chroniques - art contemporain - photographie - photography

version impression
participez au Déb@t

Manifeste
LETTRE AU PHILISTIN
par l’Artiste Moderne Accompli
Manifeste : LETTRE AU PHILISTIN par l’Artiste Moderne Accompli

La question essentielle, celle que posait Marcel Duchamp avec « Fountain » était : si l’Artiste peut transformer un objet utilitaire en oeuvre d’art, d’où lui vient ce pouvoir ontologique ?
Le Philistin, s’emparant au passage des pertinentes réflexions du philosophe institutionnaliste, passe à coté de la question (c’est bien son style) et répond sur le statut de l’artiste. « Etudier le statut d’artiste n’a pas pour but d’éclairer les oeuvres d’art, mais d’expliquer ce statut » nous dit le sociologue (Heinich), comme si cela avait un sens.
Il y a art, dit-il, quand il y a artiste et il y a artiste quand une jeune personne, après des études adaptées et si elle a du talent, est reconnue par ceux qui, inter-changeant leurs casquettes, sont tout à la fois ses professeurs, ses critiques, ses galeristes, ses acheteurs et qui forment l’institution « the wonderful artworld ». Or la question était quel est ce pouvoir et par quelle grâce l’artiste le détient-il ?
Parce que le corps social en son entier, le souverain de Rousseau, le lui donne, lui fixant ainsi sa place dans le contrat social, celui de se maintenir hors des normes que la société s’impose par ailleurs, celui de garantir par sa seule existence dans le champ symbolique que malgré l’omniprésence de l’utilitarisme ce contrat préserve la possibilité d’une transcendance. Et de ce fait que l’horizon ne se borne pas à manger, boire, dormir, se reproduire. Qu’il y a peut être un sens à tout ça. C’est son rôle, sorte de rois des fous le jour du carnaval où tout est inversé de préserver la société d’un contrat social exclusivement utilitaire (qui risquerai à tout moment de virer à l’utilement totalitaire). Tant que l’Artiste détient ce pouvoir de « transfiguration du banal » comme dit Arthur Danto, tant qu’il subsiste une différence ontologique entre l’objet utile et l’oeuvre d’art, une tension entre la positivité et la transcendance, c’est la figure de l’Homme qui est préservée. Cette figure qui émerge de l’anonymat de l’univers symbolique chrétien ou l’Homme etait voué exclusivement à l’au-delà, en Italie avec Giotto, qui court jusqu’à nos jours et menace de sombrer (si ce n’est déjà fait) dans l’anonymat de l’univers symbolique marchand ou l’Homme est voué exclusivement à l’ici-bas utilitaire : du métier de peintre à la profession d’artiste. Le pouvoir de l’artiste professionnel ou « créatif » comme Raymond Loewy est de changer l’objet laid, utile, en objet beau qui se vend; ce qui est fondamentalement le contraire de celui de l’Artiste. Marcel Duchamp avec le ready-made, Andy Warhol avec les « boites brillo », montrent ce point crucial où il y a transsubstantiation, où se loge la « sacralité de l’art ». La scène de l’Artiste Moderne Accompli représente ce moment où l’Artiste renonçant à son rôle, les Beaux Arts disparaissent, moment au delà duquel on quitte la période humaniste.

«La question cruciale que tu posais était : est ce que mon travail est de même nature que le type d’activités que propose une entreprise de divertissement ? »
« Ton « expédition »
, me semble t’il, a pour but de « libérer » le mode cognitif de ses déterminations « professionnelles »».

Nicolas Bourriaud, lettre à Pierre Huyghe à propos de « l’Expédition scintillante, a musical »
«Si Beaux Arts Magazine crée les Arts Awards c’est pour… célébrer un milieu professionnel constitué d’artistes, bien sûr, mais aussi de conservateurs, de commissaires d’expositions, de directeurs de centres d’art, de galeristes, de collectionneurs et de mécènes qui travaillent à élaborer les futurs chefs d’oeuvres de notre patrimoine ».

éditorial février 2005.

