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Chroniques des lettres
Chronique de l’an IX (3)
Chronique de l'an IX
par Gérard-Georges Lemaire

Les maîtres d’autrefois
Pèlerinage au Louvre, François Cheng,
Musée du Louvre
Editions/Flammarion
La mode est aux livres d’art présentant un choix de chefs-d’oeuvre commentés par un spécialiste (Nuridsany l’avait fait pour Flammarion, Jean Luc Chalumeau, pour Le Chêne). Cette fois, ce n’est pas un historien de l’art, mais un grand connaisseur de l’Orient et de ses formes artistiques, François Cheng, qui visite les salles du musée du Louvre. Cette suite de “lectures” est volontairement détachée de toute référence érudite. L’auteur se contente de traduire ce que lui inspire chaque tableau, du Saint Jérôme pénitent de Lorenzo Lotto à l’Autoportrait au chevalet de Rembrandt, en passant par les toiles de Fouquet, du Caravage, de Véronèse ou de Corot. Les parallèles entre la culture chinoise et la culture européenne des temps passés ne semblent pas toujours fructueux et éclairants. Et cette façon d’interpréter la peinture “en aveugle” n’est pas satisfaisante et Cheng succombe à la tentation de placer l’oeuvre dans son contexte et de faire référence à de grands connaisseurs, comme Berenson. Une grande sensibilité s’exprime dans ces pages et il faut lui reconnaître le talent de transmettre sa passion et ses intuitions. Mais cela me paraît un exercice de style un peu artificiel et, en agissant de la sorte, l’auteur s’est condamné à demeurer souvent à la surface des choses.
Le Zoo d’Orsay, Emmanuelle Héran, Gallimard

Peut-on visiter un musée en ne choisissant que de voir les espèces animales qui y sont représentées dans les peintures et les sculptures. Cela pourrait paraître absurde. Et pourtant c’est bien à ce genre de pérégrination à laquelle nous invite Emmanuelle Héran. La Piscine de Roubaix a été récemment transformée en une espèce de ménagerie où l’on peut rencontrer des oeuvres appartenant aux collections du musée d’Orsay. On y découvre au moins quelques perles rares, comme le Goret de François Pompon, les Deux girafes de Rembrandt Bugatti, les chevaux d’Edgar Degas et ceux de Meissonier, les chats de Bonnard et de Steinlein, celui de Manet aussi, le chien de Gauguin, les paons d’Eugène Grasset, les boeufs de Dubufe, de Boudin, de Charles Jacque, les lions de Rosa Bonheur… Cette plongée dans le règne animal par le biais de l’art du XIXe siècle peut paraître un artifice et une pure vue de l’esprir. Mais c’est aussi un moyen de réfléchit sur l’idée du réalisme et celle de l’abstraction, de la valeur attribuée à la vie paysanne et les mythes liés à la vie sauvage.En somme, il y a là une réflexion sur la beauté animale perçue par les artistes après que Buffon ait défini par écrits la beauté propre à chaque animal de la Création.
Antonio Basoli,
Accademia Clementina/Accademia di Belle Arti di Bologna


Antonio Basoli (1774-1848) fait partie de ces artistes qui ne sont connus que pour une chose. En ce qui me concerne, je ne connaissais de lui que son alphabet architectonique qu’on voit reproduit dans de nombreux ouvrages concernant la typographie. En réalité, l’arc de ses intérêts a été extrêmement vaste, comme l’a montré la superbe exposition présentée à Bologne. On découvre alors qu’il fut non seulement peintre, mais aussi scénographe, décorateur de théâtre, auteur de projets de plafonds et un homme qui a beaucoup travaillé en vue d’un moyen de divulgation populaire que sont les panoramas, les dioramas, les néoramas, etc. Bologne a rendu un bel hommage à ce créateur polymorphe, protéiforme, curieux de tout ce que le monde de son temps a pu découvrir. De cet événement, il reste un catalogue particulièrement riche qui ne néglige aucune facette de sa personnalité.
Œuvres,
Claude Lévi-Strauss,
édition établie par Vincent Debaene, F. Keck, M. Mauzé, Martin Rueff, préface de V. Debaene,
«Bibliothèque de la Pléiade », NRF, Gallimard






















