Monographie
Gregory Forstner, du rififi dans la galerie
par Sophie Braganti

Sont également brouillés les repères spatiotemporels. Nous ne savons pas dater le temps du passé, ni dire comment il s’inscrit avec pertinence dans la complexité présente. Nous ne savons pas dire où nous nous embarquons. Pourtant nous connaissons ces lieux et ces époques. Ils ne nous sont pas étrangers. Et de même nous ne leur sommes pas étrangers.

La violence, persistant dans la série à l’érotisme souvent hard des Happy Fisherman, nous malmène dans le sens où nous ne pouvons pas lui échapper. La question de la véritable violence et de la réelle crudité, dans la peinture est posée et avec elle, les différents niveaux de lecture et de points de vue. Plus encore aujourd’hui dans nos sociétés, fourvoyées dans un politiquement correct éhonté, qui affiche des violences et des monstruosités bien plus graves et bien plus cruelles (avant, on aurait dit sauvages !) et sans vergogne. Plus encore à l’ère des principes de précaution à la queue leu leu et des censures préventives farfelues, jusque dans nos musées et dans nos galeries. La peinture ne se charge pas de banaliser la violence ou d’en faire l’apologie.
Plus franchouillard et ludique l’érotisme des récentes Scènes de ménage, qui conserve toutefois un certain trouble. Les contrastes sont appuyés, l’obscurité gagne, une certaine austérité dans l’absence totale d’éléments extérieurs, de décor. On tutoie la mort dans le costume du squelette. Chaque peinture est une autofiction, on verse du côté du romanesque.

Les paysages de quelques tableaux pourraient sortir de cartes postales, de bandes dessinées, de vieux contes ou d’anciennes revues nordiques. Ils pourraient s’extraire de rêves comme de cauchemars. Ils pourraient juste servir de décor à une scène de théâtre qu’on voudrait ranger dans un tiroir et ne sortir que pour les grandes occasions, histoire de faire des histoires. Histoire de faire impression. Le tableau charnière qui va clore la période « casquée » est The Ship of Fools - Father and Son going fishing. Forstner confirme : « Effectivement le tableau The Ship of Fools-Father and Son going fishing ( la nef des fous ) est un tableau important, probablement un des plus importants jusqu'à maintenant ; mon père et moi, son histoire, l'histoire qu'il me raconte. Moi comme un crétin je suis là, il a encore le pouvoir, c'est lui qui rame, qui a la montre, il décide, mais j'ai tout de même moi aussi une arme plus menaçante posée sur l'épaule capable de percer une baleine ! J’ai l'énergie endormie de l'adolescent qui peut se révéler à chaque instant. Je me suis souvent trouvé dans cette situation avec lui en mer, avec ce silence particulier de la mer. Ce sont aussi mes souvenirs et mes rêves en kayak au large de Nice et de Monaco (on voit le cap de Nice à droite). C'est un tableau manifestement très personnel. La présence du paysage aussi, d'un coup, qui veillait depuis longtemps. J'avais fait le croquis plus d'un an auparavant à Nice, sans savoir comment aborder cela en peinture. J'ai su quand j'ai compris que la mer devait être noir de la nuit et non bleu du jour, il me fallait cette impression de fin de jour/entre deux, comme un passage d'un monde à l'autre, quand le lever du jour ressemble à la tombée de la nuit pour exprimer l’idée de transmission ».

mis en ligne le 14/01/2011
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