et son ravissement sensuel ou esthétique – en tout cas un plaisir littéraire à voyager dans un décor qu’on croyait familier et qui se pare de toutes sortes de fantasmagories.
Terriens,
Richard Kalvar, Flammarion


Le photographe Richard Kalvar s’est mis en tête de faire une sorte de voyage dans le cocasse et le grotesque de la vie moderne. Le résultat de ses pérégrinations ? Une collection de portraits qui reposent toutes sur une anecdote humoristique assez peu convaincante. On peut se demander à quoi pensent les responsables de la Maison européenne de la photographie en choisissant ce travail qui n’est ni révélateur de notre temps ni proprement fascinant sur le plan esthétique. A force de tout prendre à contre-pied, on en arrive à produire des travaux assez médiocres et auxquels manque l’essentiel : le sens de la création.
Style et design en Asie,
Michael Freeman, Flammarion


Bali, Bangkok, Pékin et Tokyo : voilà ce qui constitue le dénominateur commun de ces intérieurs privés ou publics qui est d’allier l’esprit et les traditions des cultures anciennes et un traitement moderne bien tempéré, en général réticent devant la radicalité de l’art décoratif de notre époque. Une forte touche nationale caractérise toutes ces créations. Cette conjonction entre l’ancien et le nouveau est pensée de manière organique et donc pas comme un collage plus ou moins artificiel et forcé. Les exemples présentés par Michael Freeman donnent l’espoir que cesse l’iconoclastie qui s’est fait jour en Chine avec la Révolution culturelle, qui a laissé des traces plus profondes qu’on ne croit dans le monde où communisme et libéralisme se sont fondus en une seule et même entité. Bien sûr, on rencontre de-ci et de-là quelques soupçons de kitsch et parfois des intérieurs d’un minimalisme absolu. Mais, dans l’ensemble, ce voyage en Orient peut faire croire en une rédemption par la grâce d’une jeune divinité du goût.
Axel Vervoodt, intérieurs intemporels,
Armelle Baron, photographies de Christian Sarramon, Flammarion


Le célèbre antiquaire Axel Vervoordt nous convie à visiter des demeures aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis. Qu’ont-elles en commun ? En réalité peu de choses, en apparence, parce qu’on se retrouve devant de beaux bâtiments allant du château médiéval à la gentilhommière, du chalet à la villa au bord de mer. Et pourtant, un fil subtil relie tous ces intérieurs : un penchant pour l’esprit « classique » (je ne parle pas ici de néoclassicisme, mais plutôt d’un certain bon goût), un relatif dépouillement et des contrastes assez mesurés. Même le collectionneur de tableaux de Basquiat et d’objets « premiers » (on disait plus justement « primitifs », qu’on le veuille ou non) marie ces oeuvres avec un art certain au-delà de leurs connivences iconographiques. Voilà en tout cas une manière très intelligente de faire vivre des espaces intimes, sans excès, sans effets outranciers, avec délicatesse et subtilité. Il n’y a chez Axel Vervoodt ni inclination pour le kitsch ni volonté de surenchère. C’est presque un miracle !
BOURLINGUER II
La Destruction des Juifs d’Europe,
Tomes I, II et III, Tr. M.-F. de Paloméra,
A. Charpentier et P.-E. Dauzat, « Folio histoire », Gallimard

Arrêt sur le Ponte Vecchio,
Boris Pahor, préface de Dominique
Dussidor, tr. A. Lück-Gaye & C. Vincenot, 10/18 n° 3977