Comme beaucoup des jeunes gens de mon époque (ceux qui eurent vingt ans en 1968), la lecture de Tristes Tropiques (un livre qui avait pourtant paru en 1955) avait été un enchantement et la découverte d’une autre manière d’envisager, le voyage, l’exploration, la connaissance des civilisations indigènes, mais qui n’en était pas moins un livre de nature littéraire. La pensée sauvage eut une résonance presque aussi forte. Et sans jamais être franchement convaincu par le structuralisme ; Lévi-Strauss resta à mes yeux un écrivain de premier plan. Mais qu’il eût écrit sur l’art, la musique et la littérature m’avait échappé. Le volume qui lui rend hommage dans la prestigieuse collection « La Bibliothèque de la Pléiade » contient un livre qui m’avait totalement échappé, Lire écouter lire. Il y fait des considérations passionnantes sur la couleur et sur les sons. Mais j’ai été séduit par son étude de Nicolas Poussin. Il part d’une observation concernant les personnages de la Grande Jatte de Seurat : les personnages ne sont pas de même taille alors qu’ils se trouvent sur le même plan./ Ce procédé était déjà présent chez les grands créateurs japonais, à commencer par Hokusai. Poussin a eu une méthode de travail très singulière : il utilisait des figurines de cire qu’il plaçait dans une boîte percée de trous pour laisser passer de la lumière et déterminer la position des ombres. L’auteur montre comment il transpose le tableau du Guerchin qui avait précédé sa première version d’Et in Arcadia ego. Lévi-Strauss est fasciné par ce dispositif qui fait que ses figures semblent plantées les unes à côté des autres. Et il étudie comment par de fines métamorphoses, Poussin a fini par changer la peinture de son temps.
Vlaminck, un esprit fauve, Skira
D’un lit dans l’autre,
Le Ventre ouvert, Histoires et poèmes de mon époque,
Tournant dangereux,
Portrait avant décès,
Maurice de Vlaminck,
SVO Art Editions


De quoi Maurice de Vlaminck a-t-il été la victime ? D’avoir été le fondateur du fauvisme avec Derain ? De sa dispute avec ce dernier qui fut son plus proche ami ?

De son mauvais caractère ? De son obstination tenace à creuser seul son sillon pictural ? Son franc parler ? Ou encore un voyage à Berlin en 1942 avec Derain, Van Dongen, De La Fresnaye, Belmondo et quelques autres ? C’est certain, le voyage en Allemagne ne lui a pas fait du bien et il n’a pas été réhabilité comme son ancien camarade. Ce qui est sûr, même s’il a conservé des amateurs fidèles et des collectionneurs que rien n’aurait démontés, il n’a plus eu de reconnaissance officielle et il est tombé dans des limbes bien grises après sa disparition. La belle exposition du musée du Luxembourg (je dis belle parce que ce n’est pas toujours le cas) lui rend un bel hommage – dommage qu’elle le fasse « mourir » en 1915 ! Vlaminck est bien embarrassant, même rétrospectivement ! Fort heureusement, cinq de ses livres sont réédités. L’un est un roman qu’il avait écrit pendant ses jeunes années (il faisait son service militaire !) avec Fernand Sernada et illustré par Derain. Ce premier roman paraît en 1902 et est salué par Rachilde. Mais Vlaminck préfère se lancer dans la bataille artistique. Ce qui ne va pas l’empêcher d’avoir une production littéraire importante des récits et des poésies comme ses Histoires et poèmes de mon époque (1927). Mais ce sont ses ouvrages de souvenirs qui vont être les plus appréciés. Il évoque beaucoup les riches heures de Montmartre et de Montparnasse à l’époque des fauves et des cubistes (il a des propos mordants sur le petit monde des avant-gardes des cafés du carrefour Vavin !). Et il s’en prend à la société moderne et à tout ce qui est moderne, prolétariat et socialisme compris. Il ne s’est donc pas fait que des amis…
Train de vie,
Eugène Dabit,
« Domaine public », Buchet/Chastel


On réédite Eugène Dabit. Pourquoi pas ? C’est une idée pas plus mauvaise qu’une autre. Son Hôtel du Nord a laissé une trace dans l’histoire de la littérature et plus encore du cinéma. Et c’était un romancier qui avait du style et un esprit bien trempé. Dans l’ouvrage, qui vient de paraître qui est un recueil de nouvelles, a été ajouté un essai sur Vélasquez. On sait que Dabit avait eu d’abord l’envie de se consacrer à la peinture. Ce texte fait partie d’un ensemble plus vaste : Les Maîtres de la peinture espagnole. Dommage que l’ensemble n’ait pas été republié. En tout cas, on n’y voit pas un peintre face à l’Histoire ou un peintre qui élabore des sujets complexes (Les Ménines ne le fascine pas comme elles fascineront plus tard Michel Foucault) : il le voit comme un coloriste qui change de période quand il change d’harmonies de base ou qui sait donner une valeur locale à la moindre tache. C’est donc là une lecture effectuée par un aspirant peintre encore jeune et qui n’est pas allé au bout de ses rêves. Mais ce n’en reste pas moins une clef de lecture qui ne manque pas de valeur.