Tout est dit. L’Artiste et le Philistin « travaillent », ils sont tous deux des professionnels qui composent ensemble ce nouveau secteur économique nommé l’art. (Maurizio Cattelan peut faire ce qu’il veut, jamais plus il ne déstabilisera le Philistin). Tout ce qui constitue l’art, (l’objet, l’oeuvre, l’artiste, les relations internes) est devenu le matériau de base d’un secteur économique. Il est donc vain, à l’intérieur même de ce secteur, d’espérer « libérer » l’activité cognitive (la conduite esthétique) de ces détermination « professionnelle » ; vain ,dans ces conditions, d’espérer sauvegarder la différence ontologique entre l’oeuvre d’art et l’objet utile (l’objet décoratif honni par Clément Greenberg où aujourd’hui le divertissement hautement spirituel cher au Philistin). Je tiens ici à bien faire remarquer à tous que nous sommes d’accord, l’artiste, le philistin et moi-même pour considérer cette différence comme cruciale. Il est pourtant faux, blessant et inutile, de dire que l’art contemporain est nul, les artistes n’ont ni plus ni moins de talent hier qu’aujourd’hui, j’insiste, mais ils s’expriment d’un lieu où ils ne peuvent plus assumer la part de négatif qu’impliquait leur rôle.
Au même titre qu’une collectivité d’indiens d’Amazonie va marquer l’exceptionnel d’une fête en consacrant un nombre incalculable d’heures à sa préparation, l’argent a servi, un temps, à marquer la place exceptionnelle de l’oeuvre d’art. Aujourd’hui il n’est plus qu’un investissement comme un autre. Et les prix pharaoniques des oeuvres actuelles sont la conséquence et non la cause de ce glissement de sens. Par l’intégration de l’art, la société utilitaire est devenue parfaitement lisse et pleine, offrant un service ad hoc au moindre de nos désirs, s’offrant le luxe d’un espace où la liberté, l’inutilité, la gratuité peuvent s‘épanouir, grâce à l’artiste, au service de la communauté . Alors que celle-ci justement lui assignait le rôlede la prémunir contre une vision du monde exclusivement opératoire, construite en termes de service, serait-ce celui du bien commun. Et il ne suffit pas d’accoler à cette critique le mot romantisme en y opposant un état de fait pour s’en débarrasser. Reste à nos mômes pour échapper à ce bonheur insoutenable, à risquer leur vie en traversant les autoroutes ou à prendre une arme et à tirer dans le tas (geste surréaliste par excellence selon André Breton).

« Il faut donc établir une distinction entre le parachèvement et la fin. Même si l’ère que nous avons quittée, l’ère métaphysique, a épuisé ses dernières possibilités, et dans cette mesure atteint le stade du parachèvement, le processus de la pensée, de l’action, du vouloir n’est en aucune manière arrivée à son terme ; on ne peut non plus répondre clairement ni par l’affirmative ni par le refus à la question du prolongement de l’événement révolutionnaire. On ne pourrait parler de post histoire que s’il était sûr que la terreur ayant fait partie de l’histoire se trouve derrière nous. Rien n’est moins sûr ». Peter Sloterdijk

Je suis peintre, je le répète, et les mots ne sont pas mon domaine mais la ligne générale de mon propos est assez claire, nul besoin d’aller dans les détails. A ceux qui se l’approprieront de l’étoffer de leur savoir. L’Ultime Ready-made par sa simplicité schématique se veut une borne de ralliement, un point de rencontre abstrait. Il veut replacer au centre du débat de société ce qui pour bon nombre de personnes n’est qu’une querelle de chapelle (nous revoilà avec les fameux théologiens) à savoir la crise de l’art contemporain. Car il est évident que si la « sacralité de l’art » est à jeter aux poubelles de l’histoire, que si l’Homme n’est plus qu’une pure positivité et son art un gaz aux agréables chatoiements critiques, on ne voit pas au nom de quoi on réfléchirait notre emprise technique sur le vivant.

< précédent page 4 / 5 suite >
mis en ligne le 10/05/2005
Droits de reproduction et de diffusion réservés; © visuelimage.com - bee.come créations