Derrière ces murs,
Janina Bauman, tr. E. de Morati,
Editions Jacqueline Chambon

Trois wagons à bestiaux,
Zila Rennert, préface et notes
Annette et Jean-Claude Gorouben.
Il est des voyages sans retour. Mais quand il est question d’un peuple entier qui a voyagé à travers toute l’Europe jusqu’au bout de la mort, alors l’affaire ne peut pas être si aisément classée. La réédition de l’essai monumental de Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, vient à point nommé rappeler que le génocide entrepris par l’Allemagne nazie et ses alliés a été avant tout une organisation militaire, policière, logistique, technique, économique et industrielle d’une complexité inouïe qui a nécessité la collaboration de presque toutes les forces armées et d’une partie non négligeable de la société civile. Hilberg étudie dans cet ouvrage le moindre rouage de cette mécanique qui dépasse l’entendement et aussi son histoire. De la définition des droits des Juifs d’Allemagne puis des Juifs des zones annexées et occupées et de leur expropriation de plus en plus radicale à la concentration dans des ghettos pour aboutir à la fin de 1941 au projet d’extermination totale, le processus a suivi des étapes allant crescendo, comme s’il était mû par une logique interne. La « solution finale » n’était pas inscrite à l’origine de la pensée politique nazie. Elle s’est développée dans le plus grand secret et s’est appliquée de manière différente en Union soviétique, où l’on organisa des tueries sur place dès l’entrée en guerre, et ensuite, dans le reste de l’Europe, par la création de camps d’extermination. La pure description de ce mécanisme suffit à démontrer que cette opération à l’échelle d’un continent (et audelà avec l’URSS) a été rapidement l’un des enjeux majeurs de cette guerre.

Les témoignages des hommes et des femmes qui ont été les victimes de ce grand dessein nous ont été connus assez tard ou font aujourd’hui l’objet de rééditions. On connaît le remarquable ouvrage intitulé Pèlerins de l’ombre de l’écrivain triestin de langue slovène, Boris Pahor. Son recueil de nouvelles baptisé Arrêt sur le Ponte Vecchio fait partie de cette dernière catégorie. Deux de ces nouvelles, « La Coupole de cendres » et « L’adresse sur la planche », évoquent ce que le camp alsacien de Natzweiler avait pu avoir d’indicible : l’écrivain a voulu rendre tangible cet indicible, lui restituant sa dimension physique, charnelle, olfactive, tactile et aussi sordide et parfois d’une poésie à donner froid dans le dos (ces prisonniers triestins qui se disent que, s’ils étaient transférés à Dachau, ils seraient plus près de chez eux…). Pahor a voulu cerner ce qui d’humain a pu encore s’imposer dans un lieu destiné à tuer l’humain avant de tuer l’homme.

Janina Bauman est l’une des rares survivantes du ghetto de Varsovie. Avec sa mère et sa soeur, elle obtient des papiers pour pouvoir s’installer en zone aryenne au moment où éclate l’insurrection dudit ghetto préludant à sa destruction totale. Elle raconte son enfance dans un milieu juif bourgeois et assimilé dans la Varsovie de l’entre-deux-guerres, l’antisémitisme de plus en plus étouffant et l’invasion par l’Allemagne. Ensuite vient le récit de la concentration de 500.000 Juifs dans deux quartiers de la ville, les raids et la lutte quotidienne pour ne pas finir dans les longues cohortes de malheureux embarqués dans des wagons à bestiaux. Ecrits à partir de carnets que la jeune fille a tenu pendant cette période, ces souvenirs reconstituent cette tragédie à l’échelle d’une famille et surtout selon la sensibilité de l’auteur qui, au milieu de cet enfer, a tenté de poursuivre ses études, d’aimer et de préserver sa dignité.

Ce qui est relaté dans Trois wagons à bestiaux de Zila Rennert est l’histoire d’une autre famille juive aisée. Son histoire commence à Vienne et se poursuit à Wilno et puis à Saint-Pétersbourg, où la guerre puis la Révolution d’octobre la rend très tôt consciente de la fragilité de leur existence. Ses parents parviennent à l’emmener en Pologne. Une nouvelle guerre les rattrape et ils se retrouvent en territoire occupé par les Soviétiques. La famille échappe de peu à la déportation en Sibérie et c’est à Lwow qu’ils voient arriver les forces allemandes. Tout de suite les rafles commencent. L’héroïne de cette histoire et son mari se cachent à Varsovie. Ils mènent une vie clandestine, de cache en cache, aidés par des résistants, tandis que le ghetto se vidait pour n’être plus enfin qu’un champ de ruines. L’insurrection de la ville la vida de ses habitants et Zila et ses proches ont pris la route de l’exil. La Gestapo les arrêta et ils se retrouvèrent dans un wagon en partance pour Auschwitz. La chance voulu que ce train ne parvint jamais à destination…

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Gérard-Georges Lemaire
mis en ligne le 30/07/2007
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