La modernité est-elle toujours moderne ?
L’Art à ciel ouvert,
la création contemporaine
/Commande publique en France, 1983- 2007,
Flammarion
sous la direction de Caroline Cros et de Laurent Le Bon, préface d’Olivier Kaeppelin
Il y a des réalisations mémorables et beaucoup d’autres qui ne le sont pas quand on songe à ce que l’Etat a pu réaliser ou aider à réaliser en France depuis quelques décennies. Parmi les commandes publiques qui ont laissé une trace, je pense à l’Hommage à Albert Camus de Bernard Pagès (Nîmes, 1992), La Confidence de Daniel Dezeuze au jardin des Tuileries (2000), le signe de Cy Twombly exécuté à Paris en 1989 ou les Huit carrés bleus de Felice Varini dans l’orangerie du château de Versailles (2006). D’autres pourraient être oubliées, comme l’Hommage à Pablo Picasso de César (Paris, 1985), dont personne ne voulait et qui a fini, hélas, par échouer place de la Croix-Rouge à Paris, le Feu de Rebeyrolle (Chooz, 1998), Le Chat des rives de l’art (Schillingen, 2001), Ascension, de Kirili (Arles, 2002), M. A. de Natacha Lesueur (Versailles, 2006), Le Cri, l’écrit de Fabrice Hybert (Paris, 2007), Transport amoureux de Sophie Calle (tramway de Toulouse, 2007) : continuer cette liste serait bien trop fastidieux. Comme toujours, il y a plus d’échecs que de réussites. Il faut seulement se demander si la situation est meilleure ou pire que par le passé. C’est difficile à dire. Le déplacement radical de la notion de monumentalité, sa quasi-disparition ont changé profondément la relation à la ville, mais aussi à la fonction symbolique de l’oeuvre. Un certain nombre de ces réalisations ont un caractère éphémère (matériaux périssables, jeux de lumière, ou création d’un seul jour) et ne sont plus souvent que des interventions fugaces pour modifier le regard sur une architecture ou un paysage urbain.Le débat qu’ont provoqué les deux Plateaux de Daniel Buren installés au sein du Palais Royal n’a jamais cessé : l’absence totale de connotation traditionnelle et donc de représentation sans assumer la valeur d’une composition abstraite a posé et pose encore un problème. Désormais l’intervention de l’artiste est un acte qui perturbe le sens sans nécessairement en ajouter un autre…
La Bourgogne, la famille et l’eau tiède,
Gérard Garouste,
Galerie Daniel Templon


La dernière exposition de Gérard Garouste chez Daniel Templon a été pour moi un grand choc : rarement en effet des tableaux réunis dans une pièce ne m’ont plongé dans une telle angoisse. Je connais Garouste depuis longtemps et je peux me vanter de très bien connaître son travail. Il est vrai aussi que ses précédentes expositions allaient déjà dans ce sens, mais pas avec une telle violence. En quoi consiste-telle au juste ? En une violence contre soi-même, à la mise en scène hallucinée d’une autobiographie qui ne dissimule rien. Rien d’impudique dans ces oeuvres, mais la vérité est toujours blessante. On y voit l’artiste aux prises avec ses démons et se représentant dans des scènes de cauchemar épouvantables. Le mémorialiste passe devant le peintre, ou plutôt se sert du peintre pour parvenir à ses fins. Toutes ces scènes irréelles parlent d’une réalité parfois effrayante et de souvenirs insupportables. Garouste a commenté chacune de ses compositions dans le catalogue pour expliquer ces autoportraits tous plus dérisoires les uns que les autres (le sourcier, l’homme à la gigue et à l’hysope, la fable de l’étudiant et de l’autre lui-même, sans parler du triptyque formant un portrait de famille). Sans doute sacrifie-t-il une part de son immense talent au nom de la vérité, mais il laisse peut-être quelque chose de plus précieux que ses grandes peintures virtuoses.
Mouvement Madi international,
Maison de l’Amérique latine.
Teorie del Madi, Matteo Gabiati, Scoglio di Quaro, Milan


Le groupe Madi est né en 1946 avec la publication du Manifesto Madi rédigé à Buenos Aires par l’artiste uruguayen Camilo Arden Quin. S’il est contemporain du Manifesto blanco de Lucio Fontana qui marque la naissance du groupe spatialiste, s’il plaide en faveur de thèmes liés à l’abstraction, il constitue d’abord une critique du réalisme socialiste en même temps que l’affirmation du matérialisme pur et dur. Les oeuvres produites par le petit groupe au bord du Rio de la Plata n’ont heureusement pas la sécheresse de l’énoncé d’Arden Quin dans sa déclaration. Il en est sorti une autre conception de l’art abstrait, plus dynamique et plus libre. Dans son extrême générosité, Arden Quin, bien des décennies plus tard, a laissé se créer un nouveau groupe Madi, élargi à des artistes du monde entier. Une seule condition est requise : une conception abstraite géométrique mais déterminée par une vision non statique de l’espace. L’exposition de la Maison de l’Amérique latine et celle, plus petite, mais néanmoins significative à la galerie Scoglio di Quarto à Milan ont permis de faire un véritable bilan de la longue histoire de Madi.
Dans le coeur de Picasso,
Geneviève Laporte,
Editions du Rocher


Pablo Picasso n’a pas eu de chance avec les femmes - tout du moins pour sa postérité. Elles se sont presque toutes emparées de lui, de son succès, de sa personnalité extravagante et elles ont souvent écrit des livres. Geneviève Laporte n’en est pas à son coup d’essai. Dans ce livre, elle égrène des souvenirs et se place au centre d’une histoire où, au fond, elle s’est toujours trouvée à la périphérie. On peut glaner de-ci de –là quelques indications sur son mode de vie après la Libération, sur ses relations avec Cocteau, Eluard et Aragon, mais, on ne sait pas même qu’elle a été la vraie nature de sa relation avec cette femme. Cette dernière a au moins un grand mérite : ne pas être vindicative. Ce qu’elle avait en commun avec le peintre ? Si on y pense bien, on pourrait répondre : l’amour des chiens.
Ferdinando Scianna
préface de Maurice Nadeau
Photo Poche, Actes Sud


Ferdinando Scianna est un des grands photographes de l’aprèsguerre. Il d’est bien entendu rangé dans le camp du nouveau réalisme, mais avec toutes les libertés que ce courant a pu consentir. Voyageurs aguerri, il a commencé par photographier sa Sicile natale (il est palermitain de naissance). Son goût pour les contrastes divertissants, surprenants ou mortifères du réel ne l’ont pas empêché de faire des compositions recherchées et aussi d’être l’ami des écrivain : Barthes, Montalban, Sciascia sont quelques uns de ses modèles de prédilection. Scianna est l’un de ceux qui représente le mieux ce moment de la culture italienne, avec Rossellini et De Sica pour le cinéma ou Vittorini et Brancati pour la littérature.
En suivant la Narmada précédé de Souvenirs d’Inde,
Claude Lagoutte,
préface de R. Couster, Diabase
Claude Lagoutte, voyages et autres traces,
Le Festin/Musée des beaux-arts de Bordeaux
Carnet du Tibet Claude Lagoutte
préface de Charles Juillet
Diabase


Claude Lagoutte est un artiste un peu déroutant. Il est abstrait par nature et, pourrait-on dire par défaut : en effet, il ne s’intéresse pas aux spéculations parfois arides sur les relations entre la surface, la ligne, la couleur comme ont pu l’imaginer les suprématistes, les constructivistes, les néo-plasticiens et les membres de Cercle et Carré. Son ambition esthétique est d’une bien autre nature. Il puise dans le spectacle du monde des inspirations, peut-être des thèmes géométriques ou chromatiques. Mais il ne tient pas à représenter ce qu’il a pu découvrir et aimer. Ses tableaux paraissent des travaux de couture ou encore de tissage. Il y a quelque chose dans sa démarche qui l’apparente à François Rouan. Mais il s’en distingue à la fois par une quête spirituelle revendiquée et par ses références à des pays ou des lieux précis. Lagoutte a été un grand voyageur, avec une prédilection pour l’Inde. C’est ce qu’il manifeste dans un petit livre d’une grande originalité de ton, En suivant la Narmada, qui relate, entre autrechose, le voyage le long d’un grand fleuve. Il y explique d’ailleurs très clairement sa démarche : il voit ses oeuvres comme des écritures-paysages, comme des récits d’émotions et de traces laissés par tout ce dont il a voulu conserver la mémoire. Ces écritures ont été achevés en 1989, un an avant sa disparition. Ce qui est frappant, c’est qu’il n’y a pas de méthode à proprement parler, mais l’affirmation d’un langage exclusivement plastique dans ses compositions qui font écho aux textes qu’il a pu rédiger. En somme, Lagoutte est un écrivain et un peintre qu’il convient de découvrir en confrontant ses deux sphères d’expression.
Les Images du monde, Pierre Zarcate,
Villa Tamaris


Pierre Zarcate a longtemps travaillé dans l’aire abstraite. Aujourd’hui il présente à la Villa Tamaris une importante série d‘oeuvres à partir de documents photographiques. Leur assemblage constitue des foules compactes et angoissantes polychromes ou en noir et blanc. L’intérêt de ces travaux est d’élargir considérablement le champ des références. Parfois, on a le sentiment qu’il exhume les photomontages de Rodtchenko, d’autres fois, qu’il procède à des accumulations dérivées d’Arman. Mis à part le caractère un peu répétirif de la formule, Zarcate a produit des compositions fortes et prenantes.

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mis en ligne le 06/09/2008
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